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Allégorie et effets du bon et du mauvais gouvernement . Fresque d’Ambrogio Lorenzetti, Sienne

By | 2023-03-02T07:36:16+01:00 15 février 2023|Art, Histoire, Peinture|2 Comments

Thème du tiers inclus : L’Idéal démocratique, l’éthique, la mise en beauté du Pouvoir

Antagonismes en interaction :  Paix ~ Guerre,  Bon gouvernement ~ Mauvais gouvernement, Utrin  ~ utrinque,  Paix, Guerre, Justice ~  Tyrannie, discorde.

 

« Allégorie et effets du Bon et du Mauvais gouvernement » d’Ambrogio Lorenzetti est une fresque ( 2m x 14,40 m) placée sur les murs de la Sala dei Nove ( la salle des neuf) ou Sala della Pace ( Salle de la Paix) du Palazzo Pubbilco de SienneDivisée en deux, la première moitié représente la ville, la seconde la campagne.

 

 

Nous remercions Monsieur Renaud Chabrier

pour 

la publication de son film *

 

 » Les effets du bon gouvernement « 

sur notre site tiersinclus.fr

 

Nous en sommes très honorés

et lui exprimons notre gratitude

 

* Un film de Renaud Chabrier, inspiré du livre de Patrick Boucheron*  « Conjurer la peur, Sienne 1338. Essai sur la force politique des images » (Seuil)

 

 

Allégorie et effets du

bon et du mauvais gouvernement

 

Ambrogio Lorenzetti

1338- 1339

 

Ce matin de l’an 1338, ma ville se réveille, inquiète

 

Depuis deux cents ans, les cités italiennes se sont développées plus que partout en Europe, mais elles sont menacées de l’intérieur, les familles et les partis s’opposent, divisent la cité et entretiennent la peur.

Heureusement, Sienne a adopté un gouvernement élu, indépendant des aristocrates et de l’église.

Il a commandé la réalisation d’une fresque, à l’intérieur du palais public, visible par tous les habitants. Elle nous montre les effets que nous pouvons attendre d’un bon gouvernement.

 

 

Observons les murailles, elles marquent l’emprise de la ville sur son territoire. La ville bien gouvernée garantit la sécurité sur les routes, quand il le faut par la force.

Jusqu’à la mer, les paysans peuvent alors cultiver sans crainte, en toutes saisons. Pour les citadins qui ont acheté la terre à crédit, l’investissement est rentable.

 

 

Les habitants des campagnes peuvent librement monter à la ville. A mesure qu’ils s’approchent le peintre Lorenzetti les figure de plus en plus grands.

 

 

 

 

 

En route pour la chasse, ces aristocrates ne pensent plus à faire la guerre

 

 

Passé les portes de la ville, les rues sont ouvertes au commerce et à l’artisanat

Un bon gouvernement n’oublie pas que les métiers exercés par le peuple, participent pleinement à la prospérité de la commune. L’éducation est encouragée, le maître d’école tient sa boutique entre le bottier et le vendeur de céramiques. Dans l’espace commun des voies publiques, la parole circule aussi librement que les corps et les biens.

 

À Sienne, une personne sur trois participe activement à la vie politique. Les élections décident du choix des neuf représentants qui forment le gouvernement. La politique est comme le jeu d’échecs. Elle a des règles que tout le monde devrait respecter. Dans la ville en paix, les amours peuvent s’épanouir. Regardez la promise, elle attend sereinement son fiancé. Comment maintenir la commune dans cet état de paix.

 

Les neuf danseurs nous le montrent. Comme la danse, la paix échappe à la tristesse en se renouvelant à chaque pas. Comme les danseurs, les élus du bon gouvernement doivent rester en éveil.

 

 

 

Quinze ans plus tard, en 1353, je regarde autrement la fresque, elle est si différente de ce qu’il s’est passé. Les spéculations ont entrainé une grave crise du crédit. Les neuf élus, toujours des notables, ont préféré sauver les banques. Le peuple a plongé dans la misère. Le gouvernement a été destitué dans l’infamie puis la peste a ravagé Sienne. Il nous reste cette fresque et le programme politique qu’elle exprime. Pour la première et la seule fois au moyen âge, l’autorité de la commune s’y affirme, hors du pouvoir des aristocrates et de l’église. Un idéal dans lequel tous les individus sont libres de circuler et de parler mais où chacun reste à sa place dans la société.

 

***

 

Détails de la fresque

 

Lorenzetti représente un cortège haut en couleurs – un cortège nuptial, ce que corrobore le médaillon représentant Vénus situé juste au dessus  sur la frise du mur.

Une jeune femme couronnée, l’air fier, sur un magnifique cheval blanc tenu en bride par un palefrenier, est suivie par deux cavaliers ( le premier serait son époux) et deux serviteurs à pied, pendant que deux femmes nobles la regardent avec admiration.

 

Juste derrière eux, un groupe d’hommes, sous un porche, semblent s’adonner au jeu. Peut-être jouent-ils aux dés et peut-être est-ce pour cela qu’une partie de la fresque a été effacée, semble-t-il volontairement, car les jeux de hasard et d’argent n’ont pas leur place dans une cité paisible.

 

 

 

Dans cette autre partie de la fresque, Lorenzetti nous donne à voir la diversité des activités marchandes de la ville.

 

On reconnait des artisans et des commerçants de toutes professions : des fabricants de chausses, un boucher ou un épicier, plus loin à droite, un tisserand…

 

 

 

Un cordonnier vend une paire de chaussures à un client à la chevelure blonde accompagné  d’une ânesse que tête son ânon. Derrière le métier à tisser, un banquier vérifie ses comptes dans ses livres ouverts sur un  comptoir sur son comptoir. Un moine franciscain tonsuré et des paysans apportent leurs produits à vendre en ville (des oeufs, du bétail,  des céréales…) alors qu’un autre contadino s’apprête à sortir de la ville avec son troupeau.

 

Entre le cordonnier et le boucher, un docte professeur, dans sa chaire, dispense sa leçon à un groupe de jeunes gens attentifs. Ainsi, les activités artisanales et intellectuelles figurent dans un même espace, montrant leur importance et leur complémentarité.

 

 

 

Plus haut dans la fresque, Lorenzetti nous montre la ville en mutation. Ici, des maçons et des couvreurs terminent la construction d’un palais. La cité idéale n’est pas figée, elle vit et s’agrandit. La paix et la concorde dans la cité favorisent l’essor de toutes les activités marchandes. Pas une arme en vue, aucun conflit ne semble prêt à troubler le calme. Tous vivent en harmonie. Comme le dit l’inscription,  » La vie est douce et reposante »

 

 

 

Le groupe de danseuses a fait l’objet de nombreuses discussions au cours des siècles. On y voit un joueur de tambourin  chantant à tue-tête et un groupe de neuf danseuses. A moins qu’il ne s’agisse d’un groupe de danseurs car leur coupe de cheveux courts et leur poitrine plate font dire à certains commentateurs qu’ll d’agit de jeunes hommes. Quoi qu’il en soit, ce groupe mène un ronde joyeuse au centre de la fresque. Plutôt qu’une ronde,  il s’agit plus précisément d’une « ridda », danse plus débridée et moins ordonnée que la ronde.

 

 

Ils portent sur leurs tuniques d’étranges signes évoquant des larves, des vers, des chenilles, des libellules ou des papillons. Patrick Boucheron * fait observer que ces signes sont des symboles de tristesse et de mélancolie. En organisant au centre de la cité des divertissements de musique et de danse, la République chercherait-elle à prévenir le risque que la morosité et la lassitude ne gagnent les citoyens car, toute prospère et pacifique que soit la cité, elle peut parfois paraître triste, austère et répressive.

 

 

***

 

*  Patrick Boucheron nous dit : 

Le palais communal est l’espace de mise en commun. Tout le monde peut y aller. C’est l’espace de la direction, du gouvernement mais c’est aussi l’espace qui symbolise la commune. La commune est une forme d’auto-gouvernement que l’Italie a connue depuis la fin du XII ème siècle et qui commence à être attaquée insidieusement par une forme politique qui lui est contraire : la Seigneurie. La Seigneurie est une forme autoritaire de gouvernement, celui d’un seul.

Voilà que les communes italiennes si fières de leur régime politique se sentent cernées par un principe qui va progressivement le subvertir et qu’ils appellent, car ils n’ont pas d’autre mot que des mots anciens pour désigner ce qu’il craignent de voir advenir : la tyrannie.

En 1338, Sienne est une commune qui craint de tomber dans la tyrannie. 

Comment fait-on lorsqu’un régime politique auquel on tient est subverti ou menacé, quand rode le danger. Comment peut on conjurer ce danger là ?

Les communes italiennes n’avaient pas d’autre défense que la mise en beauté du pouvoir. il n’y a pas que par les images, c’est aussi par les murs, par les mots qu’il tentent de se protéger de ce danger qui arrive.

Ambrogio Lorenzetti  est le peintre de confiance de ce régime qu’on appelle le régime des neuf, prend les pinceaux et peint:  « Effetti del Buon Governo in Città » (Effets du Bon Gouvernement dans la Ville), 1338-1339.

 

La fresque s’étend sur trois des quatre murs de la salle du palais communal. Il écrit avec la solennité du latin : 

« VOLGIETE GLIOCCHI ARIMIRAR COSTEI VOCHE REGGIETTE CHE QUI / FIGURATA. (E) P(ER)SVE CIELLE(N)ÇIA CORONATA. LAQVAL SE(M)PRA / CIASCVN [………….. /……….] DELÀ CITTÀ DVE SERVATA / QUESTA VI(R)TU KEPIV DALTRA RISPRENDE. ELLA GVARD(A)E DIFENDE / CHI LEI ONORA (E) LOR NVTRICA (E) PASCIE. DA LA SVO LVCIE NASCIE / EL MERITAR COLOR COPERAN BENE. (E) AGLINIQVI DAR DEBITE PENE. »

 

« Ambrogio Lorenzetti  peintre de Sienne a peint ceci de part et d’autre : untri et untrinque, cela signifie: ici la paix là la guerre, ici le réalisme d’une cité affairée mais pacifiée par la justice, là la tyrannie et la discorde. Ambrogio Lorenzetti peint le bon gouvernement et le mauvais gouvernement, la cité en guerre et la cité en paix. Il tente par la peinture de faire obstacle à ce danger imminent. La peinture déborde ici de son cadre originel. Lorenzetti peint en état d’urgence. dit ce qu’est une démocratie qui se subvertit, ce qu’est un esprit public qui ne trouve plus ses mots.

Force politique des images, subversion de la démocratie, esprit public qui ne trouve plus ses mots, emploie l’un pour l’autre, Lorenzetti ramène les mots à leur réalité. Ici la paix, là la guerre. Le bon gouvernement n’est pas celui qui est inspiré par des principes justes ou exercé par des principes vertueux, mais celui qui ici, maintenant pour chacun d’entre nous, produit des effets bénéfiques : la nécessité en période de gros temps de rassembler l’énergie, de mobiliser les émotions collectives, de rappeler le sens des mots, de prendre des décisions au sens politique, ici, là, d’un côté, de l’autre, de répondre à l’injonction pressante, poignante, sans doute pour aujourd’hui, de ce qui brûle d’actualité.

                                                                             …

 

 

2 Comments

  1. Chantal Leygonie 26 février 2023 at 18 h 53 min

    Encore une fois un grand merci pour cette belle proposition.
    Pour avoir vu cette fresque reconstituée à Rouen il y a quelques années, je regrette cependant que les deux autres panneaux ne soient pas évoqués
    Néanmoins c’est toujours avec grand plaisir que je découvre vos messages.
    Bien cordialement

  2. jpdurand 27 février 2023 at 11 h 06 min

    Bravo, et merci encore pour tous ces articles qui invitent à réflexions et au plaisir d’apprendre !! Il est vrai que le panneau du mauvais gouvernement nous manque surtout avec l’analyse mélancolique qui en est faite. La réponse à l’occupation d’une jeunesse désœuvrée et sans travail car vivant des ressources de la spéculation et des loyers n’est-elle pas la guerre ?? Guerre nécessaire contre les animaux ( d’où une autre justification de la chasse ) ou guerre contre les autres cités ??? Comme le signale une chronique de François Morel sur France Inter : au paradis, qu’est-ce qu’on s’emmerde !!

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