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Thésée d’André Gide. Et si Labyrinthe et Minotaure illustraient le secret de la contradiction …

By | 2021-07-30T16:49:58+02:00 9 juillet 2021|Littérature, Mythologie, Poésie|0 Comments

Thème du tiers inclus: Le Labyrinthe, le Minotaure

Antagonismes en interaction: Prison ~ Liberté,  Liberté ~ Dépendance, ni Homme ~ ni Animal, Pouvoir ~ Vouloir, Vie ~ Mort, Réel ~ Imaginaire, Volonté ~ Ivresse, Passé ~ Avenir, Ignorance ~ Connaissance, Sagesse ~ Perversion, Réversibilité ~ Irréversibilité du temps, Amour ~ Abandon ( Ariane), Gratitude ~ Tromperie, Confiance ~ Trahison, Joie ~ Peine

 

Et si Labyrinthe et Minotaure

illustraient le secret de la contradiction !

*

Rappel mythologique

 

Rappel mythologique : Thésée, fils putatif d’Égée est le fils du dieu Poséidon. Il a causé la mort de son père Égée en oubliant de remplacer par des voiles blanches, les voiles noires de son bateau à son retour de Crète ainsi qu’il était convenu s’il revenait victorieux de son entreprise hasardeuse.

Était-ce vraiment un oubli ? A la vue des voiles noires, Égée s’est en tout cas jeté dans la mer.

En ce temps, le roi Minos régnait en Crète. Il tenait l’Attique pour responsable de la mort de son fils Androgée. Il avait, en guise de représailles, exigé un tribut annuel : sept jeunes gens et sept jeunes filles devaient être livrés pour satisfaire l’appétit du Minotaure, monstrueux enfant que Pasiphaë, son épouse, avait eu de son commerce avec un taureau.

Thésée venait de rentrer en Grèce. Indifférent aux privilèges de son rang, soucieux de ne se distinguer que par sa valeur, il décide d’être du lot de ceux qui affrontent le MInotaure afin de libérer la Grèce de cet abominable impôt. Il part donc en Crète, nonobstant la résistance de son père. Son ami Pirithoüs l’accompagne.

Il est présenté au roi Minos, siégeant sur son trône, accompagné de la Reine et de ses deux filles. Thésée attire l’attention de l’ainée, Ariane, qui chuchote à son père « Je t’en prie, pas celui-ci ». Décidant alors de dévoiler sa noble ascendance qu’il pensait initialement taire, Thésée déclare sa certitude de sortir victorieux de l’épreuve. Cette assurance émeut  Minos et sa cour. Il invite Thésée au diner corrida.

Lors de cette soirée, Thésée remporte une première épreuve en plongeant et remontant du fond des eaux l’écharpe qu’une forte brise enlève des épaules d’Ariane, debout sur un promontoire dont la vague et les flots viennent battre le pied. Il reparait à la surface. L’écharpe récupérée est accompagnée de deux pierres précieuses si rares qu’en dehors d’une divine origine, rien de peut expliquer qu’elles se trouvent en ces profondeurs.

Minos, père des deux princesses Phèdre et Ariane et époux de Pasiphaë  l’invite à nouveau au diner du lendemain. Thésée est davantage troublé par la jeune Phèdre, que par les avances insistantes de sa soeur ainée Ariane. La conversation porte sur  le Minotaure. Pasiphaë le supplie de ne pas vaincre le Minotaure son fils, fut-il le monstre issu de son accouplement avec le taureau.

Ariane informe Thésée des risques qu’il encourt : du labyrinthe que le Minotaure habite, nul n’a jamais pu sortir. Elle le présentera le lendemain à Dédale, qui a conçu et construit ce labyrinthe. Dédale lui même ne peut s’y retrouver. Il racontera comment son fils Icare n’a pu en sortir que par les airs avec les conséquences que l’on sait. Ariane le supplie d’accepter la proposition qui le sauvera: ce fil qui le reliera indéfectiblement à elle, ce qu’il acceptera avec réserves.

Thésée rencontre Dédale. Celui-ci lui explique que, ne sachant que faire du MinotaureMinos lui a demandé d’élaborer un édifice et une suite de jardins non enclos qui, sans emprisonner le monstre, soit capable de le retenir et dont il serait impossible non point de pouvoir s’échapper, mais de le vouloir. L’objectif est l’annihilation du  « vouloir » . Certaines plantes y diffusent des vapeurs agissant sur la volonté et provoquent une ivresse conduisant à des visions imaginaires, sans consistance et sans fermeté, différente  pour chacun de ceux qui les respirent. Chacun se perdant alors dans son labyrinthe particulier.Pour son fils, Icare, l’imbroglio fut métaphysique. Pour tous il s’agit d’un « pas plus avant » mystérieux. 

Entre Espace et Temps

La dépendance à ces parfums s’installe rapidement de sorte que l’on ne souhaite plus en revenir, ils vous retiennent dans le labyrinthe car la réalité paraît alors sans attrait. Informé du souhait de Thésée d’aller combattre le Minotaure, Dédale lui recommande d’accepter l’aide d’Ariane à qui il sera relié par un fil lui permettant de revenir en arrière, et de ne jamais le rompre, quels que puissent être le charme du labyrinthe et l’attrait de l’inconnu :  » Ce fil sera ton attachement au passé.2 « Reviens à lui. Reviens à toi. Car rien ne part de rien, et c’est sur ton passé, sur ce que tu es à présent, que tout ce que tu seras prend appui « 

Entre Passé et Avenir

Dédale  prévient Thésée des risques et lui rappelle le sort de son fils  Icare. « Mon pauvre cher enfant » dit Dédale. « Comme il pensait ne pouvoir plus s’échapper du labyrinthe et ne comprenait pas que le labyrinthe était en lui, sur sa demande, je fabriquai pour lui des ailes qui lui permissent de s’envoler. Il estimait ne trouver d’autre issue que par le ciel, toutes routes terrestres étant barrées. Je lui connaissais une prédisposition mystique et ne m’étonnai pas de son désir. Désir non assouvi, ainsi que tu as pu t’en rendre compte en l’écoutant. En dépit de mes monitions, il a voulu monter trop haut et a présumé de ses forces. il a chu dans la mer. il est mort. »

Thésée affirme alors qu’il vient de croiser Icare. Dédale lui répond:

« Icare était, dès avant de naître et reste après sa mort, l’image de l’inquiétude humaine, de la recherche, de l’essor de la poésie, que durant sa courte vie il incarne. Il a joué son jeu, comme il se devait, mais il ne s’arrête pas à lui-même. Ainsi en advient-il des héros. Leur geste dure. Orion poursuit encore, dans les champs élyséens d’asphodèles, les bêtes qu’il a tuées toute sa vie, Tantale reste éternellement assoiffé, Sisyphe roule sans cesse sa pierre vers l’inatteignable sommet. Sache que dans les enfers, il n’est pas d’autre châtiment que de recommencer toujours le geste inachevé de sa vie. Tu n’y échapperas pas. Ne t’attarde pas au labyrinthe, ni dans les bras d’Ariane après l’affreux combat dont tu triompheras du Minotaure. »

Après cette victoire, Thésée peine à convaincre les amis qui l’ont accompagné dans le labyrinthe de revenir de ce monde enchanté3, ce qu’ils ne ressentent pas comme une délivrance. Sortis du labyrinthe, ils mettent du temps à redescendre de leur béatitude vers cette étroite et sombre geôle que l’on est à soi-même, d’où ne plus pouvoir s’échapper.

3 Entre Fiction et Réalité

… Après avoir épousé Phèdre, soeur d’Ariane qu’il a abandonnée à NaxosThésée s’installe à Athènes et devient roi. Il combat les inégalités mais promeut l’aristocratie de l’esprit … Thésée a vieilli, Phèdre est encore jeune, elle s’éprend d’ Hippolythe fils de Thésée. Celui-ci appelle la vengeance du dieu sur ce fils innocent, Phèdre, quant à elle, se fera justice…

 

 

***

Thésée.

Et si Labyrinthe et Minotaure

illustraient le secret de la contradiction !

 

 

Thésée : J’étais le vent, la vague. J’étais plante, j’étais oiseau. Je ne m’arrêtais pas à moi-même, et tout contact  avec un monde extérieur ne m’enseignait point tant mes limites qu’il n’éveillait en moi de volupté. J’ai caressé les fruits, la peau des jeunes arbres, les cailloux lisses des rivages, le pelage des chiens, des chevaux, avant de caresser les femmes. Vers tout ce que Pan, Zeus ou Thétis me présentait de charmant, je bandais. (Thésée, André Gide, Collection Folio, P 14.)

 

***

 

Dédale : … « Or, estimant qu’il n’est pas de geôle qui vaille devant un propos de fuite obstiné, pas de barrière ou de fossé que hardiesse et résolution ne franchissent, je pensai que, pour retenir le Minotaure dans le labyrinthe, le mieux était de faire en sorte, non point tant qu’on ne pût ( tâche de bien me comprendre) mais qu’on n’en voulût pas sortir.4 Je réunis donc dans ce lieu de quoi répondre aux appétits de toutes sortes. Ceux du Minotaure ne sont ni nombreux, ni divers; mais il s’agissait aussi bien de nous et de quiconque entrerait dans le labyrinthe. Il importait encore et surtout de diminuer jusqu’à l’annihilation leur vouloir.

4 A la recherche du Secret

Pour y pourvoir, je composai des électuaires que l’on mêlait aux vins qu’on leur servait. Mais cela ne suffisait pas, je trouvai mieux. J’avais remarqué que certaines plantes, lorsqu’on les jette au feu, dégagent en se consumant des fumées semi-narcotiques, qui me parurent ici d’excellent emploi. Elles répondirent exactement à ce que j’attendais d’elles. J’en fis donc alimenter les réchauds, qu’on maintient allumés jour et nuit. Les lourdes vapeurs qui s’en dégagent n’agissent pas seulement sur la volonté, qu’elles endorment; elles procurent une ivresse pleine de charme et prodiguent de flatteuses erreurs, invitent à une certaine activité vaine le cerveau qui se laisse voluptueusement emplir de mirages; activité que je dis vaine, parce qu’elle n’aboutit à rien que d’imaginaire, à des visions ou des spéculations sans consistance, sans logique et sans fermeté.

L’opération de ces vapeurs n’est pas la même pour chacun de ceux qui les respirent,  et chacun, d’après l’imbroglio que prépare alors sa cervelle, se perd, si je puis dire, dans son labyrinthe particulier.

 

Pour mon fils Icare, l’imbroglio fut  métaphysique.

 

Pour moi, ce sont des contradictions immenses, des amoncellements de palais avec enchevêtrement de couloirs, d’escaliers… où, comme pour les ratiocinations de mon fils, tout aboutit à une impasse, à un  » pas plus avant » mystérieux.

Mais le plus étonnant, c’est que ces parfums, dès qu’on les a humés quelque temps, l’on ne peut déjà plus s’en passer; que le corps et l’esprit ont pris goût à cette ébriété malicieuse, hors de laquelle la réalité paraît sans attrait, de sorte que l’on ne souhaite plus d’y revenir, et que cela aussi, cela surtout, vous retient dans le labyrinthe5

5 La recherche du secret de la connaissance est dépendance et emporte hors de la réalité

Connaissant ton désir d’y entrer pour y combattre le Minotaure, je t’avertis; et si je t’ai parlé si longuement de ce danger, c’est afin de te mettre en garde. Tu ne t’en tireras pas tout seul; il faut qu’Ariane t’accompagne. Mais elle doit demeurer sur le seuil et ne respirer point les parfums. Il importe qu’elle reste de sang froid, tandis que tu succomberas à l’ivresse. Mais, même ivre, sache rester maître de toi: tout est là. Ta volonté n’y suffisant peut-être pas ( car je te l’ai dit: ces émanations l’affaiblissent), j’ai donc imaginé ceci: relier Ariane et toi par un fil, figuration tangible du devoir. Ce fil te permettra, te forcera de revenir à elle après que tu te seras écarté. Conserve toutefois le ferme propos de ne pas le rompre, quels que puissent être le charme du labyrinthe, l’attrait de l’inconnu, l’entraînement de ton courage. Reviens à elle, ou c’en est fait de tout le reste, du meilleur. Ce fil sera ton attachement au passé. Reviens à lui. Reviens à toi. Car rien ne part de rien, et c’est sur ton passé, sur ce que tu es à présent, que tout ce que tu seras prend appui.

 

***

 

Icare:   » Qui a commencé : l’homme ou la femme ? L’Éternel est-il féminin ? Du ventre de quelle Grand-mère êtes-vous sorties, formes multiples ? Et ventre fécondé par quel engendreur ?  Dualité inadmissible. Dans ce cas, le dieu, c’est l’enfant. Mon esprit se refuse à diviser Dieu. Dès que j’admets la division, c’est pour la lutte. Qui dieux a, guerre a. Il n’y a pas des dieux, mais un Dieu. Le règne de Dieu, c’est la paix. Tout se résorbe et se réconcilie dans l’Unique.  »

Il se tut une instant , puis reprit:

 » Pour informer le divin, l’homme doit localiser et réduire. Dieu n’est qu’épars. Les dieux sont divisés. il est immense; eux sont locaux. »

Il se tut encore, puis reprit, d’une voix haletante, angoissée:

 » Mais la raison de tout cela, Dieu limpide ?  La raison de tant de peines, de tant d’efforts. Et vers quoi ? La raison d’être ? Et de chercher à tout des raisons ? Vers quoi tendre, sinon vers Dieu ? Comment se diriger ? Où s’arrêter ? Quand pouvoir dire : Ainsi soit-il !  Rien ne va plus ? Comment atteindre Dieu, partant de l’homme ? Si je pars de Dieu, comment parvenir jusqu’à moi ? Cependant, tout autant que Dieu m’a formé, Dieu n’est-il pas créé par l’homme? C’est à l’exacte croisée des chemins, au coeur même de cette croix, que mon esprit veut se tenir.  »

Il se tut un instant, puis reprit:

 » Je ne sais où Dieu commence, et moins encore où il finit. Même j’exprimerai mieux ma pensée si je dis qu’il n’en finit jamais de commencer. Ah ! que je suis donc soûl du donc, du parce que, du puisque! … du ratiociner, du déduire. Je n’extrais du plus beau syllogisme que ce que j’y avais mis d’abord. Si j’y mets Dieu, je l’y retrouve. Je ne le trouve que si je l’y mets. J’ai parcouru toutes les routes de la logique. Sur le plan horizontal, je suis las d’errer. Je rampe et je voudrais prendre l’essor; quitter mon ombre, mon ordure, rejeter le poids du passé !  L’azur m’attire, ô poésie ! Je me sens aspiré par en haut. Esprit de l’homme, où que tu t’élèves, j’y monte. Mon père, expert en la mécanique, saura m’en fournir le moyen. J’irai seul. J’ai l’audace. Je fais les frais. Pas moyen d’en sortir, sinon. Bel esprit, trop longtemps empêtré dans l’enchevêtrement des problèmes, sur un chemin non tracé tu vas t’élancer. Je ne sais quel est cet attrait qui m’engage; mais je sais qu’il n’est qu’un terminus unique: C’est Dieu. »

Alors il s’écarta de nous à reculons, jusqu’à la tenture, qu’il souleva, puis laissa retomber sur lui.

 » Pauvre cher enfant, dit Dédale. Comme il pensait ne pouvoir plus s’échapper du labyrinthe et ne comprenait pas que le labyrinthe était en lui, sur sa demande, je fabriquai pour lui des ailes qui lui permissent de s’envoler. Il estimait ne trouver d’autre issue que par le ciel, toutes routes terrestres étant barrées. Je lui connaissais une prédisposition mystique et ne m’étonnai pas de son désir. Désir non assouvi, ainsi que tu as pu t’en rendre compte en l’écoutant. En dépit de mes monitions, il a voulu monter trop haut et a présumé de ses forces. il a chu dans la mer. il est mort.

… Chacun de nous, dont l’âme, lors de la suprême pesée, ne sera pas jugée trop légère, ne vit pas simplement sa vie.

Icare était, dès avant de naître et reste après sa mort, l’image de l’inquiétude humaine, de la recherche, de l’essor de la poésie, que durant sa vie il incarne. Il a joué son jeu, comme il se devait; mais il ne s’arrête pas à lui même.

…  Entrer dans le labyrinthe est facile. Rien de plus malaisé que d’en sortir. Nul ne s’y retrouve qu’il ne soit perdu d’abord. Et pour revenir en arrière, car les pas n’y laissent pas de trace, il te faut t’attacher à Ariane par un fil, dont je t’ai préparé quelques pelotons que tu emporteras avec toi, que tu dérouleras  à mesure de ton progrès, nouant l’extrémité de l’un épuisé au commencement de l’autre, de manière qu’il n’y ait point de cesse; et tu rembobineras le fil, à ton retour, jusqu’au bout tenu par Ariane. Ce qui est ardu, c’est de conserver jusqu’au bout du fil une résolution inébranlable de retour, résolution que les parfums et l’oubli qu’ils versent, que ta propre curiosité, que tout, va conspirer à affaiblir …

 

***

 

Thésée … Ce fut à  propos de ces pelotons qu’entre Ariane et moi, s’éleva notre première dispute. Elle voulut que je lui remette, et prétendit garder en son giron lesdits pelotons que m’avait confiés Dédale, arguant que c’était affaire aux femmes de les rouler et dérouler, en quoi elle se disait particulièrement experte, et ne voulant pas m’en laisser le soin; mais, en vérité, désirant ainsi demeurer maitresse de ma destinée, ce que je ne consentais à aucun prix. Je me doutais aussi que, ne les déroulant qu’à contre gré pour me permettre de m’éloigner d’elle et retenant le fil ou le tirant à elle, je serais empêché d’aller de l’avant tout mon soûl. je tins bon, en dépit de ses larmes,6 suprême argument des femmes, sachant bien que lorsqu’on commence à leur céder du petit doigt, tout le bras puis le reste y passe….

6 Entre dépendance et liberté 

… Ce fil n’était ni de lin, ni de laine, mais par Dédale, d’une matière inconnue, contre laquelle mon glaive même, que j’essayai sur un petit bout, ne pouvait rien 7

7 Entre passé et avenir. Gide évoque ici le Mystère de la nature du lien qui relie au monde d’avant. Les outils du monde classique n’y peuvent rien.

… Je laissai ce glaive entre les mains d’Ariane, résolu que j’étais à combattre le Minotaure avec la seule vigueur de mon bras. Arrivés donc devant l’entrée du labyrinthe, porche orné de la double hache8 qui, en Crète, figurait partout, j’adjurai Ariane de ne point s’en écarter.

8 L’un des noms de la double hache est Labrys (probable étymologie du mot  « labyrinthe »)  La double hache n’est jamais un signe de guerre, elle est l’instrument qui permet l’accession aux connaissances supérieures, car, maniée par celui qui en comprend le sens elle permet de pénétrer dans la forêt des symboles et de nous aider par la création de la foudre à connaître le feu celui qui nous apporte la lumière, la sagesse et la connaissance.

Ariane tint à attacher elle-même à mon poignet l’extrémité du fil, par un noeud qu’elle prétendit conjugal; puis tint ses lèvres collées aux miennes durant un temps qui me parut interminable. Il me tardait d’avancer.

… Avec le fil, Dédale m’avait remis un morceau d’étoffe imprégné d’un puissant antidote contre les vapeurs enivrantes que j’allais rencontrer, me recommandant instamment de l’assujettir en bâillon.9

9 Parvenu à l’endroit du mystère, je ne succomberai pas à sa découverte et serai contraint d’en garder le secret 

Et à cela aussi, sous le porche du labyrinthe, Ariane avait mis la main. Grâce à quoi, mais ne respirant qu’à peine, je pus, parmi ces vapeurs enivrantes rester de sens lucide et de vouloir. Pourtant je suffoquais un peu, habitué que j’étais, je l’ai dit, à ne me sentir bien qu’en air libre, oppressé par l’atmosphère factice de ce lieu.

… Déroulant le fil, je pénétrai dans une seconde salle, plus obscure que la première; puis dans une autre plus obscure encore; puis dans une autre, où je n’avançai plus qu’à tâtons. Ma main, frôlant le mur, rencontra la poignée d’une porte, que j’ouvris à un flot de lumière.10

10 Illumination

… J’étais entré dans un jardin. En face de moi, sur un parterre fleuri de renoncules, d’adonides, de tulipes, de jonquilles et d’œillets, en une pose nonchalante, je vis le Minotaure couché… Le Monstre était beau. Comme il advient pour les centaures, une harmonie certaine conjurait en lui l’homme et la bête.11  De plus, il était jeune,12 et sa jeunesse ajoutait je ne sais quelle charmante grâce à sa beauté; armes, contre moi, plus fortes que la force et devant lesquelles je devais faire appel à tout ce dont je pouvais disposer d’énergie … Car on ne lutte jamais mieux qu’avec le renfort de la haine; et je ne pouvais le haïr. Je restais même à le contempler quelque temps.  Mais il ouvrit un oeil. Ce que je fis alors, ce qui se passa, je ne puis le rappeler exactement.

11  Ni homme, ni animal.

12 Porteur du devenir

Si étroitement que m’embaillonnât le tampon, je ne laissais pas d’avoir l’esprit engourdi par les vapeurs de la première salle; elles affectaient ma mémoire, et si pourtant je triomphai du Minotaure,13 je ne gardai de ma victoire sur lui qu’une souvenir confus mais, somme toute, plutôt voluptueux.14  Suffit, puisque je me défends d’inventer. Je me souviens aussi, comme d’un rêve, du charme de ce jardin, si capiteux que je pensais ne pouvoir m’en distraire; et ce n’est qu’à regret, quitte du Minotaure, que je regagnai, rembobinant le fil, la première salle, où rejoindre mes compagnons. Puis sortir.  (Thésée, André Gide, Collection Folio, p 77)

13 Je découvrais le secret

14 J’accédais à ce secret merveilleux un temps infime

Ariane et Thésée songeaient à présent à quitter l’ile de Crète. Mais Thésée était épris de Phèdre, sa soeur cadette dont elle est jalouse. Résolu à abandonner Ariane et à partir avec celle qu’il aimait, Thésée échafaude un plan avec son ami PirithouïsGlaucos, le jeune frère, ressemble à s’y méprendre à sa soeur Phèdre. Thésée abusera Ariane en lui faisant croire, qu’il l’emmène avec lui selon la coutume pédéraste crétoise instituée par Minos lui-même et admise, qui veut qu’un amant s’empare de l’enfant qu’il convoite.

Tous les protagonistes ( sauf Ariane) sont mis dans le secret et acceptent le scénario. Thésée embarque le faux Glaucos, qui n’est autre que Phèdre. Sur la route, il débarquera sans scrupule Ariane, sur l’ile de Naxos, où elle se mariera avec Dyonisos.  Thésée rejoindra ses terres, et provoquera le suicide de son père Égée en oubliant de changer les voiles noires en voiles blanches15 à l’approche de celles-ci. Ce qui était pourtant convenu en cas de victoire. Ce fut pour tout le peuple, jour de fête pour son heureux retour et jour de deuil16 pour la mort de son père.

Cet évènement lui fit instituer les chorégies, où les lamentations alternent avec les chants de joie. Allégresse et désolation: il était séant d’entretenir le peuple à la fois dans ces deux sentiments contraires.16

 

15 Entre Victoire et Défaite

16 Entre joie et peine, entre allégresse et désolation, vie et mort.

 

                                                                                       . . .

 

 

 

* Thésée, André Gide, Collection Folio

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