/, Société/Filtre facial, filtre vocal et Cognition sociale

Filtre facial, filtre vocal et Cognition sociale

By | 2024-09-02T21:46:58+02:00 12 septembre 2024|Art, Société|2 Comments

Thème du tiers inclus : La cognition sociale

Antagonismes en interaction : Entre présence et absence de filtre vocal et facial

 

 

 

L’équipe « Perception et design sonores » du laboratoire STMS (Ircam, Sorbonne université, CNRS, ministère de la culture), s’intéresse à l’impact des nouvelles technologies numériques sur nos cognitions sociales.

 

 

 

FILTRE FACIAL,  FILTRE VOCAL

 

Vers une anthropotechnie

de nos cognitions sociales*

 

 

Engagés dans des interactions sociales, nous extrayons de multiples informations de nos interlocuteurs, le plus souvent non conscientes. De l’apparence physique à certains éléments que l’on nomme « états cachés », ils illustrent ou trahissent les états mentaux de nos interlocuteurs.

 

 

D’un canal de communication paralinguistique, il est possible d’inférer l’état émotionnel d’un individu à travers la tonalité de sa voix (Juslin and Laukka, 2003), discerner à travers sa prosodie des attitudes sociales telles que la chaleur ou la bienveillance (Ponsot et al., 2018), ou des éléments métacognitifs tels que le doute (Goupil et al., 2021).

Ces inférences potentielles s’étendent même à la physiologie de l’interlocuteur, en particulier à son rythme cardiaque (Galvez-Pol, 2022).

Ainsi, une interaction sociale permet, avec plus ou moins de précision, la déduction d’un éventail considérable d’informations entre interlocuteurs.

 

*

 

Ces inférences émotionnelles subissent aujourd’hui l’influence de nouvelles technologies informatiques de contrôle de la tonalité émotionnelle de la voix et de l’expression faciale sur notre cognition sociale.

 

Selon l’inférence prédictive bayésienne (démarche logique permettant de calculer ou réviser la probabilité d’une hypothèse et ainsi le degré de confiance à lui accorder), les déductions d’états émotionnels entre interlocuteurs reposent sur un modèle interne du monde, conçu à partir d’expériences passées acquises dans un milieu donné.

 

 

Dès lors, telle inflexion vocale ou expression faciale, n’est pas une émotion en soi, mais le devient à travers le sens qui lui est donné cognitivement. (Barret, 2012).

 

Le cerveau, loin d’être un outil de traitement passif de l’information, crée constamment une perception d’émotions dans la voix ou la mimique entre interlocuteurs à partir de croyances.

 

 

 

Le fait par exemple que dans la société occidentale, le sourire soit associé à un état de joie – ce qui n’est pas le cas partout dans le monde – (Niedenthal et al.,2018), provient de son inscription dans un modèle interne comme une probabilité importante d’associer sourire et émotion positive. Cette forte relation guide nos perceptions des états d’autrui.

 

 

De façon générale, le modèle de l’inférence prédictive implique le profond enracinement de nos perceptions d’aujourd’hui dans ce que nous avons vécu hier.

 

*

 

Mais les expériences sont désormais influencées par deux transformations majeures de la société.

 

  1. L’émergence de technologies permettant de contrôler ou modifier par l’informatique, les expressions faciales, autrefois considérées comme naturelles. Ces techniques façonnent en direct l’image et l’expression du visage. Elles sont regroupées sous le terme de « filtres faciaux » et suscitent un énorme engouement sur les réseaux sociaux.

 

  1. Leurs pendants vocaux sont nommés « filtres vocaux ». Leur usage est en constante progression du fait de la popularisation des « notes vocales » ou « vocaux ». Sept milliards de vocaux sont envoyés chaque jour rien que sur WhatsApp, s’expliquant par le fait qu’ils permettent un meilleur passage du contenu émotionnel.

 

Les interactions sociales sont ainsi de plus en plus médiées par des outils technologiques. Les interfaces de communication intègrent vies personnelles et professionnelles.

Nombre de consultations médicales et psychiatriques se pratiquent par exemple sur ce mode.

L’extension de la numérisphère peut ainsi potentialiser la portée du premier phénomène.

 

 

Il y a donc lieu de s’interroger sur le possible bouleversement que ces filtres faciaux et vocaux peuvent engendrer sur notre modèle interne du monde et leurs inférences sur les états émotionnels ressentis lors d’interactions.

 

 

 

Une étude éthique expérimentale a récemment montré l’acceptation de la population pour l’utilisation de paramétrage de tonalité émotionnelle de la voix et l’utilisation de ces filtres. Leur utilisation recalibre nos attentes dans l’expression de telle ou telle émotion : ce qui semble aujourd’hui normal, -comme par exemple entendre un léger tremblement de la voix d’un interlocuteur un peu nerveux- peut le devenir beaucoup moins dans un milieu permettant le contrôle de telles manifestations.

 

Ce phénomène est nommé « glissement de la norme » en bioéthique (Golfi, 2009)

 

 

L’introduction de ces technologies affecte les relations, les identités, les normes et les valeurs de la société. (Van der Burg, 2009).

Le filtre vocal, au-delà de permettre un façonnement externe de l’image de soi (j’utilise un filtre de voix afin de paraître plus souriant auprès de mon interlocuteur), devient également – au vu des travaux actuels -, un objet de façonnement des modèles internes sur lesquels reposent nos cognitions sociales.

 

Le travail mené à l’IRCAM sur l’influence des technologies de transformations vocales et faciales sur la cognition pose la question éthique des enjeux sociétaux portés par l’utilisation de ces nouvelles technologies de soi.

 

                                                                       …

 

 

* Extrait de l’Étincelle, N. Guerouaou, Journal de la création à l’ IRCAM # 24

2 Comments

  1. Jacline MORICEAU 15 septembre 2024 at 20 h 04 min

    Passionnant et inquiétant comme c’est le cas , désormais devant les nouvelles avancées de la recherche Les références ouvrent à l’approfondissement voire la problématisation de cette masser d’informations. Leur utilili-té -sation, détournement, potentialités etc
    Merci
    À plus
    Jacline

  2. Jacline Moriceau 21 septembre 2024 at 19 h 24 min

    Eh bien de plus en plus intrusif inquiétant voire dangereux. La tentation de couper les réseaux sociaux ne suffirait plus.reste à trouver le filtre de filtre …

Leave A Comment

%d blogueurs aiment cette page :