Thèmes du tiers inclus : Géoverrerie, Individuation, Eccéité.
Antagonismes en interaction: Matière ~ Forme, Coquille d’ormeau ~ Verre ; Algues ~ verre ; Contenant ~ Contenu, Ormeau ~ Goémonier, Ormeau ~ Verrier, Chair ~ Plat etc …
Définitions:
- La Géo-verrerie ( Lucile Viaud) est l’idée que le verre peut refléter les caractères naturels et humains de la région dont les matières premières sont issues.
- L’ Eccéité ( Gilbert Simondon) est l’ensemble des caractéristiques matérielles et immatérielles rendant un objet singulier. L’eccéité comporte une référence à l’intention fabricatrice et donc au geste humain.
- Individuation : ( Gilbert Simondon) Principe rendant compte de l’eccéité. L’objet individué est pensé par l’homme comme ayant une individualité en tant qu’objet fabriqué.
- Hylémorphisme : Association d’une matière et d’une forme (du grec hylè : matière et morphè : forme). Simondon affirme que la formation d’un corps n’est pas réductible à la seule association d’une matière et d’une forme. L’eccéité et l’individuation dépassent le paradigme aristotélicien d’hylémorphisme.
- Substantialisme: L’être considéré en son unité est résistant à ce qui n’est pas lui-même. La pensée substantialiste s’oppose à la bipolarité du schème hylémorphique et du principe d’individuation.
- Trajection : (Augustin Berque) Va-et-vient de la réalité entre les deux pôles théoriques du subjectif et de l’objectif. Relevant des deux, la réalité est trajective.
- Mésologie, Méso-logique: ( Augustin Berque). Logique propre à l’histoire et aux milieux. L’identité d’un Sujet (S) est combinée trajectivement à un Prédicat (P)
- Ecoumène: ( Augustin Berque) Terme issu du grec ancien, oikoumene ( terre habitée). Relation éco-techno-symbolique de l’humanité avec le milieu environnant.
- Homéomère, Homéomérie: Se dit de deux substances ou éléments composés de parties semblables, homologues. Du grec ancien homoiomeres (similaire), composé de homoios (semblable) et de mêros (partie ).
- Halieutique: Qui concerne la pêche et la mer. Mot dérivé de Halieutikê ( la pêche, l’art de pêcher), lui même dérivé de halieuô (pêcher) , dont la racine est hals (la mer).
- L’ Haliotide ( autre nom de l’ormeau, encore appelé oreille de la mer), est dérivé de Halios ( marin, de mer), ous (génitif) et ôtos ( oreille, à cause de sa forme)
Autour de l’ormeau
Géo-verrerie de Lucile Viaud *
L’ormeau, sa coquille, son environnement, son milieu, sa nourriture, sa croissance, les métiers qui y participent… se prolongent dans l’objet en verre qui va prendre forme.
Entre l’artiste et l’objet créé, se noue un lien très fort, un tissu d’appartenance commune à une région, un climat, une culture, une société, un environnement.
Chaque étape de la création de l’artiste Lucile Viaud illustre ces « prises » éco-techno-symboliques avec la Bretagne.
Toute pièce créée est numérotée. Sa provenance, la date et la spécificité du verre sont référencées, répertoriées dans une base de données « Géoverrerie ». * Leurs teintes varient constamment selon les périodes de production. Celles-ci conditionnent la présence de bulles, de stries, de cordes voire l’épaisseur et la circularité. Le verre porte la mémoire du milieu d’origine des matières premières utilisées. Naturellement colorés dans la masse, ils sont recyclables à l’infini, défendant ainsi l’idée d’une création durable. En cas de casse, le verre est refondu selon la référence indiquée.
* L’artisan qui signe son ouvrage et met une date attache à l’eccéité de son ouvrage le sens de son effort fourni. Pour lui, l’historicité de cet effort est la source de cette eccéité; elle est l’origine première et le principe d’individuation de l’objet. (Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Ed. Millon.)
Les nombreux acteurs de ce parcours en connaissent l’histoire. Celle-ci va de la naissance de la substance mère à l’objet fini en passant par la maturation de l’ormeau, la conception, la fabrication de l’objet et sa fonction.
Tous la respectent, en sont imprégnés et passionnés. Chacun apporte son savoir faire lors de chaque phase: La nourriture pour le goémonier, la croissance pour l’éleveur, la transformation pour le chimiste, l’idée et la conception pour l’artiste, la mise en forme pour le souffleur, le contenu pour le chef cuisinier …
Ce dernier cuisinera et fera » revivre » la chair de l’ormeau en la présentant dans un contenant conçu et élaboré à partir de la matière de son coquillage, comme un hommage suprême rendu à l’animal, à la région qui l’a vu naitre et croître, aux qualités et caractéristiques de l’eau qui l’a vu grandir, à son climat, sa lumière, sa nourriture et à toute la chaine des métiers qui ont ainsi participé à son élaboration.
Tous sont réunis à travers un objet dont la conception hylémorphique, (du grec hylè: matière et morphè: forme) associe les éléments de sa mémoire. Un objet fini, ou plutôt transfini au sens Lupascien, trajectif au sens Berquien, individué au sens Simondonien.
… Jusqu’au consommateur, gastronome averti que l’on imagine imprégné de l’histoire de cet objet au passé riche et multiple.
La perception gustative de ce mets raffiné serait-elle identique dans un contenant banal ou indifférent ? L’ignorance de l’histoire de l’objet laisse-t-elle le consommateur imperméable à la relation contenant ~ contenu ? L’objet seul peut-il nonobstant produire, chez un consommateur non informé de son histoire, une influence sur celui-ci ? La matière psycho-socialement individuée, peut elle influencer la perception ?
Mystère insondable de l’eccéité insue de l’objet. Comment penser le tiers inclus de l’interaction entre l’objet fini et l’être, contenant et contenu homéomères re-visités, différents mais identiques dans une relation métastable ?
Suprême communion de la dégustation d’un mets raffiné
dans un objet subtilement et élégamment élaboré à partir de sa propre coquille.
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Entre chair et coquille au delà de la vie
Géoverrerie de Lucile Viaud *
une mésologie halieutique autour de l’ormeau
Lucile Viaud est une créatrice designeur spécialisée dans l’utilisation de ressources bio-marines. Son activité est initialement centrée sur le travail du cuir de poisson qu’elle transforme en matériau d’exception. Mais l’utilisation de chrome et d’aluminium pour le tannage des peaux ne satisfait pas sa sensibilité écologique. Ceci l’amène à penser que le déchet peut être valorisé différemment et la conduit à chercher comment utiliser coquilles vides, carapaces de crustacés, arêtes, algues … pour créer.
Chaque matériau de la gamme qu’elle crée représente un stade de sa recherche:
- Le plâtre de mer, composé de déchets coquilliers récoltés et transformés en Bretagne ( Huitres, moules, ormeaux, bigorneaux…) est entièrement biodégradable. Il se cuit à très faible température et conserve tous les pigments apportés par les espèces utilisées. Le minéral de la coquille se retrouve dans sa texture et son odeur douces. Ce plâtre est protégé par un apprêt issu du recyclage d’une cire fournie par un apiculteur de la vallée bretonne voisine.
- Lucile a travaillé les arts du feu. Elle ré-interprète les techniques ancestrales de fabrication du verre afin de valoriser les déchets. (techniques traditionnelles du savoir-faire français et notamment celles des céramistes). L’objectif est de parvenir à un verre 100% naturel et marin. Les matières premières sont progressivement substituées par les matières de la filière halieutique. Le verre marin Glaz valorise la coquille. Sa couleur est naturelle, dépend de l’espèce utilisée, varie selon la saison, sa nourriture, sa provenance ou le savoir faire. Les produits obtenus sont renouvelables à l’infini.
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Les coquilles d’Ormeaux naturelles de Bretagne, également nommées coquilles d’Abalone sont de magnifiques coquillages, véritables trésors offerts par la nature.
Le coquillage d’Ormeau appartient à la grande famille Haliotis, ( du grec ἅλιος « marin » et οὖς, ὠτός « oreille »). D’aspect extérieur brut, presque rocheux, son intérieur nacré arc-en-ciel est lumineux. La coquille d’ormeau représente symboliquement l’oreille de la Mer. Dans la mythologie hawaïenne elle peut symboliser Pélé, la Déesse de l’Océan Pacifique.
Lucile Viaud : « La démarche est de travailler à partir co-produits, de déchets marins, de valoriser une ressource qui n’a soit disant plus aucune valeur, de dire qu’elle en a encore et que l’on peut en faire quelque chose d’exceptionnel. Il s’agit de parler de beauté tout en ayant aucun impact sur notre environnement. La nature nous offre une palette de couleurs qui se suffit à elle-même et que l’on peut utiliser telle quelle«
Lucile est repérée en 2018. Sa ligne d’objets en verre marin répond à des enjeux territoriaux. Pour la première fois, des algues et des coquilles servent de matériaux pour concevoir des vases, des assiettes et des plats, une innovation qui reflète dans leur transparence, les teintes du littoral Morbihannais.
Il y a quatre mille ans, les égyptiens utilisaient le natron, carbonate de calcium déca-hydraté, ( Na2CO3 • 10 H2O), substance blanche de pureté minérale, trouvée au bord de certains lacs sodés à eaux saumâtres du désert, évaporés. En chauffant la silice (sable), avec du natron asséché et purifié, et de la chaux vive, les céramistes et chaufourniers fabriquaient une matière plus ou moins vitreuse et transparente. En ajoutant certains ingrédients ou poudres minérales colorées au mélange, ces premiers verriers obtenaient des verres diversement colorés.
Lucile Viaud : » Historiquement les égyptiens fabriquaient le verre avec les ressources dont ils disposaient : des coquillages, des algues et du sable. Il y eut ensuite une quête de la transparence pour parvenir aujourd’hui à des verres industriels décolorés puis re-colorés pour la création d’objets. Mais à l’origine, les verres étaient naturellement colorés. Ma démarche est de montrer qu’en revenant à des techniques primitives, on peut retrouver une palette de couleurs qui se suffit à elle-même et que l’on peut sublimer. »
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Sylvain Huchette ** est à la tête du plus grand élevage d’ormeaux d’Europe. Pour sa nouvelle collection aux couleurs du Finistère, Lucile l’a convaincu de travailler avec elle. Cette coopération lui permet de comprendre le travail réalisé en amont, avant d’utiliser ces coquilles pour réaliser le verre marin. L’expérience australienne de Sylvain Huchette lui a enseigné quelles algues étaient tour à tour nécessaires selon l’étape de croissance de l’animal.
Ce sont: La Laminaire, le Fucus et la Palmaria.
La laminaire est une algue marine brune, fixée aux rochers par des crampons, et formée d’un long stipe cylindrique suivi d’une large lame. Les laminaires sont riches en iode, en sels minéraux (calcium, magnésium, potassium) et en oligo-éléments.
Le Fucus vesiculosus est une algue couleur brun olive foncé qui pousse sur les côtes du nord de l’Atlantique et du Pacifique, des mers du Nord, et de Baltique. Ses vésicules gazeuses claires lui permettent de flotter tout en s’accrochant au substrat à l’aide d’un crampon. L’iode en est la principale substance active, mais il est aussi composé de polyphénols aux vertus antibiotiques, d’oligo-éléments (sélénium, zinc, calcium, sodium,fer… ), de protéines, de vitamines, de polysaccharides et de mucilages (fucanes, acides uroniques, etc…)
La Palmaria Palmata est une algue rouge de taille moyenne, jusqu’à 50 cm de long, fixée par un disque sur rochers. Elle possède une teneur élevée en polysaccharides (alginates), en vitamine C, en protéines ( jusqu’à 24% en poids sec) et en minéraux tels que le fer et le magnésium.
Toutes les strates retrouvées sur la coquille de l’ormeau sont les stigmates de la succession de ces étapes nutritionnelles.
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L’ormeau est un gastéropode devenu emblématique de la Bretagne. Il appartient à la gastronomie régionale. On le pêche traditionnellement à pied et on le déguste en famille. On protège ses coins d’ormeaux comme on le fait ailleurs de ses coins de champignons.
L’élevage de l’ormeau est un atout local :
- On y trouve les plus gros ormeaux de la nature car les eaux y sont particulièrement froides.
- Les coquilles prennent lentement leur teinte marine par dix mètres de fond.
- La nourriture est abondante: la région dispose du plus grand champ d’algues d’Europe.
Les couleurs se développent précisément en fonction des algues dont se nourrit l’ormeau. La grande variété de ces couleurs reflète tout le paysage sous-marin des algues de Plouguerneau.
Les algues récoltées par les goémoniers étaient autrefois brûlées dans des fours à soude (encore visibles sur les dunes de Plouguerneau ) pour fabriquer la teinture d’iode. Elles sont aujourd’hui principalement utilisées comme bases pour les gélifiants alimentaires, cosmétiques, pharmaceutiques et autres … L’ormeau se nourrit principalement de ces algues. Ce coquillage est un échantillon mimétique de toutes les couleurs sous marines locales. Sa coquille reflète la lumière du ciel breton. Il s’agit d’une matière première totalement naturelle.
Sans savoir qu’une exploitation serait un jour possible, Sylvain Huchette a toujours conservé et stocké les coquilles. Il a toujours cru en leur valeur.
Lucile Viaud : » Il est intéressant de ne pas les avoir récupérées sur la plage car il y aurait peut être eu un intérêt à ce qu’elles y restent… J’essaye d’adopter les formes les plus simples possibles pour promouvoir la matière. Le travail se fait sur les volumes et l’épaisseur du verre en vue de valoriser les couleurs et leur dégradé. »
Hugo Roellinger, chef breton étoilé, lui a commandé un service de table pour son restaurant du Château Richeux de Saint Ménoir des ondes.
La démarche de Lucile Viaud associe science et art.
Lucile a pris contact avec les chercheurs de l’institut des sciences chimique de Rennes afin de mettre au point son verre révolutionnaire à base d’ormeaux. Les coquilles sont triées, nettoyées, réduites en une poudre ensuite mélangée à une préparation à base d’algues. Trois éléments sont nécessaires à la fabrication du verre: le carbonate de Calcium, le carbonate de sodium et la silice. L’idée est de parvenir, au fil de la recherche, à un verre 100% marin en remplaçant la silice par des micro algues et les carbonates de sodium et de calcium par les algues et les coquillages. L’objectif est d’obtenir le meilleur résultat avec le moins d’entrants possible dans la composition (trois ou quatre).
Le chimiste Ronan Lebullanger, professeur spécialiste en sciences et propriétés de la matière à l’université de Rennes, participe à l’aventure. Il lance la première fusion et établit une palette de couleurs selon les coquillages utilisés. Le matériau est tout nouveau.
La recette de Lucile Viaud pourrait être réalisée avec des matières synthétiques, mais le rendu serait incomparable. L’association du carbonate de calcium, matière première des ormeaux, à d’autres éléments et oligo éléments donne au verre cette teinte très singulière, inattendue.
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Artisan d’art de renom, le souffleur de verre Stéphane Rivoal *** prend le relais. Il est spécialisé dans l’innovation, les pièces sur mesure, la restauration d’œuvres d’art et les sculptures en verre. La préparation à base d’ormeaux est montée en fusion à 1350° pendant 24 heures. Le maitre verrier s’adapte à cette matière qui n’a jamais été travaillée.
Stéphane Rivoal : » Ils sont faciles à travailler mais partent de travers. À chaque fois, on découvre un verre au caractère différent. Il refroidit plus vite. Une fois qu’il a pris froid, il est froid. Sa phase plastique est courte, son palier de travail très court. Il nécessite de retourner très souvent à la chauffe pour le travailler et le façonner, il faut aller vite mais ne pas faire d’erreurs dans le geste. Apprivoiser le verre est une question de gestuelle. Il faut répéter, répéter… »
Les nuances apparaissent après refroidissement. Le vert Glaz ( vert en breton) est une Couleur correspondant au bleu canard en langue française, nuance située entre le bleu et le vert sur le cercle chromatique. Ce terme est à l’origine utilisé pour définir les différentes teintes que peut prendre la mer en Bretagne.
La teinte obtenue est un vert plus proche de celui du goémon et de la couleur de l’algue fraiche dans l’eau, que de celui du vert émeraude de l’eau. Belle surprise que d’aller vers cet univers plus végétal ! C’est vraiment le pays des Abers, là où il y a des ormeaux en quantité et où l’on cultive le goémon, c’est Plouguermeau.
Cette couleur, c’est vraiment le Finistère
L’idée est de créer des formes pour que tout un chacun puisse conserver ce paysage dans la maison, le retrouver et l’utiliser dans son quotidien, et que cette couleur évoque son environnement. Les autochtones revendiquent et recherchent cette provenance locale, l’authenticité de sa matière, de sa couleur et ont conscience de l’étoffe des métiers qui ont permis sa réalisation.
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Le maître verrier Stéphane Rivoal travaille à la volée, sans moule et peut modifier la pièce au fur et à mesure. C’est le souffle qui gonfle la boule de verre, puis interviennent la force centrifuge (on tourne plus ou moins vite en fonction de l’opération à effectuer) et la gravité.
Hugo Roellinger, chef cuisinier du restaurant gastronomique « Le Château Richeux » de Saint Méloir des ondes, près de Cancale, utilise les assiettes crées par Lucile Viaud.
Hugo Roellinger: » Il y a une profondeur dans le verre, et lorsqu’on le met dans la lumière on voit le vert du goémon. … Habituellement, on ne part pas d’un récipient pour créer un produit. Il arrive parfois que l’on renonce à créer une recette car on n’a pas le bon récipient. Ici c’est l’inverse, on a le récipient et on crée le produit ».
Hugo Roellinger crée des plats aux saveurs iodées autour des poissons, des fruits de mer, crustacés et des algues de la Bretagne Nord. Il a imaginé une recette à base d’ormeaux, cuits quatre heures avant de les refroidir dans un bouillon d’algues. Le collagène de l’ormeau produit une gelée très délicate qui a presque un goût de caillou.
HR: On partage l’ormeau des Abers, on ajoute la gelée délicate, une poudre de laitue de mer et l’oseille sauvage des falaises. Ultime raffinement, l’ormeau est servi accompagné des trois algues (Laminaire, Fucus et Palmaria) ayant successivement étayé les étapes de sa croissance, préalablement vieillies et affinées en cave.
Lucile Viaud : » Quel bonheur de voir l’ormeau sublimé dans toutes ses étapes de transformation. On assiste à un dialogue entre la matière et le plat, entre le plat et la matière, à un échange entre la cuisine et le travail du verre. C’est un aboutissement magique. Tout le parcours prend du sens, résonne dans un plat, parle au public par la gastronomie, le sensibilise au paysage et à la Bretagne. Comment décrire la sensation de manger un produit local, grandi dans les profondeurs d’une eau froide, riche en algues, illustrant le travail de ces hommes les goémoniers, dans un contenant façonné à partir des coquilles de ce même produit, portant en lui les couleurs des profondeurs et des aliments qui ont permis sa croissance »
Le contenant et le contenu portent ainsi en eux grâce à l’ormeau, le chaos de perceptions sensorielles issu du milieu halieutique: aspect, couleur, texture, saveur, odeur, sans oublier sa valeur symbolique d’oreille de la mer ! … Mais aussi le travail des hommes qui y ont participé, goémonier, éleveur, chimiste, artiste créatrice, souffleur et chef cuisinier …
L’exo-squelette que constitue la coquille d’ormeau partage et perpétue avec l’objet réalisé la fonction de contenant.
Une question mérite réflexion : Un verre obtenu à partir d’un endosquelette serait-il admis sans réserve ? La résistance ou le blocage qu’engendrerait un tel objet émanent -t- ils uniquement de cette filiation de fonction de contenance ?
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Le géoverre véhicule une valeur allusive, il est relié à … , il appelle un ailleurs … Faisant couple, il n’est pas seulement une substance et une forme. Le souffle interne qui le crée, le pénètre et l’imprègne métaphoriquement de l’énergie de tous ceux qui ont participé à son élaboration, de la naissance de la matière à l’objet fini, ici transfini …
La substance, la forme et tous ces ailleurs ainsi mis en tension, interagissent et racontent une histoire.
L’écart entre ces éléments, évènements et phénomènes qui l’ont édifié est fécond. Il s’oppose au prévisible et au mutisme de l’objet industriel qui dissimule la vie. Le géoverre prospecte, voyage, ouvre un possible de la pensée. Il est pervasif, porte, traduit et comprend… Il murmure l’intime d’une région, d’une culture, exhale les racines d’un peuple, son paysage, sa relation à la mer, bien au-delà du message exigu d’une substance anonyme. Ici la substance a une âme. Le géoverre est habité de cette conscience.
Mémoire d’un lieu, mémoire d’un monde vivant, mémoire des hommes.
…
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D’autres applications à la Géoverrerie
Lucile Viaud ne se limite pas au verre Glaz de la région Bretagne, fabriqué avec les coquilles d’ormeaux. Elle déploie son activité dans d’autres régions avec cette constante volonté de refléter dans le verre les caractères naturels et humains des régions dont les matières premières sont issues.
Elle développe ainsi:
- Le géoverre Lorrain : Depuis 2018, Lucile s’attelle à la composition d’un verre Lorrain, bassin verrier historique d’où elle est originaire (Pont-à-Mousson). Elle souhaite revenir aux processus ancestraux de fabrication du verre et questionner la valorisation de certaines matières locales emblématiques. Le projet s’inscrit au coeur du paysage agricole et industriel local.
- Le géoverre de Rouergue: Développé en 2019, le verre de Rouergue est formulé à partir de « matériaux rescapés » des paysages d’Aveyron : sable du Lot recueilli en 1976 dans le hameau de Montarnal, cendres de bois de chauffage de la vallée de la Truyère, coquilles d’escargots confiées par Thierry Ollitrault, un héliciculteur local. Sa couleur d’ambre emmène sur les berges du Lot voir le sable dans les profondeurs du fleuve.
- Le géoverre des îles du Ponant: L’intention est de sublimer le patrimoine naturel, humain et historique de chacune des îles qui constitue « le Ponant » par le verre, en lien étroit avec les verreries présentes sur ces îles. Grâce au soutien de l’association « Savoir faire des îles du Ponant ». L’objectif du projet est de formuler un verre inter-îles à partir de ressources à valoriser dans différentes filières implantées puis de faire naître un certain nombre d’applications en collaboration avec les savoir-faire présents sur chaque île.
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Nous remercions
Monsieur Stéphane Rivoal
de nous avoir ouvert les portes de son atelier » Silicybine »
et
Madame Lucile Viaud
de nous avoir accompagné lors de cette visite.
Merci à tous deux pour leur accueil, leur amabilité et leur disponibilité.
Stéphane Rivoal nous accueille dans son atelier Silicybine
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» Le verrier contemporain s’est ré-approprié un outil industriel «
(François Arnaud)
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* https://atelierlucileviaud.com
** https://www.francehaliotis.com
*** https://www.silicybine-verre.com
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