///Le signe linguistique: tiers inclus de la juxtaposition du Signifiant et du Signifié

Le signe linguistique: tiers inclus de la juxtaposition du Signifiant et du Signifié

By | 2018-03-08T16:04:49+01:00 27 novembre 2017|Linguistique|6 Comments

Thème du tiers inclus: Les polarités en jeu sont le Signifiant et le Signifié qui composent le signe linguistique. En termes plus triviaux, le son et le sens qui composent le mot. Mystère de la relation entre la pensée et son expression dans les langues.

Le concept de  « Valeur » linguistique défini par Ferdinand de Saussure,  émane quant à lui du tiers inclus de la relation entre ces signes linguistiques

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Cet article est un extrait du chapitre IV du Cours de linguistique Générale ( CLG) de Ferdinand de Saussure

1.  La valeur linguistique dans son aspect conceptuel : Le signifié : (Sé)

Lorsqu’on parle de la valeur d’un mot, on pense généralement à la propriété qu’il a de représenter une idée. Ça n’est là, en effet qu’un des aspects de la valeur linguistique. Saussure nous rappelle en quoi cette valeur diffère de la signification. La valeur, dans son aspect conceptuel, est un élément de la signification, il est très difficile de savoir comment elle s’en distingue tout en étant sous sa dépendance. Il convient d’éclaircir cette notion sous peine de réduire la langue à une simple nomenclature.

La signification n’est pas que la contre partie d’une image auditive.

Tel est le paradoxe de la question : d’un côté, le concept nous apparaît comme la contre partie de l’image auditive à l’intérieur du signe linguistique , Sé/Sa et de l’autre, ce signe lui-même, c’est-à-dire la rapport qui relie ces deux éléments, est aussi, et tout autant, la contre partie des autres signes de la langue, ceci car la langue est un système dont tous les termes sont solidaires, et où la valeur de l’un ne résulte que de la présence simultanée des autres:

Sé/ Sa  ~  Sé/Sa ~ Sé/Sa  ~ Sé/Sa   ……

Comment se fait-il que la valeur, ainsi définie se confonde avec la signification, c’est-à-dire avec la contre partie de l’image auditive. Il semble difficile voire impossible d’assimiler les rapports figurés entre les ~   horizontaux et les  ~ verticaux.

Autrement dit, pour reprendre la comparaison avec la feuille de papier que l’on découpe, on ne voit pas pourquoi le rapport constaté entre les morceaux A, B, C , D, … n’est pas distinct de celui qui existe entre le recto et le verso d’un même morceau, soit A/A’ ; B/B’ ; C/C’ ….

Pour répondre à cette question, nous dit toujours Saussure, constatons d’abord que même en dehors de la langue, toutes les valeurs semblent régies par le même principe paradoxal : elles sont toujours constituées :

  1. Par une chose dissemblable susceptible d’être échangée contre celle dont la valeur est à déterminer ; (exemple on peut échanger un euro contre une baguette de pain)
  2. Par des choses similaires qu’on peut comparer avec celle dont la valeur est en cause. (on peut échanger un euro contre 1,36 $)

Ces deux facteurs sont nécessaires pour l’existence d’une valeur.

De même un mot peut être échangé contre quelque chose de dissemblable, une idée, mais peut être comparée à quelque chose de même nature : un autre mot. Sa valeur, n’est donc pas fixée tant que l’on se borne à constater qu’il peut être échangé, il faut encore le comparer avec les autres mots qui lui sont opposables. Son contenu n’est vraiment déterminé que par le concours de ce qui existe en dehors de lui. Faisant partie d’un système, il est revêtu non seulement d’une signification mais aussi et surtout d’une valeur.

C’est tout autre chose.

   Exemples:

– Le français « mouton » peut avoir la même signification que l’anglais « sheep », mais non la même valeur. Car pour parler d’une pièce de viande apprêtée et servie sur la table, l’anglais dit « mutton » et non « sheep ». La différence entre « sheep » et « mutton » tient à ce que le premier a à côté de lui un second terme, ce qui n’est pas le cas pour le mot français. Dans l’intérieur d’une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent réciproquement : des synonymes comme redouter, craindre, avoir peur, n’ont de valeur propre que par leur opposition : si redouter n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents. A l’inverse, certains termes s’enrichissent par contact avec d’autres, par exemple, l’élément nouveau introduit dans décrépit, (un vieillard décrépit), résulte de la coexistence de décrépi (que l’on trouve dans  « un mur décrépi »).

Ainsi, la valeur de n’importe quel terme est déterminé par ce qui l’entoure.

– Ceci s’applique également aux entités grammaticales. Ainsi la « valeur » d’un pluriel français ne recouvre pas celle d’un pluriel sanscrit, bien que la signification soit le plus souvent identique : le sanscrit possède trois nombres au lieu de deux : mes yeux, mes oreilles, mes bras, mes jambes seraient au Duel. Il serait dont inexact d’attribuer la même valeur au pluriel en sanscrit et en français, puisque le sanscrit ne peut pas employer le pluriel dans tous les cas où il est de règle en français. Sa « valeur » dépend donc bien de ce qui est en dehors et autour de lui.

– Le français dit indifféremment « louer » (une maison), pour « prendre à bail » et « donner à bail », là où l’allemand emploie deux termes : « mieten » et « vermieten ». Il n’y a donc pas correspondance exacte des valeurs.

– La flexion des temps est étrangère à certaines langues. L’hébreu ne connaît pas celle, pourtant fondamentale entre le passé, le présent et le futur. Le proto-germanique n’a pas de forme propre pour le futur. Lorsqu’on dit qu’il le rend par le présent, on s’exprime improprement, car la « valeur » d’un présent n’est pas la même en germanique que dans les langues pourvues d’un futur à côté du présent. Les langues slaves distinguent régulièrement deux aspects du verbe : le perfectif représente l’action dans sa totalité, comme un point en dehors de tout devenir, et l’imperfectif la montre en train de se faire, sur la ligne du temps. Ces catégories font difficulté pour un français, parce que la langue les ignore.

Tous ces exemples permettent de concevoir la notion de « valeur ».

Si ces valeurs correspondent à des concepts, il est important de souligner que ceux-ci sont purement différentiels. Définis non pas positivement par leur contenu, mais négativement par leurs rapports avec les autres termes du système. Leur plus exacte caractéristique est d’être ce que les autres ne sont pas.

On voit dès lors l’interprétation réelle du schéma du signe linguistique :

Lorsqu’on qu’un mot signifie quelque chose, on s’en tient à l’association d’une image acoustique et d’un concept, opération partiellement exacte donnant une idée de la réalité, mais n’exprimant en aucun cas le fait linguistique dans son essence et dans son ampleur, ce qui est en revanche exprimé par la notion de « valeur » linguistique. »

1.2  La valeur linguistique dans son aspect matériel : le Signifiant : (Sa)

« Si la partie conceptuelle de la valeur est constituée uniquement des rapports et des différences avec les autres termes de la langue, on peut en dire autant de sa partie matérielle. Ce qui importe dans le mot, ce n’est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tous les autres, car ce sont elles qui portent la signification.

Saussure le démontre au travers de nombreux exemples tirés de multiples langues, en tchèque, en grec…le son, élément matériel, n’appartient pas à la langue, il est pour elle une matière qu’elle met en œuvre. Ainsi ce n’est pas le métal d’une pièce de monnaie qui en fixe la valeur, un «écu » ne contient même pas la moitié de cette somme en argent, il vaudra plus ou moins avec telle ou telle effigie, plus ou moins en deçà ou au-delà d’une frontière politique.

 

Cela est vrai du signifiant linguistique (Sa). Dans son essence, il n’est aucunement phonique, il est incorporel, constitué non pas par sa substance matérielle, mais uniquement par les différences qui séparent son image acoustique da toutes les autres.

Ce principe s’applique à tous les éléments de la langue, y compris aux phonèmes. Ce qui les caractérise n’est pas comme on pourrait le croire, leur qualité propre et positive mais le fait qu’ils ne se confondent pas entre eux. Les phonèmes sont des entités oppositives, relatives et négatives. Ceci est prouvé par la latitude dont les sujets jouissent pour la prononciation dans la limite où les sons restent distincts les uns des autres. Ainsi, en français, l’usage général de grasseyer le « r », n’empêche pas un certain nombre de le rouler.

La compréhension n’en est nullement troublée, elle ne réclame que la différence distinctive et n’exige pas que le son ait une qualité invariable. Si je dis «rouler » ou « rlouler », la compréhension n’est pas perturbée.

L’on peut même prononcer le « r » comme le « ch » en allemand dans « Bach », « Doch »… tandis qu’en allemand, on ne pourrait pas employer le « r » comme « ch » car la langue reconnait les deux éléments qui deviennent alors distinctifs. De même en russe, il n’y aura pas de latitude pour « t » à côté de « t’ » (t mouillé), car la langue les différencie : « govorit’= parler, et govorit= il parle) mais il y aura une plus grande liberté du côté de « th » ( le « t » aspiré) car ce son n’est pas prévu dans le système des phonèmes russes.

On constate un état de choses identique dans le système de l’écriture : les signes de l’écriture sont arbitraires, aucun rapport par exemple entre la lettre « t » et le son qu’elle désigne, la valeur des lettres est purement négative et différentielle, une même personne peut écrire le « t » avec de multiples variantes. L’essentiel est que ce signe ne se confonde pas avec les autres « l », « d », …les valeurs de l’écriture, de la même façon, n’agissent que par leur opposition réciproque au sein d’un système défini, composé d’un nombre déterminé de lettres. »

1.3  Le signe considéré dans sa totalité

Le signe linguistique émane de la coexistence de deux éléments définis négativement, le Signifiant ( Sa) et le Signifié (Sé), cette définition négative ouvrant la porte à l’infini des possibles. Une fois constitué, ce signe n’en est pas pour autant fixé, il est au monde au travers d’un paradigme vivant. Ce n’est qu’au voisinage d’autres signes que se restreindra ce paradigme, permettant ainsi l’émergence de la signification et donc la communication.

Au risque de s’exposer à la critique, citons ici Protagoras : Tout est mouvement, disait-il, et il n’y a rien de plus. Or le mouvement est de deux espèces dont chacune est infinie en nombre. Mais, quant à leur nature, l’une est active et l’autre passive. De leur concours et de leur frottement mutuel, se forment des productions infinies et rangées sous deux classes, l’une du sensible, l’autre de la sensation, laquelle coïncide toujours avec le sensible et est engendrée en même temps que lui. Comme il ne peut y avoir d’agent que par rapport à un patient, de sensible que pour la sensation, d’objet que pour un sujet, il n’y a rien qui existe ou se produise en soi et par soi, il n’y a que des relations.

« Dans la langue comme, nous le verrons, dans beaucoup d’autres systèmes, il n’y a que des différences [1], sans terme positif différences conceptuelles et différences phoniques issues de ce système. La « valeur » d’un terme peut être modifiée sans qu’on touche ni à son sens, ni à ses sons, mais seulement par le fait que tel autre terme voisin aura subi une modification. Le système linguistique est une série de différences de sons combinée à une série de différence d’idées.

Bien que le Sa et le , chacun pris à part, soient purement différentiels, leur combinaison est un fait positif. 

La langue est un système merveilleux dont l’équilibre se construit autour des différences, différences phoniques, différences conceptuelles, différences consubstantielles de cette relation inhérente aux valeurs des signes linguistiques co-existants.[2]

[1] Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, édition originale : 1916, édition 1979 : Payot, Paris. P 166. (ISBN 2-2285-0068-2),

[2] « La linguistique devrait retrouver, selon Saussure, les objets traditionnels de la morphologie, de la lexicologie et de la syntaxe mais aussi ceux de la rhétorique et de la stylistique. Elle unifie ses objets sur la base du principe d’oppositivité intra-systémique ( nommé encore négativité, différence, kénôme) , les concevant comme constituants d’une mathésis linguistica. «  Toute espèce d’unité linguistique représente un rapport, et un phénomène est aussi un rapport. Donc tout est rapport. Les unités ne sont pas phoniques, elles sont créées par la pensée. Tous les phénomènes sont des rapports entre des rapports. Ou bien parlons de différences, : tout n’est que différence utiliée comme opposition , et l’opposition donne la valeur »

Ferdinand de Saussure, Ecrits de linguistique générale, NRF, Editions Gallimard, p10, p93

6 Comments

  1. Koniarz 10 janvier 2018 at 23 h 17 min

    Le paragraphe sur le concept de la valeur linguistique chez Saussure en relation avec un tiers inclus hypothétique n’obtient pas mon adhésion, cher Claude. Le concept de valeur ne peut pas émaner du tiers inclus de la relation ENTRE les signes linguistiques (signifiant / signifié) mais la valeur émane EXCLUSIVEMENT du contexte de la phrase. J’en veux pour preuve le mot de Saussure : « même la valeur du mot signifiant soleil ne peut être immédiatement fixée QUE si l’on considère ce qu’il y a autour »(CLG)
    Donc UNIQUEMENT du contexte de la phrase. Affirmer que la valeur émane du tiers inclus de la relation ENTRE le signifiant et le signifié me surprend, Claude, cela dépasse mon entendement. quelque chose doit m’echapper,

  2. Claude Plouviet 11 janvier 2018 at 2 h 38 min

    Le tiers inclus est relationnel.
    Il existe deux types de relations:
    1. la relation entre le signifiant et le signifié: ce qui compose le signe linguistique
    2. La relation entre les signes linguistiques, ce qui engendre le concept de valeur linguistique

    Il ne faut pas confondre les deux même s’ils sont liés l’un à l’autre

  3. jc 16 mars 2020 at 14 h 52 min

    (Encore une réclame pour l’oeuvre de René Thom.)

    Parallèlement à sa tentative de théorisation de la biologie (Stabilité Structurelle et Morphogénèse, 1972) Thom a proposé une théorie linguistique -originale car géométrique- qui me semble -je n’y connais rien hors du prisme thomien- plus proche de Tesnière et Jakobson que de Saussure.

    Je trouve fascinant (certains trouveront sans doute plutôt ses propos délirants) ce qu’il dit du rapport entre biologie et linguistique dans le dernier chapitre de SSM (deuxième édition, 1977 -ne figure pas dans la première). Rapport suspecté par Tesnière:

    « Il apparaît donc que l’avenir des recherches de syntaxe est dans l’investigation intra-nucléaire qui, seule, pourra permettre de reconnaître à l’intérieur du nucléus, les phénomènes qui y siègent et qui procèdent, dans l’ordre intellectuel, de structures au moins aussi compliquées que le sont celles de la cellule, de la molécule et de l’atome dan l’ordre matériel. »

    Thom est principalement connu -je crois- pour sa théorie des catastrophes, et en particulier pour ses sept catastrophes élémentaires qui permettent, selon lui, de modéliser les conflits entre deux, trois ou quatre actants. La théorie thomienne des catastrophes est, au dire de son auteur, une théorie de l’analogie. Elle permet à Thom d’écrire en conclusion de SSM:

    « Les situations dynamiques régissant l’évolution des phénomènes naturelles sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l’évolution de l’homme et des sociétés »,

    citation qui renvoie aux intuitions de Tesnière.

    Le cas des verbes divalents et de la phrase transitive SVO me semble particulièrement bien adapté à un traitement lupascien. Thom n’hésite pas à faire l’audacieuse analogie entre le linguistique Sujet-Verbe-Objet et le biologique Endoderme-Mésoderme-Ectoderme.

    En rapport étroit avec ses catastrophes élémentaires Thom dresse une liste de seize morphologies archétypes, chacune associés à des verbes qu’il est tentant de qualifier également d’archétypes: être, commencer, finir, changer, capturer, émettre, faillir, cracher, rejeter, traverser, secouer, donner, envoyer, prendre, lier, couper.

    Vers la fin de sa vie Thom met en scène audiovisuelle¹ quelques unes de ses idées « catastrophiques » qu’il considère comme fondamentales. La partie linguistique va de 28’40 à 32’30.

    ¹: https://www.youtube.com/watch?v=fUpT1nal744

  4. jc 19 mars 2020 at 17 h 43 min

    Je vais tenter ici un commentaire plus lupascien que le précédent (qui ne l’était quasiment pas du tout).

    Quand un quidam, après avoir contemplé un tableau d’art abstrait, conclut que ça ne veut rien dire pour lui, c’est une façon de dire que ça ne veut rien dire d’autre que ce qui est présenté: le représenté (le signifié) coïncide dans ce cas exactement avec le présenté (le signifiant): lupascosité maximale pour ce quidam que le tableau laisse indifférent.

    Un jeune français contemplant le tableau constitué par le dessin présenté en tête de cet article, s’exclamera sans doute « Oh! un cheval » et évoquera peut-être -renvoi symbolique pavlovien- les chevaux qu’il a pu connaître « en vrai »ou les soirs ou sa mère lui apprenait à reconnaître nommer les anim

    Un quidam contemplant le tableau présentant les idéogrammes chinois signifiant « cheval » se représentera un « vrai » cheval s’il est chinois (lupascosité vraisemblablement faible, arbitraire du signe oblige -sans doute, je ne connais pas le chinois-) alors qu’un français dira sans doute que ça ne représente rien (en ajoutant peut-être: c’est du chinois…).

    Ce qui suit tente d’expliquer la façon dont -je crois- Thom voit la linguistique (cf. mon précédent commentaire).

    En suivant Margitte, un tableau représentant la photographie d’une flèche avec la légende « Ceci n’est pas une flèche » intriguera peut⁻être encore plus que l’original parce qu’une flèche est pratiquement 2D (alors qu’une pipe est 3D): la lupascosité -adéquation du signifiant et du signifié- est ici presque maximale. Thom va même jusqu’à écrire qu’elle est universellement maximale pour l’homme, car tout homme interprétera ce signifiant comme le sens à suivre, même, dit-il, dans une société qui ne connaît pas la flèche (la flèche comme forme génétique, selon Thom).

    Une sculpture de pénis, de lèvre ou d’oeuf sera reconnue comme telle par l’universalité des humains, et sans doute par certains animaux car ce sont des formes génétiques. Mais, à la différence des tableaux d’art abstraits qui ne signifient rien pour le quidam et qui ont quand même une lupascosité maximale, Thom exprime cela en disant qu’il y a remontée symbolique pavlovienne vers la forme génétique, forme source douée d’une forte charge affective qui ne laisse pas indifférent celui qui la voit (et déclenche en général une action); dans ce cas il y a une lupascosité maximale, universelle, et chargée d’affect.

    L’une des citations récurrentes de Thom est héraclitéenne: « Le Maître, dont l’oracle est à Delphes, ne dit ni ne cache, il signifie », que Thom traduit en langage contemporain par: « La nature nous envoie des signes qu’il nous appartient d’interpréter. » Et pour lui ces signes sont des formes structurellement stables, formes tellement intersubjectives (universelles pour les humains et sans doute pas que) qu’il est légitime de les qualifier d’objectives.

    Thom (je fais de la réclame) a dit voir en 4D dès l’âge de 11 ans et il a peut-être « vu » des formes génétiques que le commun des mortels ne verra jamais; Quant aux formes génétiques « universelles » Thom appelle « catastrophe champignon » la plus compliquée des catastrophes élémentaire, l’ombilic parabolique, par référence explicite¹ au phallus impudicus.

    ¹: Stabilité structurelle et morphogenèse, 2ème ed., p.192

  5. jc 30 mars 2020 at 8 h 53 min

    Je commente le « La signification n’est pas que la contre partie d’une image auditive. »

    Thom: « Je suis tenté de croire que l’aspect fondamental de la signification est celui-là: l’identification du sujet avec une forme extérieure. », citation qui renvoie aux formes génétiques évoquées dans mon précédent commentaire et également à la définition thomienne de l’intelligence: la faculté de s’identifier à autre chose, à autrui.

    Thom pense que « (…) aucune théorie un peu profonde de l’activité linguistique ne peut se passer du continu géométrique (relativisant ainsi toutes les tentatives logicistes qui fleurissent chez les Modernes), et a consacré à ce sujet tout un article « princeps », « Topologie et signification » (cf. son « Méthodes mathématiques de la morphogenèse »).

    Mais ce que je vais commenter ici, c’est le « image auditive ». Car la signification est évidemment également la contrepartie d’une image visuelle lorsqu’on a affaire à la signification d’un phénomène audiovisuel. (Ce qui suit ne va pas du tout dans la direction de la suite donnée dans l’article à cette phrase initiale.)

    Lupasco écrit dans son article « Valeurs logiques et contradiction » (1945): « Le géométrique, selon l’exemple que donne M. A. Reymond lui-même, ne possède pas, dans le corps même de la science constituée, d’antigéométrique. » Pour moi, le géométrique en possède une, et c’est pour moi, sans aucune hésitation, l’arithmétique.

    On sait que les rapports entre l’arithmétique et la géométrie sont fondamentaux en mathématiques, que ce rapport fonde en quelque sorte les mathématiques, les matheux modernes ayant étendu l’initiale géométrie arithmétique pythagoricienne à la géométrie algébrique, à la géométrie différentielle, à la géométrie analytique, etc. Le lien avec ce qui précède, et donc avec le présent article, est alors immédiat: l’auditif renvoie à la musique et donc à l’arithmétique (Pythagore a été l’un des premiers -le premier en Occident?- à théoriser la musique), alors que le visuel renvoie évidemment à la géométrie. Cela laisse entrevoir une possibilité autre que celle envisagée plus haut par Thom: peut-être peut-on envisager une théorie linguistique « duale » de celle de Thom, fondée non pas sur le continu géométrique mais sur le discret arithmétique? Synchronie arithmétique (musique des nombres) vs diachronie géométrique? Opposition fondamentale (c’est pratiquement l’opposition onde/corpuscule!) susceptible d’être traitée « à la Lupasco »?

    Le problème est, selon moi, merveilleusement introduit dans le chapitre « Caïn et Abel » -Caïn le sédentaire et Abel le nomade- de « Le règne de la quantité… » par René Guénon. Je reproduis ici ce passage;

    « Il y a ceci de remarquable, que, parmi les facultés sensibles, la vue a un rapport direct avec l’espace, et l’ouïe avec le temps : les éléments du symbole visuel s’expriment en simultanéité, ceux du symbole sonore en succession ; il s’opère donc dans cet ordre une sorte de renversement des relations que nous avons envisagées précédemment, renversement qui est d’ailleurs nécessaire pour établir un certain équilibre entre les deux principes contraires dont nous avons parlé, et pour maintenir leurs actions respectives dans les limites compatibles avec l’existence humaine normale. Ainsi, les sédentaires créent les arts plastiques (architecture, sculpture, peinture), c’est-à-dire les arts des formes qui se déploient dans l’espace ; les nomades créent les arts phonétiques (musique, poésie), c’est-à-dire les arts des formes qui se déroulent dans le temps ; car, redisons-le encore une fois de plus à cette occasion, tout art, à ses origines, est essentiellement symbolique et rituel, et ce n’est que par une dégénérescence ultérieure, voire même très récente en réalité, qu’il perd ce caractère sacré pour devenir finalement le « jeu » purement profane auquel il se réduit chez nos contemporains. »

    Je « sens bien » l’audio du côté de la synchronie, donc de l’homogénéisation lupascienne et le video du côté de la diachronie et de l’hétérogénéisation. Le « Om » des religions orientales source auditive de vie « en puissance », se différenciant progressivement pour s’immortaliser à la fin des temps dans une forme visuelle « en acte »? (Je rappelle que je vois les choses dans un sens opposé à celui de Lupasco.)

    L’antagonisme audio/video, un antagonisme fondamental? En mathématiques le problème soulevé porte le nom de problème de Kac, initialement formulé ainsi: « Peut-on entendre la forme d’un tambour? http://www.cnrs.fr/publications/imagesdelaphysique/couv-PDF/imagephys98/86-93.pdf

    Que dit Lupasco au sujet de l’antagonisme audio/video, c’est-à-dire, en fait, au sujet de l’antagonisme temps/espace?

    NB:
    Thom: « Parler nos pensées les détruit. » J’ai envie de lui répliquer: « Écrire nos pensées les construit. » Les paroles s’envolent, les écrits restent…
    Thom: « La physique est une magie contrôlée par la géométrie. » J’ai envie de lui répliquer: « La physique est une magie contrôlée par l’arithmétique. » Plutôt j’ai envie de préciser: 1. »La physique classique est une magie contrôlée par la géométrie. »; 2. « La physique quantique est une magie contrôlée par l’arithmétique. » Quantique rime avec arithmétique.

  6. jc 30 mars 2020 at 9 h 34 min

    Guénon: « Au moment même où le temps semblait achever de dévorer l’espace, c’est au contraire l’espace qui absorbe le temps ; et c’est là, pourrait-on dire en se référant au sens cosmologique du symbolisme biblique, la revanche finale d’Abel sur Caïn. »

    La revanche finale de la géométrie sur l’arithmétique? (Cf. mon précédent commentaire)

    Les espaces de Hilbert jouent un rôle fondamental pour théoriser la mécanique quantique (axiomatisation de von Neumann). Et le principe d’incertitude de Heisenberg est pratiquement un théorème mathématique sur la transformation de Fourier (théorème de, entre autres, H. Weyl).

    Dans la version ENS de son topo sur les topos, qui prolonge la version tiersinclus, Alain Connes écrit:

    « L’une des découvertes les plus convaincantes dans ce domaine [de l’analyse semi-classique] est due à Maslov, Kolokolstov et Litvinov [26]. Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rôle fondamental dans la physique n’est autre que la transformation de Fourier dans le cadre de l’analyse idempotente! De plus l’algèbre de caractéristique 1 est le bon cadre pour développer la thermodynamique (il serait profitable de s’atteler à la tâche de la réécrire en utilisant R max+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage à la limite semi-classique. »

    Je « sens » cette identification des transformées de Legendre et de Fourier -pour moi totalement improbable, inimaginable- comme typiquement T-lupascienne. Et je « flaire » que le(s?) mystérieux semi-corps de caractéristique 1 y est également.

    Pour moi, toujours au flair, la revanche finale d’Abel sur Caïn, c’est la revanche de l’espace métrique séparable universel d’Urysohn sur l’espace de Hilbert séparable. Force doit rester au masculin, même si tout le monde est mort à la fin…

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