///Théophile Gautier « Symphonie en blanc majeur »

Théophile Gautier « Symphonie en blanc majeur »

By | 2023-03-29T18:04:16+02:00 29 mars 2023|Littérature, Poésie|0 Comments

 

  « Symphonie en blanc majeur » 

Théophile Gautier

 

 Tous les vers concourent, d’une façon à la fois insistante et diffuse, à l’installation d’une couleur,

Le blanc

qui s’imprime en nous, indépendamment des objets qui le composent et le supportent.  L’impression générale éminemment sensuelle et visuelle suggérée par le poème, ne peut être réduite à une addition de détails localisables. La généralité de son « effet », entièrement et irréductiblement confiée au pouvoir du poète, est une véritable sensation indécomposable, complexe tant dans ses causes que par les éléments qui la composent.

Il s’agit d’une autre logique, un défi porté par le poète, aux règles aristotéliciennes de la structure *

 

* Roland Barthes, L’obvie et l’obtus, Essais critiques III, Collection Essais, Points, Ed. du seuil. P170-171

***

 

Thème du tiers inclus:  Le blanc

Polarités en interaction: Cygnes, Neige, Clair de lune, Chair nacrée, Satin, Givre, Hostie, Cierge, Neige, Marbre, Argent, Lait, Vasque, Aubépine, Albâtre, Pâleur, Colombe, Stalactite, Avalanche, Glacier, Secret, Glace, Blancheur…

 

 

Symphonie en blanc majeur 

Théophile Gautier

 

 

 

De leur col blanc courbant les lignes,
On voit dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord,

 

Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet.

 

De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids ;

 

Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur !

 

Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.

 

Dans ces grandes batailles blanches,
Satins et fleurs ont le dessous,
Et, sans demander leurs revanches,
Jaunissent comme des jaloux.

 

Sur les blancheurs de son épaule,
Paros au grain éblouissant,
Comme dans une nuit du pôle,
Un givre invisible descend.

 

De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de sa peau ?

 

A-t-on pris la goutte lactée
Tachant l’azur du ciel d’hiver,
Le lis à la pulpe argentée,
La blanche écume de la mer ;

 

Le marbre blanc, chair froide et pâle,
Où vivent les divinités ;
L’argent mat, la laiteuse opale
Qu’irisent de vagues clartés

 

L’ivoire, où ses mains ont des ailes,
Et, comme des papillons blancs,
Sur la pointe des notes frêles
Suspendent leurs baisers tremblants

 

L’hermine vierge de souillure,
Qui pour abriter leurs frissons,
Ouate de sa blanche fourrure
Les épaules et les blasons 

 

Le vif-argent aux fleurs fantasques
Dont les vitraux sont ramagés ;
Les blanches dentelles des vasques,
Pleurs de l’ondine en l’air figés

 

L’aubépine de mai qui plie
Sous les blancs frimas de ses fleurs ;
L’albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs

 

Le duvet blanc de la colombe,
Neigeant sur les toits du manoir,
Et la stalactite qui tombe,
Larme blanche de l’antre noir ?

 

Des Groenlands et des Norvèges
Vient-elle avec Séraphita ?
Est-ce la Madone des neiges,
Un sphinx blanc que l’hiver sculpta,

 

Sphinx enterré par l’avalanche,
Gardien des glaciers étoilés,
Et qui, sous sa poitrine blanche,
Cache de blancs secrets gelés ?

 

Sous la glace où calme il repose,
Oh ! qui pourra fondre ce coeur !
Oh ! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur !

 

                                                                                                                         

 

 

 

 

 

 

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