Thème du Tiers inclus: Le « No te entiendo »
Antagonismes en interaction: Castes sociales et raciales
Les seize cases du tableau représentent, chacune, trois personnages : l’homme et la femme, que leur différence de sang oblige impérieusement à s’unir, et un enfant tranquille né de cette union, lequel, dans la case suivante, devenu adulte, est le protagoniste d’un nouveau mariage, d’où naît un autre fils destiné à perpétuer cette chaîne du mélange: le Métis, fils de l’Espagnol et de l’Indienne, le Castizo son fils, le Mulâtre à qui une Espagnole donne un adorable petit Maure, et ainsi de suite jusqu’au Chino, au Lobo, au Javaro fils du Lobo et de la China, à l’Albarazado né de la Mulâtresse et du Jivaro et lui-même père d’un Cambujo, qui engendre à son tour un Sanbaigo.
Le tableau voudrait classifier et distinguer rigoureusement -jusque dans les vêtements- les castes, sociales et raciales, mais il finit involontairement par exalter le jeu capricieux et rebelle d’Éros, ce grand destructeur de toute hiérarchie sociale bien close, celui qui redistribue et brouille tous les paquets de cartes bien ordonnés, qui mêle les deniers aux coupes et aux épées pour rendre le jeu possible et agréable.
Dans l’avant-dernière case, le fruit des amours du Tente En El Aire et de la Mulâtresse a laissé perplexe l’anonyme classificateur, malgré tout son talent pour la nomenclature, puisqu’il l’a en effet appelé «No te entiendo», un «je-ne-te-comprends-pas»
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Dans son ouvrage intitulé « Danube », Claudio Magris évoque le «No te entiendo».
Le Danube -dit-il- , à l’égal de chacun d’entre nous, est un «No te entiendo», un «je-ne-te-comprends-pas», comme la figure dessinée dans une des seize cases du tableau de Las Castas, sorte de jeu de l’oie de l’amour et des peuples du mur du musée de la ville à Mexico.
« Tel ce Danube[1] qui est là et qui n’y est pas, qui naît de tant d’endroits et de tant de parents, nous rappelle que chacun d’entre nous, grâce à la trame complexe et secrète à laquelle il doit son existence, est un No te entiendo, comme ces Pragois au nom allemand ou ces Viennois au nom tchèque. Le long de ce fleuve, qui l’été, dit-on, disparaît parfois, ce pas à côté du mien est aussi irréfutable que ce cours d’eau, et tandis que je suis sa cadence et la courbe des rives, je me connais peut-être enfin moi-même … »
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[1] Claudio Magris, Danube, Folio essais, P. 45-46
Toujours une découverte mais celle-ci me laisse sur ma faim
Jacline
Vous mettez en lumière un ‘tiers inclus’ très intéressant. Il est fascinant de constater que l’organisation politique d’autrefois se basait sur des distinctions raciales, morphologiques, physiologiques et biologiques. Aujourd’hui, nous vivons dans l’autre extrême, où aucune distinction n’est faite et l’accent est mis uniquement sur l’individu. Bien qu’il n’existe plus de castes au sens historique du terme, des groupes se forment encore autour d’affinités communes, et souvent, ces affinités tendent à coïncider avec des caractéristiques morphologiques. Du point de vue de la théorie de la réciprocité, les structures de réciprocité sont les formes, telles que des castes ou « groupes d’affinités », que prend l’énergie sociale autour d’un tiers inclus entre les participants de nature affective. Cette affectivité non plus issue de l’expérience de perception physique est à l’origine de la fonction symbolique.