Thème du tiers inclus : La propriété, la chrématistique*
Antagonismes en interaction : Valeur d’usage ~ Valeur d’échange, Entre deux valeurs disjointes assignables à la même chose
Aristote
Valeur d’usage
Valeur d’échange
« […] de chaque objet possédé il y a un double usage ; dans les deux cas il s’agit d’un usage de la chose en tant que telle, mais pas en tant que telle de la même manière : l’un est propre et l’autre n’est pas propre à l’objet.
Ainsi une chaussure sert à chausser et être échangée ; ce sont bien deux usages d’une chaussure en tant que telle, car celui qui troque une chaussure avec celui qui en a besoin contre de l’argent ou de la nourriture se sert aussi de la chaussure en tant que chaussure, mais pas selon son usage propre : en effet, elle n’a pas été fabriquée en vue du troc.
Et il en est de même pour les autres choses que nous possédons.
Car il y a échange de tout : il a son origine première dans ce fait conforme à la nature que les hommes ont parfois plus, parfois moins des choses qu’il faut. En ce sens il est clair que le petit commerce n’appartient pas par nature à la chrématistique*, car c’est seulement dans la mesure où il le faut qu’on en vint nécessairement à pratiquer le troc. […]
Car alors on échange des choses utiles les unes contre les autres et rien de plus, par exemple on donne et on reçoit du vin contre du blé, et ainsi pour chaque chose de cette sorte. Et cet échange-là n’est ni contraire à la nature ni une espèce de chrématistique* ; il existait, en effet, pour compléter l’autarcie naturelle. C’est pourtant de lui qu’est logiquement venue la chrématistique *.
Car quand on eut plus recours à l’étranger pour importer ce dont on manquait et exporter ce qu’on avait en surplus, nécessairement s’introduisit l’usage de la monnaie. Il n’est pas aisé, en effet, de transporter toutes les denrées naturellement indispensables ; c’est pourquoi pour les troquer on convint de quelque chose que l’on pût aussi bien donner que recevoir, et qui, tout en étant elle-même au nombre des choses utiles, ait la faculté de changer de mains pour les besoins de la vie, par exemple le fer, l’argent et toute autre matière semblable, dont la valeur fût d’abord simplement définie par les dimensions et le poids, puis finalement par l’apposition d’une empreinte, pour éviter d’avoir sans cesse à les mesurer ; l’empreinte, en effet, fut apposée comme signe de la quantité du métal. Une fois donc la monnaie inventée à cause des nécessités du troc, naquit une autre forme de chrématistique, la forme commerciale, ce qui se manifesta sans doute d’abord de manière simple, puis, l’expérience aidant, avec plus d’art en cherchant d’où et comment viendrait, par l’échange, le plus grand profit possible.
C’est pourquoi les gens pensent que la chrématistique a principalement rapport avec la monnaie, et que sa fonction est d’avoir les moyens de faire connaître d’où l’on peut tirer une grande quantité de valeurs : elle semble, en effet, produire de la richesse et des valeurs. Car on pense souvent que la richesse c’est une masse de numéraire, parce que c’est au numéraire qu’on rapporte la chrématistique sous sa forme commerciale. »
Aristote, Les Politiques, Livre I, chap. 9, 1256 b-1257a, tr. fr. Pierre Pellegrin, GF, 1993, p. 115-117.
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* Étymologie. (1839) Du grec ancien χρηματιστικός , khrematistikos, de χρηματιστής , krêmatistês («trafiquant, négociant »), lui-même de χρῆμα , khrêma (« affaire »).
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