///Jean-Marc BENHAIEM : Quand les pensées dominent le corps, entre Mode sensoriel et mode mental

Jean-Marc BENHAIEM : Quand les pensées dominent le corps, entre Mode sensoriel et mode mental

By | 2025-01-21T20:04:27+01:00 25 janvier 2025|Hypnose, Médecine|0 Comments

Thème du tiers inclus: L’hypnose

Antagonismes en interaction : Entre Mode sensoriel et mode mental, entre pensée et corps

 

QUAND LES PENSEES DOMINENT LE CORPS…

Dr Jean-Marc BENHAIEM

 Directeur du Diplôme Universitaire

d’Hypnose Médicale -Paris VI, Pitié-Salpêtrière

Ancien attaché Centres de traitement de la douleur

Hôpitaux Ambroise Paré (92) et Cochin (75)

Centre médical Hypnosis.fr

 

Nous remercions le docteur Jean-Marc Benhaiem de publier cet article sur le site tiersinclus.fr

 

Cet article annonce le colloque Présentiel et distanciel du SAMEDI 21 JUIN 2025 

 Pitié-Salpêtrière – 91 Bd de l’Hôpital – Paris 13°,  9h-17h – Amphi D, sur le thème

LA RUMINATION MENTALE : COMMENT LA SOIGNER ?

Renseignements et inscriptions:
Association AFEHM – Tél. : 01 42 56 65 65
19 av Franklin Roosevelt 75008 Paris.
Site : www.hypnose-medicale.com
Intervenants
 Dr Jean-Marc BENHAIEM.
Pr David LE BRETON, Anthropologue et Sociologue
Cynthia FLEURY, Philosophe – Fabrice MIDAL, Philosophe méditant
Aurélie BLAINEAU et Pascale CHAMI, Psychologues

 

***

 

Les accès dépressifs, les comportements addictifs, les phobies, proviennent d’une forte intensité de l’acte de penser. Cette suractivité du mental pousse vers une dramatisation, une anticipation anxieuse, des pensées tristes, une humeur dépressive. Lorsque les pensées se multiplient (ressassement, culpabilité), les fonctions physiologiques et cérébrales s’en trouvent perturbées : tension musculaire, anxiété, idées noires, idées suicidaires (dans le but de quitter la souffrance ressentie). Le corps se retrouve dominé par le mental qui le malmène. L’objectif de cette communication écrite est de mettre en lumière l’origine des accès dépressifs et des visions négatives afin de proposer des techniques hypnotiques d’accompagnement afin de mettre fin aux ruminations et aux obsessions chroniques, à leurs conséquences toxiques sur l’humeur et la vitalité d’une personne. Le soin médical de ces perturbations a pour but de rétablir un équilibre entre pensée et corps.

 

INTRODUCTION

 

L’hypnose thérapeutique peut aider une personne souffrant de dépression ( Miaozun Shih, Yuan-Han Yang et Malcolm Koo, 2009). Sous hypnose, plusieurs exercices sont proposés pour retrouver cet équilibre.

Dans cette étude publiée en 2009, il apparait que l’hypnose améliore considérablement les symptômes de la dépression et constitue une intervention non pharmacologique valide dans son traitement. Selon l’ancienneté et la gravité de la dépression, il peut être nécessaire de recourir à des médicaments anti-dépresseurs et à des anxiolytiques voire à une hospitalisation. L’hypnose viendra donc s’ajouter à un suivi thérapeutique. La pratique de l’hypnose est conseillée sur des accès de « déprime », des coups de « blues », des dépressions légères ou moyennes ou en cas d’intolérance à des médicaments. Les cas de patients avec diagnostic d’épisode dépressif majeur sévère sans caractéristiques psychotiques peuvent aussi bénéficier d’une approche hypnotique pratiquée par des psychiatres formés à cette thérapie (Michael Yapko, 2001, p 97-108).

 

 

ILLUSTRATION PAR DES CAS CLINIQUES

 

La thérapie hypnotique débute par l’entrée en relation avec les patients pour entendre et comprendre le chemin qui les a menés à devenir tristes, pessimistes parfois accompagnées d’ envies suicidaires. Le psychiatre Carl Gustav Jung insiste sur la nécessité de connaître le patient et de tisser une relation de confiance.

« Pour moi, la véritable thérapie ne commence qu’une fois examinée l’histoire personnelle. Celle-ci représente le secret du malade, secret qui l’a brisé. En même temps cette histoire renferme la clé du traitement. Poser des questions qui concernent la personne dans sa totalité et ne pas se borner à un seul symptôme. » (Jung, Ma vie, 1967, p 143).

 

Les praticiens en hypnose reçoivent régulièrement des demandes pour soigner des dépressions secondaires à  des difficultés personnelles et professionnelles. Un exemple reçu sur internet :

 

Bonjour, Je souhaiterais prendre rendez-vous car je fais une dépression suite à une année très chargée. Changement de ville prévu cet été, gestion de travaux de rénovation à distance, impression d’être prisonnière au travail depuis plusieurs mois … Là, ces petites choses me semblent insurmontables, je pleure pour un rien et je suis fatiguée. L’hypnose m’a été conseillée par plusieurs amies, en particulier une amie psychologue qui s’est formée à l’hypnose dans votre institut. Je sens que ça pourrait m’aider.

 

L’hypnose a cette image de pouvoir parfois provoquer un changement rapide et sortir une personne de la dépression en quelques séances.

Voici un autre cas clinique qui va servir d’introduction pour développer la place de l’hypnose dans les syndromes anxio-dépressifs.

 

*   Mme AM., 53 ans, consulte pour des douleurs musculaires qu’elle ressent dans tout le corps. Les rhumatologues lui ont dit qu’elle souffrait de fibromyalgie. Nous allons voir comment le questionnement va plus loin que l’étiquette « fibromyalgie » qui est en fait la conséquence et non la cause.

A la maison, elle est en conflit avec son mari. Il est violent, colérique. Il boit beaucoup d’alcool, dit-elle, et cela engendre des crises d’agressivité à son égard. Elle a peur de lui, contrôle chacun de ses mots pour éviter un conflit qui pourrait dégénérer. Un de ses fils sort de prison et ne trouve pas de travail. Elle a peur pour lui. Elle a fait une tentative de suicide l’année dernière. Elle me dit que sa mère a perdu six enfants, morts avant terme. Elle est l’ainée de quatre enfants. À huit ans, elle devait s’occuper de ses frères et sœurs. Elle est dans un contrôle permanent. Son corps est contracturé en permanence. Elle appréhende chaque quotidien, chaque événement. Elle anticipe de manière anxieuse son avenir. Elle est déprimée et prend un traitement antidépresseur et anxiolytique.

Elle écoute des enregistrements de relaxation et de méditation sur internet. Elle trouve qu’elle a du mal à lâcher prise. Elle parle à sa rhumatologue de son envie de recourir à l’hypnose. Sa rhumatologue me l’envoie.

 

Je lui propose de bien s’installer dans le fauteuil. Elle le fait volontiers. Elle a de l’entrainement avec la méditation. J’ajoute qu’elle doit prendre tout en compte, tout ce qu’elle m’a décrit, ne rien refuser, ne rien fuir.

Elle ferme les yeux. Je poursuis :

– Prendre les faits comme ils sont et ressentir une impuissance à les résoudre. Immergez-vous, dans cette immense piscine remplie de tous ces évènements, conflits, colère, peurs…

Elle ouvre brusquement les yeux :

– Je préfère les fuir !

– Non, l’inverse. Plongez-vous dans ce bain. Vous aimez vous baigner dans la mer ?

– Oui

– C’est mieux que la piscine ?

– Oui.  (Elle ferme les yeux à nouveau)

– Alors allez-y…vous êtes sur une jolie plage de sable fin, la mer est calme, entrez dans l’eau. Vous y êtes ?

– (petit hochement de tête)

– C’est agréable ?

– (petit hochement de tête qui confirme)

– Prenez plaisir à nager, à faire partie de la nature environnante. Pourtant, il y a de tout dans la mer autour vous : des algues, des poissons, des rochers, du corail, des courants chauds, des courants froids, des vagues, du remous, parfois une marée montante ou descendante …c’est comme votre vie…vous vous êtes adaptée à tout et la baignade devient agréable au milieu de tous ces éléments…(long silence). Maintenant je vous laisse ressentir votre vie comme vous ressentez la mer. Vous qui nagez dans une multitude d’éléments qu’on ne détaille plus…qu’on ne juge pas …pas d’émotion …juste du plaisir à flotter, à nager et à tenir la tête hors de l’eau…

– Je me sens tranquille, dit-elle.

Un long silence de dix, quinze minutes.

– C’est très agréable, ajoute-elle.

Je vois son corps se relâcher. Sa respiration s’amplifie. Son visage est calme. Je perçois qu’elle a quitté ses pensées. Elle est dans le mouvement. Elle a retrouvé son corps dans un contexte agréable. Elle parvient à le décontracter.

La séance se poursuit avec l’évocation de similitudes entre sa vie et le monde aquatique.

 

Elle va mieux. Elle a quitté le mental au profit du corps. Il y avait en elle un conflit entre le mode mental très agité, générant un flot de pensées pessimistes, et le mode sensoriel, corporel, qui lui ne demande qu’à vivre. Sa souffrance provenait d’un mode mental amplifié par tous les problèmes vécus depuis l’enfance. Pour faire face à toutes les tâches qu’on lui confiait, pour se protéger de l’ambiance familiale passée et actuelle, elle s’est mise à penser, à réfléchir, à se poser mille questions sur les comportements de ses parents et sur la responsabilité d’élever ses frères et sœurs. On lui a mis la pression, on lui a donné une charge à porter. Elle a été privée de la légèreté, de l’insouciance d’un enfant aimé et protégé. Pour faire face au mieux, son corps s’est contracté pour supporter, tant bien que mal, la situation qui lui a été imposée.

Lorsqu’elle vient consulter, elle est tendue. Sa marche est un peu raide. Cette tension musculaire et mentale la protège. Elle s’oublie et se dévoue aux autres.

Au sortir de l’état hypnotique, elle a découvert une autre façon de se placer : l’impuissance à tout résoudre. La charge disparaît. Son corps se relâche. Elle sourit.

 

Face à des patients qui souffrent d’angoisse ou de dépression, la conversation et la petite enquête sur leur vie  permet d’ouvrir le cadre et souvent de percevoir que « le verre était déjà plein ». De nouveaux problèmes surviennent et font déborder un verre déjà rempli. Quel est le contenu de ce verre ? Une enfance compliquée : un divorce, des disputes, des parents peu aimants, des critiques humiliantes, un changement de pays, des conflits familiaux, un parent dépressif ou alcoolique …etc. Ces problèmes vécus amplifient le mode mental chez l’enfant et l’éloignent de l’insouciance et de la joie d’exister. Les pensées le dominent. Le mode sensoriel qui permet le mouvement et la création, est inhibé par trop de contrôle.

 

Voici un autre cas clinique pour ajouter de l’éclairage sur le chemin thérapeutique proposé par l’hypnose dans les dépressions.

*  Une jeune femme, Sandra, envoie un message par mail.

J’ai déjà été patiente du docteur Benhaiem pour un sevrage tabagique il y a dix ans. il avait fonctionné à merveille.


J’ai aujourd’hui trente-quatre ans et ai développé une glossodynie associée à une dépression. Je suis prise en charge depuis deux mois par une psychiatre mais j’aimerais beaucoup en parallèle pouvoir être prise en charge pour une ou des séances d’hypnose pour m’aider à régler mes troubles.

Je la reçois et la questionne. Je commence par la féliciter pour son sevrage tabac réussi ! Elle est mariée et a deux jeunes enfants. Il y a deux ans, elle a appris que sa maman souffrait d’un grave cancer des poumons dû au tabac. Cette annonce a déclenché une forte anxiété avec des symptômes dépressifs. Il s’est ajouté une douleur et des sensations de brûlure des bords de la langue et du palais ( glossodynie). Elle prend des anxiolytiques et des antidépresseurs prescrits par sa psychiatre. Elle a perdu l’appétit. Elle me dit être si proche de sa maman que la perspective de la voir partir, l’effraie. D’autant que son père les a quittés et ne donne plus aucun signe de vie depuis trente ans. Elle dit être sûre que les douleurs de sa langue sont en relation avec l’annonce du cancer de sa mère. Sa dépression et ses douleurs se sont aggravées depuis deux mois lorsqu’elle a appris qu’il n’y avait plus aucun espoir de guérison.

La séance :

  • Je vous sens très proche ou trop proche de votre maman ?
  • Oui, je l’appelais plusieurs fois par jour. Ma psychiatre m’a demandé de ne plus l’appeler pendant une semaine.
  • Il vous faut trouver la bonne distance.
  • Exactement !
  • Ou communiquer avec elle en réduisant les émotions, trouver la bonne distance, ce chemin vous convient ?
  • Oui vraiment.
  • Alors installez-vous…fermez les yeux…je vous laisse imaginer votre maman…et vous lui parlez en étant différente …petit signal avec un index quand vous aurez les images.
  • (son index droit bouge)
  • Vous l’aimez, vous êtes affectueuse et bienveillante, mais pas trop d’émotion ! Vous êtes calme, attentive, je vous laisse lui parler… peut-être va-t-elle apprécier de vous sentir calme et active. Cela peut même lui faire du bien si elle vous sent ne pas souffrir et faire face à la situation présente. Quittez vos pensées et laissez-vous ressentir vos épaules, vos bras, votre respiration…

 

Je la regarde et je vois qu’elle a changé d’expression. Cette immersion dans ce nouveau contexte a l’air de lui convenir. Elle a interposé un filtre entre elle et sa maman pour qu’elle puisse la laisser partir sans trop souffrir.

 

Dans ce cas clinique, on discerne que l’origine de sa dépression provient d’un lien très fort avec sa maman qu’elle a peur de perdre. Il lui faut donc quitter ses émotions et son anxiété anticipatoire. Je lui ai proposé de se placer différemment. Revenir dans le moment présent, quitter le mental, retrouver une présence physique.

Me souvenant qu’elle m’avait consulté il y a dix ans pour arrêter de fumer, j’ai évoqué ses ressources pour dépassionner, se détacher, trouver la bonne distance, ressentir son corps qui est un guide pour qu’elle se protège. J’ajoute que c’est différent parce qu’une maman c’est merveilleux mais pour devenir adulte nous devons progressivement nous éloigner pour trouver l’autonomie et laisser partir nos parents puisque la vie n’est pas éternelle.

  • Vous êtes d’accord ?
  • (Elle bouge un index)
  • Nous devons adhérer à ce qui nous est imposé par l’existence.

Je sens que le changement est en train de se faire en elle. La relation est bonne. Peut-être avait-elle besoin d’un accompagnement thérapeutique masculin, comme ce père qui lui a manqué, pour prendre appui et se laisser guider. Elle sort progressivement de la transe et ouvre les yeux. Une fois « réveillée »,  je lui demande :

  • C’est vous qui aviez pensé à une séance d’hypnose pour votre dépression ?
  • Non, c’est mon mari.

Elle a besoin d’aide dans sa phase dépressive. Elle ne peut pas contrôler ce qui arrive à sa maman. Cette perte de contrôle ouvre la porte des peurs et de l’angoisse chez une personne qui aimerait tout maitriser pour se sécuriser. Les accès dépressifs sont la conséquence d’une intention irréalisable de maitrise et se traduit par une impuissance insupportable (Miller WR, Seligman M, 1975). Pour Sandra, il est douloureux de n’avoir aucun pouvoir sur la maladie de sa maman. Elle se sent victime. Elle est submergée par des idées tristes sur lesquelles elle n’a pas et n’aura jamais prise. Elle déprime. Les pensées négatives l’envahissent.

La séance d’hypnose lui a permis de passer par une autre porte : celle de la non-maitrise de ce qui nous est imposé par la nature.

La séance a eu un effet positif confirmé par son mari qui m’envoie un mail encourageant une semaine plus tard [1].

[1] Bonjour Docteur, il y a de nombreuses années vous avez sevré ma femme du tabagisme avec un grand succès. Il y a quelques mois ma femme a développé une glossodynie suite à des rapports conflictuels avec sa mère. Après quelques recherches sur le sujet et l’hypnose, je lui ai conseillé de reprendre contact avec vous. Mes espoirs ont été au-delà de mes espérances sans vouloir crier victoire trop vite. À la suite à votre téléconsultation, ma femme ne ressent plus aucun symptôme au niveau de la langue et a retrouvé le sommeil sans médicaments. Je vous en suis extrêmement reconnaissant. À mon tour, je vais prendre un rendez-vous avec vous pour calmer mes angoisses inexplicables.

 

 

NOS TROIS MODES

 

Nous pouvons maintenant développer le concept de rivalité entre nos deux modes d’existence. Le mode sensoriel et le mode mental. Entre ces deux modes, il en existe un troisième : le mode confusion qui permet de passer d’un mode à l’autre. Le mode confusion met de la confusion dans un des deux modes pour pouvoir rejoindre l’autre. Cette description est détaillée dans un livre qui vient d’être publié. (Benhaiem JM, Une nouvelle voie pour guérir, 2023). Dans la dépression sans délire psychotique, c’est le mode mental qui s’est amplifié. C’est donc celui-là que le praticien doit réduire au profit du mode sensoriel-corporel.

 

La volonté de contrôle ouvre la porte des peurs. Peur du vide, peur de la solitude. Peur d’être inutile, « de se sentir inutile », peur de déprimer, de « se laisser aller », de perdre le contrôle, de ne plus être l’agent. Des envies suicidaires viennent et se font passer pour la solution pour sortir de la souffrance. Le patient se sent désorienté. Il vient vous consulter. Pour aller mieux, il devra sortir du mental et franchir la porte du sensoriel. Il va pouvoir retrouver le présent, son corps vivant et ses ressources profondes.

 

 

LE SOIN

 

Pour réduire l’intensité des pensées tristes, il est proposé plusieurs exercices adaptés à ce que vit et ressent la personne. Par exemple de déplacer son attention. Quitter une introspection ou une appréhension de l’avenir, en ressentant son corps : sa respiration, ses membres, ses muscles, le contact avec le siège, etc.

Parfois des injonctions paradoxales peuvent être bénéfiques. Elles produisent une confusion (le troisième mode) qui peut ouvrir sur une perception plus large. Par exemple, il peut être proposé à la personne de faire venir ses idées noires et de ressentir le désagréable qu’elles produisent, puis d’agir pour les augmenter un peu. Ce qui déconcerte les patients. Puis de les diminuer. Puis de les augmenter à nouveau. Puis l’inverse, les faire disparaitre. Et de refaire cet exercice plusieurs fois jusqu’à ce que le patient commence à avoir prise sur son mental. Il cesse d’être dominé par des idées pessimistes. Il n’est plus passif. Il agit.

 

« Donnez-moi un point dappui : je soulèverai le monde » (Archimède).

 

La séance d’hypnose cherche un point d’appui pour tout déstabiliser. Le passé est un point d’appui qui peut être toxique en remémorant des souffrances, des regrets, mais il peut aussi être bénéfique en se souvenant d’avoir bien traversé certaines épreuves. Le début de la séance prend appuie sur les ressources et sur une bonne relation thérapeutique. Souvent le point d’appui émerge pendant l’entretien préalable. L’appui sert à s’élancer, puis le « sans appui » permet un saut dans l’expérience. Le « sans appui » permet une liberté de mouvement. Le geste est accompli sans certitude, sans effort. Tout est aléatoire sur le chemin de la guérison. Les changements ressentis proviennent d’une activation sous-corticale, une forme d’instinct.

 

 

LES EFFETS DE L’HYPNOSE

 

Les situations cliniques sont si différentes selon les patients, leur vécu et leur personnalité qu’il n’existe pas de protocole standard utilisable (Barbara S. McCann et Sara J. Landes, 2010). À chaque patient, il faut inventer ou découvrir un chemin qui va lui convenir. Ne rien imposer. Ne rien vouloir à la place du patient. Juste l’accompagner avec bienveillance et imagination. Et oser intervenir quand le point d’appui surgit !

La thérapie varie selon les patients mais il est possible de dégager les grandes lignes du chemin thérapeutique.

 

LA PATHOLOGIE

 

Le patient arrive. Il est déprimé, passif. L’interrogatoire révèle une certaine rigidité et fixité attentionnelle. Il est comme désaccordé d’avec la réalité qu’il refuse. Sa structure est morcelée par des conflits internes. Il est tellement centré sur ses souffrances qu’il s’isole et reste dans la plainte. Capté par ses peurs, il s’éloigne de son corps et perd toute envie d’agir. Il vit une dissociation corps-esprit. Il est maladroit et s’oriente mal. Son comportement influe sur son entourage qui peut, lui aussi, se sentir triste et déprimé. Tous les efforts de volonté déployés tournent à l’échec.

 

 

LE PASSAGE

 

Aller à la rencontre du patient. Le surprendre. Le déconcerter. Le thérapeute aussi doit lâcher la volonté de guérir pour pouvoir être imité par son patient. Pas de but. Juste faire une expérience. Jouer puisque la vie est un jeu. Adhérer à ce qui nous est imposé. Changer l’humeur face aux problèmes rencontrés ou face aux personnes de l’entourage. Ne pas s’opposer. Incorporer les problèmes. Une attente espérante et confiante. Le chemin vers le soulagement existe. Il va apparaitre.

 

 

L’ADAPTATION

 

Patients et soignants doivent faire preuve de souplesse pour s’adapter l’un à l’autre et pour s’adapter à la situation, et parfois au diagnostic d’une maladie grave ou à la perte d’un être proche.

L’image d’un orchestre où chaque musicien doit s’accorder à la musique, à la partition déjà écrite. La présence corporelle se manifeste par une densité proposée et ressentie par les deux parties.

Ce qui était dissocié, est en cours de ré-association. Tout est accepté. La circulation entre les modes devient fluide. Il devient facile pour le patient de passer du mode mental au mode sensoriel et l’inverse.

L’adaptation est une fusion dans l’instant présent. La personne fait à nouveau partie du contexte. Elle a quitté son isolement d’opposition.

Elle se sent à l’aise dans cette position retrouvée parce qu’elle a retrouvé sa place dans la vie.

 

 

IMPORTANCE DE LA RELATION

 

On ne peut que revenir sur l’importance du lien qui se crée entre patients et soignants. Cette citation du neurologue Oliver SACKS (1933-2015) est magnifique de sincérité et de sensibilité.

« Chacun des malades dont j’ai la charge, me paraît plein de vie, m’intéresse et me gratifie : je n’ai jamais examiné de malade sans qu’il m’apprenne quelque chose de nouveau (…) Et je suis persuadé que ceux que je côtoie dans ces situations partagent, et concourent à créer l’impression que j’éprouve de vivre une aventure.”

 

Plusieurs études cliniques confirment la pertinence de recourir à l’hypnose dans les syndromes dépressifs (Leonard S. Milling, Keara E. Valentine, Hannah S. McCarley, 2019). Cela est confirmé par la pratique de chaque thérapeute.

Pour conclure, nous pouvons regarder nos patients dépressifs comme des marins dans la tempête. Un moment dépassés par le vent violent et les vagues géantes, ils vous demandent de les aider. Il faut les inciter à reprendre la barre. Dans l’action, ils cessent de penser, ils sont présents. Ils ne doivent pas s’opposer au vent, au risque de ne plus avancer. Ils trouvent une façon de l’utiliser et se placent en vent arrière ou décide de « louvoyer » pour contourner la tempête et sortir de son emprise. Ils jouent avec les courants et les vagues déferlantes. Parfois le vent est perfide et imprévisible. Des rafales viennent déséquilibrer le navire. Les marins jouent avec les coups de vent et prennent plaisir à s’y adapter. Ils peuvent réduire la voilure et avancer lentement voire ne rien faire et attendre que le calme revienne. Le patient c’est le capitaine dans son navire. Il ressent l’océan, il en fait partie. Il sait qu’au-delà de la tourmente, la mer est calme. Il lui faut juste de l’habileté et de la patience pour traverser ces intempéries. Au final, il est porté par le vent. Ce qu’il a traversé a été bénéfique. Il a changé sa perception de la tempête. Il sait l’utiliser. Désormais il saura traverser d’autres cyclones et ouragans. Il est devenu un adulte fort de savoirs et d’expérience.

Les thérapies dites brèves s’appuient sur les fondements de l’hypnose. L’écoute de chaque patient est indispensable mais cette étape est insuffisante pour réorienter les patients. C’est une vraie « révolution » dans le soin qui voit le thérapeute intervenir, proposer un autre contexte, surprendre son patient par des paradoxes, des suggestions inattendues, le tout dans une ambiance bienveillante et confiante dans les ressources des patients traversant une dépression chez qui l’étiquette de dépressif est retirée pour les considérer sur la voie de la guérison. Ce n’est pas le patient qui est dépressif ; c’est la voie sur laquelle il s’est engagé qui le mène vers la souffrance. Le nouveau chemin original consiste à leur proposer de quitter leur mental envahissant et pessimiste pour retrouver leur corps comme guide. Un corps empli de vie et à la recherche du bonheur.

 

                                                                 …

 

Ouvrages du Docteur Jean-Marc BENHAIEM:

  • Une nouvelle voie pour guérir, éd. Odile Jacob, 2023
  • L’art de l’hypnose avec François Roustang, éd. Odile Jacob, 2024.
  • Hypnose-toi toi-même, éd Flammarion, réédition 2022
  • L’hypnose aujourd’hui, éd In Press, 2018.
  • L’hypnose ou les portes de la guérison, éd. Odile Jacob, 2012

 

Bibliographie :

  • Miaozun Shih, Yuan-Han Yang et Malcolm Koo. Une méta-analyse de l’hypnose dans le traitement des symptômes de dépression : Une brève communication. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis. Volume 57, 2009 – Issue 4.
  • Michael Yapko, Hypnosis in Treating Symptoms and Risk Factors of Major Depression. p 97-108, 2011. American Journal of Clinical Hypnosis. Volume 44, 2001 – Issue 2.
  • Carl Gustav Jung, Ma vie, 1967, éd. Folio, p 143.
  • Miller WR, Seligman M. Depression and Learned Helplessness in Man. Journal of Abnormal Psychology, 1975, Vol 84, N°3, 228-238.
  • Benhaiem JM, Une nouvelle voie pour guérir, 2023, éd. Odile Jacob.

–        Barbara S. McCann et Sara J. Landes. L’hypnose dans le traitement de la dépression : Considération des méthodes et des modèles de recherche. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis. Volume 58, 2010. Issue 2.

–        Leonard S. Milling, Keara E. Valentine, Hannah S, McCarley & Lindsey, M. Lo-Stimolo. Hypnosis and Treating Depression. A Meta-Analysis of Hypnotic Interventions for Depression Symptoms: High Hopes for Hypnosis? p 227-243, 2019.  American Journal of Clinical Hypnosis, Volume 61, 2019 – Issue 3.

 

 

 

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