Thème du tiers inclus: Un chemin artistique entre figuration et abstraction.
Antagonismes en interaction: Entre Peintre et Idée, entre Idée et Observateur. Aucune des quatre périodes n’est absolutisée. Chacune contient en son sein, tant les traces de la ou des précédentes que des éléments précurseurs de la ou des suivantes. Certains tableaux illustrent fondamentalement ces transitions.
*
Rothko, 1953 : « Soit mes surfaces se dilatent et s’ouvrent dans toutes les directions, soit elles se contractent et se referment précipitamment dans toutes les directions. Entre ces deux pôles, on trouve tout ce que j’ai à dire.» (Catalogue Mark Rothko, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1999, p. 31.)
Rothko *
1. Période figurative
2. Période mythologique. Entre figurative et néo-surréaliste
3. Période Néo-surréaliste : Entre période mythologique et période multiforme
4. Période Multiforme. Entre néo-surréaliste et abstraite
5. Période abstraite dite période classique
6. Entre période figurative initiale et période abstraite dite classique
***
1. Période figurative
« Pour les peintres de ma génération, ce qui comptait avant tout était la figure humaine, mais à force de la reproduire, je me suis aperçu que je ne pouvais le faire sans la mutiler »
Cet autoportrait est le seul de toute sa carrière.
Marcus Rotkovitch., s’affranchissant des styles conventionnels,
Rothko semble chercher un passage entre passé et avenir.
La silhouette s’extrait du fond brun couvert de coups de pinceau. Une lumière franche éclaire le visage, la chemise et les poignets tandis que des touches de sang rouge vermillon rehaussent les lèvres, la cravate et le costume. Derrière des lunettes aux verres fumés, les yeux de l’artiste apparaissent comme deux petits disques noirs impénétrables. Ce regard aveugle, comme les mains floues, ne semblent rien ne nous livre ni du peintre ni de l’homme.
Rothko : « L’essence véritable du grand art du portrait est l’intérêt éternel de l’artiste pour la figure humaine, le caractère et les émotions, bref pour le drame humain »
Progressivement Rothko s’en éloigne.
Les peintures représentant le métro, le monde souterrain, révèlent des figures presque disparues, comme enfermées dans un cadre, dans un jeu d’horizontal et de vertical, de formes allant devenir son futur langage. Ces figures ne représentent pas tant des personnes, mais permettent plutôt d’observer ce que c’est d’être telle ou telle personne dans son environnement.
Un portrait de garçon présente des couleurs vives de rose et de vert du ciel dans un bâtiment derrière lui. Ce garçon peint en gris préfigure déjà ses préoccupations abstractives.
Contemplation :
Huile sur toile peintre entre 1936 et 1937. La composition de 61 x 81 cm est presque occupée par une fenêtre dont on ne voit que le bord inférieur. Sur tout le bas de la toile, une bande rose clair soutient la fenêtre : le mur du bâtiment.
La mise en scène fait du spectateur un observateur extérieur de ce qui se passe dans l’appartement à travers une baie vitrée. Le montant de la vitre, couleur vert gris, sépare la composition entre deux plans :
- Sur la partie gauche, un vieil homme assis sur une chaise à barreau. Il nous tourne le dos, et se tord vers la gauche pour regarder vers l’extérieur. Ses traits sont indistincts. Derrière l’homme, un étrange objet noir, de la même taille que lui, semble adossé à la fenêtre.
- Dans la partie droite, de l’autre côté du montant, un globe terrestre est posé sur le rebord de la fenêtre. Si le bleu des océans est nettement identifiable, les continents, eux, sont blancs comme des nuages flottant à la surface des mers.
- En arrière-plan, le reste de la pièce est vide à l’exception d’un petit cadre au fond à gauche. Les murs latéraux et le plafond sont vert pâle. Le mur du fond est d’un vert gris quasi identique à celui du montant de la fenêtre.
Rothko révèle ici un goût pour les formes géométriques. Les fragments de fenêtre, de façade, et de murs forment des rectangles enchâssés, orientant la composition entre horizontales et verticales. Ils sont contrebalancés par les lignes du montant de la fenêtre, du globe et du vieillard. Le regard de ce dernier est insaisissable, comme perdu dans la contemplation ou plongé en lui-même.
Au cours de ces années, Rothko, privilégie la scène de genre et peint des moments banals de l’existence.
Des scènes de rue ou d’intérieur
Des foules anonymes au cinéma
Des vues du métro, (environ 15 toiles entre 1935 et 1940)
Dans les paysages souterrains, il ne représente jamais les rames de métro, mais plutôt les quais, les escaliers, parfois les rails. Dans Subway (1937), les personnages sont étirés et statiques. Ils font écho aux piliers de la station qui, en comparaison, semblent plus présents. La présentation rassemblée en un seul plan annule l’effet de profondeur. La structure en quadrillage, presque géométrique, est reprise dans de nombreuses scènes du métro. Elle annonce les futures compositions abstraites.
Les textures et couleurs pâles donnent un ton sourd et lourd à l’atmosphère.
Chaque personnage, réduit à des contours flous, semble isolé, absorbé en lui-même comme s’il cherchait à éviter la rencontre avec les autres.
Rothko peint la dimension aliénante de la ville, et la solitude qui en découle en ces années de dépression économique à New-York. L’architectonique semble l’emporter sur l’humain.
Au cours de cette période, les figures ont tendance à s’élargir, se déformer. Ce ne sont pas encore les déformations qu’il pratiquera avec les thèmes mythologiques du début des années 40, mais les corps se modifient, s’étirent ou se font plus anguleux.
2. Période mythologique. Entre figurative et néo-surréaliste
Avec ses amis Adolph Gottlieb et Barnett Newman, Rothko tente d’exprimer un mythe devant répondre à la dureté du temps, en ces années quarante où les États-unis vont entrer en guerre. Selon eux, il convient de dépasser le drame et d’aller vers l’universel. Cette tension vers le général les amène à retourner vers les origines. Lecteur d’Eschyle, de Shakespeare, de Nietzsche, mais aussi de Breton qui appelle les artistes à partir à nouveau à la poursuite de la toison d’or. « L’art est une aventure dans un monde inexploré, mais qui ne peut être exploré que par ceux qui vont en prendre le risque »
Rothko recherchera dans ce langage universel le moyen de communiquer avec le moi le plus profond par le biais de l’art. Ainsi, dans les années quarante, il commencera à utiliser les références spécifiques aux mythes grecs, babyloniens, assyriens, et égyptiens. Il estimait que leur langage était commun à tous les peuples et pensait, à travers les mythes, toucher quelque chose de très élémentaire chez son public.
“The Omen of the eagle”, “le présage de l’aigle”, (1942 ) est un tableau d’inspiration mythologique.
Peint en 1942, année où Rothko peint cette toile, l’aigle renvoie également à l’emblème de l’Allemagne nazie. La propagande hitlérienne exalte certains mythes pour justifier son idéologie, Rothko puis dans d’autres récits où règnent le chaos et la violence. Les têtes du registre supérieur évoquent le chœur de la tragédie, qui chante son inquiétude tout au long du drame. En bas les pieds contorsionnés, évoquent les cadavres des Grecs et des Troyens que ceux des guerres contemporaines.
La toile est composée de quatre registres horizontaux que fond vert.
– En haut, Rothko peint une frise de têtes humaines, agglomérées en un seul bloc.
– En dessous, un couple d’oiseaux dont on devine les plumes, l’œil et le bec
– Le troisième registre est occupé par des formes vaguement architecturales.
– Tout en bas, un amas de pieds emmêlés achève l’ensemble.
Cette composition est tirée du thème d’Agamemnon, tragédie d’Eschyle au 5ème siècle avant J_C.
“Le présage de l’aigle”
Le drame se déroule pendant la guerre de Troie. Au début de la pièce, les Grecs interprètent le vol des deux aigles comme le présage de leur victoire sur les Troyens.
« La peinture ne traite pas d’une anecdote particulière, mais plutôt de l’Esprit du Mythe, générique de tous les mythes à toutes les époques. Il implique un panthéisme dans lequel l’homme, l’oiseau, la bête et l’arbre se mélangent en une seule idée tragique »
Plus tard, il décida que ces mythes étaient encore trop spécifiques. Il s’est alors progressivement tourné vers l’abstraction, pensant qu’il pourrait ainsi toucher un plus grand nombre.
3. Période Néo-surréaliste : Entre période mythologique et période multiforme
Sacrifice of Iphigenia (1942) mesure 127cm x 94 cm.
Son titre renvoie à la pièce d’Agamemnon, tragédie d’Eschyle composée au 5ème siècle avant J-C.
Pour obtenir la protection des dieux avant la guerre de Troie, Agamemnon, roi de Mycènes, sacrifie sa propre fille Iphigénie.
Ce tableau n’est pas une illustration de ce drame mais une évocation.
Rothko superpose des formes abstraites et irrégulières sur un fond jaune safran. C’est la couleur d’Iphigénie dans le texte d’Eschyle. Le reste de la palette limité au rouge, vert, orange, noir et blanc.
A gauche, au premier plan, une silhouette élancée avance vers nous :il s’agit d’Iphigénie, réduite à des formules géométriques. Son corps est un cône noir pourvu de deux jambes cylindriques oranges. Sa tête est une petite sphère jaune. Elle est légèrement penchée vers la gauche, comme pour fuit les eux longs bras qui se tendent vers elle depuis le coin supérieur droit de la toile.
A l’arrière-plan, une masse verticale évoque une colonne antique.
A défaut d’illustrer la mort d’Iphigénie, l’artiste tente de placer le spectateur face à l’angoisse de l’héroïne. Le mythe évoqué ici renvoie à l’impuissance de l’individu face à son destin et au caractère universel de la condition humaine.
En puisant ses sujets dans la mythologie, Rothko, l’objectif est de les revisiter dans une perspective universelle.
Rothko : « Les mythes sont les symboles intemporels auxquels nous devons nous raccrocher pour exprimer des idées psychologiques fondamentales. Ils sont les symboles des peurs et des motivations primitives de l’homme, peu importent le pays ou l’époque »
“Slow swirl at the edge of the sea”, “ Lent tourbillon au bord de la mer ”
Marc Rothko vient de rencontrer sa seconde épouse, Mary Alice Beistle.
On distingue deux silhouettes, allusion au jeune couple. Ces silhouettes flottent au milieu d’un paysage imaginaire composé d’un large pan de ciel surplombant les flots de la mer. Leur morphologie sinueuse et arrondie, évoque des organismes aquatiques, comme des algues ou des invertébrés. Autour d’eux, des motifs d’arabesques et de spirales génèrent une sensation de tourbillonnement perpétuel. Dans un style néo-surréaliste, ces figures abstraites semblent résulter d’un geste mi-conscient, mi-automatique, elles paraissent animées d’une énergie primordiale, peut-être celle des émotions du peintre ? Celui- ci semble exprimer l’agitation intérieure et la sensation du vertige amoureux.
Le passage : On commence à percevoir une forme d’abstraction, certes pas totale, puisque des éléments figuratifs, des formes humaines, animales, indéterminées apparaissent. Mais il y a quand même quelque chose de l’ordre du dépassement. A travers cette expérience des années 40, Rothko sent qu’il ne s’est pas arrêté à cette étape du chemin, qu’il peut aller plus loin. L’écriture automatique, le dessin automatique visible jusque dans les tableaux précédents, devient un moyen d’expérimenter davantage.
Rothko : « La peinture est un langage aussi naturel que le chant ou la parole »
Cette œuvre est une représentation majeure de cette transition. Une œuvre qu’il a probablement commencé à la manière des précédentes, mais qui se termine par des formes totalement libres. Ici commence l’aventure des Multiformes, mot qu’il utilisera beaucoup plus tard.
4. Période Multiforme. Entre néo-surréaliste et abstraite
L’œuvre sans titre réalisée en 1948, ne comporte aucun élément figuratif. On ne distingue d’abord qu’un enchevêtrement de formes colorées qui s’étalent lentement sur la toile, comme une accumulation de taches. Leurs contours irréguliers font songer à une consistance liquide, comme si de l’encre s’était répandue de manière aléatoire. La palette est restreinte : un fond jaune pâle est inégalement recouvert de masses nébuleuses vertes, bleues, grises ou rouges, disposées en couches plus ou moins opaques. La moitié inférieure du tableau est traversée dans sa largeur par une ombre vert foncé partiellement recouverte d’une étendue blanche qui capte la lumière.
Des éléments, d’abord aléatoires, finissent par s’organiser en masses, en formes colorées et quelques rectangles apparaissent.
On voit alors progressivement son système se mettre en place, celui qu’il découvre en même temps qu’il peint ses œuvres. Il ne les révélera qu’à la fin des années 40.
Très vite alors, il passe des multiformes à ce qui sera nommé le Rothko classique, le plus connu. Ce développement se produit de manière très rapide et très concentrée.
Untitled ( Multiform ) 1948
En l’espace de deux ans, ces formes se fondent en quelque chose de plus en plus simple, directement expression, presque géométrique. Parallèlement, la toile s’organise, en quelque mois, il passe de six rectangles à quatre, ce qui sera son format classique. IL exprime ses idées aussi simplement et directement que possible. Il y trouve une nouvelle puissance d’expression.
C’est à partir de 1946 que Rothko rompt avec son vocabulaire néo-surréaliste et développe des formes abstraites qu’il nomme « multiformes ». Toujours à la recherche d’universalité, il se libère définitivement des références au réel et s’appuie désormais que l’expérience sensorielle. Par l’intermédiaire de la couleur, il cherche à communiquer plus directement le contenu émotionnel de sa peinture et à provoquer une interaction entre l’œuvre et le spectateur :
Entre 1946 et 1949, son style évolue :
- Il peint de petites parcelles colorées, disposées de façon asymétrique
- Puis de formes rectangulaires qui semblent en suspension à la surface du tableau.
Puis, il peint des formats de plus en plus grands, abandonne parfois le cadre pour une confrontation plus immédiate avec le spectateur.
Untitled Multiform, peint en 1948, montre ce basculement vers une géométrie plus marquée, ainsi que des contrastes de bleu et de rouge, délimités par un halo de teintes terreuses.
« Une peinture se vit par l’amitié,
en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de l’observateur sensible »
Rothko envisage la peinture comme un organisme vivant autonome. Les couleurs semblent en effet se mouvoir et interagir librement à la surface de la toile. Elles se poussent, s’étirent, s’imbriquent et s’enveloppent mutuellement. Selon le peintre, elles sont comme les interprètes de théâtre d’improvisation, dont les actions seraient imprévisibles.
Dépourvues d’anecdotes de narration, les toiles dites Multiformes, cherchent à transmettre et provoquer une émotion directe.
5. Période abstraite dite période classique
Chez Rothko, abstraction ne signifie pas absence de contenu.
« Nous privilégions l’expression simple de la pensée complexe. […]
Nous sommes pour les formes plates parce qu’elles détruisent l’illusion et révèlent la vérité.)
Peint en 1949, ce tableau appartient à une série d’œuvres numérotées de 1 à 10.
Divisé en vastes zones unies, peintes sur un fond jaune foncé. Un carré orange occupe les deux tiers inférieurs de la composition, tandis que le tiers supérieur est couvert par un rectangle jaune beurre contenant lui-même un rectangle jaune vif. Une mince bande orange longe le côté gauche de la toile. On distingue également un long rectangle aux contours plus foncée à l’intérieur du carré orange.
Rothko tend vers une peinture de plus en plus introspective, son vocabulaire est simplifié vises à établir une communication plus directe avec le spectateur.
« La progression du travail d’un peintre se dirige vers la clarté
Vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée,
et entre l’idée et l’observateur »
Orange and red on red 1957
Les larges champs de couleur aux contours irréguliers enveloppent autant qu’ils pénètrent le spectateur. La peinture, appliquée en fines couches superposées, crée des variations d’opacité et de transparence.
Les toiles de Rothko fonctionnent comme des entités vivantes et inachevées, que l’observateur complète individuellement par son regard.
Dans Untitled ( blue, yellow,green on red), 1954, après avoir appliqué un fond rouge, visible en bordure, , il dispose un immense carré jaune au milieu de la composition, flanqué de deux rectangles horizontaux, bleu au-dessus, vert en dessous. Les contours de ces rectangles colorés font vibrer l’effet à la surface de la toile.
Rothko ne précise jamais ce qu’il faut voir dans ses tableaux. Il attend du spectateur qu’il s’affranchisse des conventions et de la compréhension.
Ses oeuvres n’ont pas de sens figé, elles demeurent ouvertes à des lectures multiples, fonctionnent comme des entités vivantes et inachevées, que l’observateur complète individuellement par son regard.
Il entre dans ce qui sera appelé sa période « classique ». Ses œuvres sont immédiatement identifiables. Cela devient son langage artistique, qu’il variera beaucoup dans chaque tableau et au fil du temps, mais qui resteront identifiables en tant que Rothko.
Même si Rothko intègre sa propre idée de vérité dans chaque œuvre, celle-ci, toujours différente, crée une conversation singulière avec chaque spectateur. Le plaisir ressenti est un processus moins intellectuel qu’émotionnel. Le spectateur est enclin à entrer à l’intérieur des toiles et non pas seulement le regarder de l’extérieur.
Le contour estompé des formes colorées évoque la frontière poreuse entre l’espace réel du spectateur et l’espace fictif de l’œuvre.
» L’expérience de la profondeur fait pénétrer à l’intérieur de couches de choses de plus en plus distantes »
Au concept d’espace, Rothko préfère celui de profondeur.
N°6 ( yellow, White, blue over yellow on gray) 1954
Il réfute le qualificatif de « coloriste », ce qui l’intéresse est la lumière.
La lumière peut être une émanation du tableau. Dans un environnement sombre, les œuvres peuvent dégager leur propre lumière.
Dans les Seagram Murals il abandonne les bandes horizontales « classiques » pour développer des signes à la fois ouverts et clos. On distingue des carrés évidée, une paire de rectangles, verticaux légèrement espacés, évoquant des seuils, des fenêtres ou des portes. Elles restent cependant aveugles, n’ouvrant sur aucune perspective.
N°9 (white and black on wine) 1958
Rothko : « J’étais inconsciemment très influencé par les murs de Michel Ange dans l’escalier de la Bibliothèque Médicis à Florence. Il est parvenu précisément au type de sentiment que je recherche, il fait en sorte que les spectateurs se sentent pris au piège dans une pièce dont les portes et les fenêtres sont murées, de sorte que tout ce qu’ils peuvent faire est de cogner éternellement leurs têtes contre le mur »
L’obsession de Rothko était que sa peinture communique, que ce ne soit pas un langage articulé, mais un langage aussi intense, profond, intérieur que la musique.
À partir des années soixante, il exprime dans ses œuvres sombres, la capacité de pigments différents à générer une lumière qui vient de l’intérieur à partir de couleurs beaucoup plus intenses.
Dans N°14, les grands rectangles aux bords irréguliers sont les héritiers des scènes réalistes que l’artiste peignait à ses débuts. Les formes géométriques reflètent les personnages de tragédies de sa phase mythologique et néo-surréaliste. S’il est impossible de déterminer un sujet précis pour ces toiles, Rothko précise qu’il n’a pas disparu pour autant. Chaque spectateur pénètre la toile et y dépose ses propres émotions en miroir de l’artiste.
« Ceux qui pleurent devant mes tableaux ont la même expérience religieuse que moi lorsque je les peins ».
Rothko aimait, en privé, parler de ses états d’âme, autant les siens que les nôtres.
Untitled black, red over Black on red 1964
Black on gry 1969 Untitiled 1969
Rothko ne donne jamais de pistes de lecture trop précises de ses tableaux pour ne pas en influencer l’interprétation, il glisse parfois des indices :
« Voici de quoi monde est composé ; une quantité de ciel, une quantité de terre et une quantité de choses animées. Voici les désirs, les peurs et aspirations d’un esprit animé. »
« Souvent, vers le crépuscule, il y a dans l’air un sentiment de mystère, de menace, de frustration- tout cela à la fois. J’aimerais que mes peintures possèdent la qualité de ces instants. »
Rothko avait jusqu’à présent cherché à éviter la symétrie dans ses œuvres. Ici le partage s’effectue par une médiane horizontale.
N°3 untitiled orange 1967
Il le dira tout au long de sa vie, sa quête est de faire disparaître l’environnement physique. Même s’il construit un espace, ce qui est autour de ces peintures doit disparaître.
6. Entre période figurative initiale et ultime période abstraite dite « classique »
Un chemin vers l’abstraction ponctué d’étapes jamais absolutisées.
Les peintures représentant le métro, le monde souterrain, révèlent déjà des figures presque disparues, comme enfermées dans un cadre, dans un jeu d’horizontal et de vertical, de formes allant devenir son futur langage. La structure en quadrillage, presque géométrique, est reprise dans de nombreuses scènes du métro. Elle annonce les futures compositions abstraites.
Dans « Contemplation », Rothko révèle un goût pour les formes géométriques. Les fragments de fenêtre, de façade, et de murs forment des rectangles enchâssés, orientant la composition entre horizontales et verticales. Ils sont contrebalancés par les lignes du montant de la fenêtre, du globe et du vieillard dont le regard est insaisissable, comme perdu dans la contemplation ou plongé en lui-même.
Dans sa période mythologique, Rothko recherchera dans un langage universel le moyen de communiquer avec le moi le plus profond par le biais de l’art.
Arrive ensuite la période néo surréaliste vers la fin de laquelle apparait une forme d’abstraction, certes pas encore totale, puisque des éléments figuratifs, des formes humaines, animales, indéterminées apparaissent encore
À partir de 1946, Rothko rompt avec son vocabulaire néo-surréaliste et développe des formes abstraites qu’il nomme « Multiformes ». À la recherche d’universalité, il se libère définitivement des références au réel et ne s’appuie désormais que l’expérience sensorielle. Par l’intermédiaire de la couleur, il cherche à communiquer plus directement le contenu émotionnel de sa peinture et à provoquer une interaction entre l’œuvre et le spectateur
Dans la période abstraite, dite classique, Rothko intègre sa propre idée de vérité dans chaque œuvre, celle-ci, toujours différente, crée une conversation singulière avec chaque spectateur. Le plaisir ressenti est un processus moins intellectuel qu’émotionnel. Le spectateur est enclin à entrer à l’intérieur des toiles et non pas seulement le regarder de l’extérieur.
Ainsi toutes les étapes de son cheminement contiennent en filigrane non seulement la précédente et la suivante mais annoncent l’étape ultime de l’abstraction. De la même façon, et en retour, cette dernière contient les stigmates ou la trace de ce que furent les débuts de son expression artistique. Les grands rectangles aux bords irréguliers sont les héritiers des scènes réalistes que l’artiste peignait à ses débuts. Les formes géométriques reflètent les personnages de tragédies de sa phase mythologique et néo-surréaliste. S’il est impossible de déterminer un sujet précis pour ces toiles, Rothko précise qu’il n’a pas disparu pour autant.
Le spectateur pénètre la toile et y dépose en miroir ses propres émotions
…
* Extrait du guide de l’exposition « Rothko, La rétrospective ». Fondation Louis Vuitton, 18 oct 2023 au 2 avril 2024
très utile
mais n’explique pas l’importance de l’exposition
ça reste de l’histoire de l’art qu’on pourrait craindre réductrice
Très juste et passionnant de voir son art en evolution pour decouvrir sa demarche profonde et y plonger dedans