Thème du tiers inclus : Le mystère, l’imaginaire, la gloire autour d’une sublime beauté amputée de ses bras.
Interactions : Entre beauté et mutilation, entre identités possibles
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Vénus de Milo
entre
Beauté sublime et Corps mutilé
Si Olivier Voutier, découvreur de la Vénus de Milo, voit en elle la déesse de l’amour, nombreux sont ceux qui entre science et imaginaire suggèrent ou proposent d’autres hypothèses :
- Une Danaïde rependant de l’eau à l’aide d’une amphore
- La guerrière Artémis, armant un arc
- Une muse jouant de la lyre
- Amphitrite, un trident à la main, emblème de Poséidon, son époux, dieu des océans
- Niké, déesse de la victoire, tenant un bouclier ou une trompette. Les dégradations de la pierre au niveau des omoplates permettant d’imaginer la présence d’ailes dans le dos …
Hypothèses proposées
Entre ce qu’elle fut réellement et ce que l’on imagine qu’elle fut, persiste une incertitude entretenant le mystère autour de cette oeuvre. Les conjectures sur ce qu’ont été ou ce qu’ont porté ses bras nourrissent l’imaginaire, ouvrent le champ du possible et entretiennent le doute sur sa véritable identité.
La Vénus de Milo inspira d’innombrables artistes.
Cette source d’inspiration eut-elle été aussi riche si son corps avait été intègre, non mutilé et sa véritable identité connue et certifiée ? La création aurait elle été aussi féconde sans cet intervalle laissé libre par le doute entre son identité et ce corps amputé de ses bras. Son prestige, sa popularité, auraient-ils autant rayonné en cas d’intégrité de son corps. Le mystère qui s’y attache, dans cet écart entre beauté sublime et mutilation, n’est-il pas le ferment de cette gloire ?
La Joconde peut fournir un contre-exemple mais elle porte d’autres mystères nourrissant eux aussi l’imaginaire …
Aphrodite reste cependant l’hypothèse la plus couramment admise, mais la question de son attribut reste posée : un miroir, une colombe, une couronne, une épée ou la pomme sur laquelle Eris, la déesse de la discorde avait fait inscrire « pour la plus belle » ?
Sur des documents écrits de la main de « Dumont d’Urville », décrivant «sa» découverte, il est fait mention d’un ancien lieutenant de la «Chevrette* » nommé Amable Matterer assurant que la Vénus de Milo, était bien dotée de ses bras au moment de sa sortie de terre, et qu’elle tenait une pomme dans l’une de ses mains. Ce fut, ajoute-t-il, lors des échauffourées avec les représentants des ottomans, lors de son transbordement que l’intégrité du chef-d’œuvre fut altérée. Dumont d’Urville, décédé à l’époque de ce témoignage, ne put corroborer ces dires. On apprendra plus tard que La Chevrette n’était pas alors dans les eaux de Milo, discréditant ainsi la véracité de ce récit.
Malgré l’avis de Lange, responsable de la restauration du Louvre, et celui de Clarac, conservateur des antiques; une majorité d’experts abandonne l’idée de la restaurer et de lui restituer ses bras …
… À ces péripéties liées à sa découverte, à la nature ambivalente d’Aphrodite, s’attache une chronique complexe : protectrice de la fécondité, du mariage et de l’amour, elle est également patronne des prostituées, soutien de l’amour profane et des passions les plus destructrices. Elle est tout à la fois l’amante d’Arès, l’épouse infidèle d’Héphaïtos et la déesse amourachée du bel Adonis.
* La chevrette est le nom du navire qui a transporté la Vénus de Milo.
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1. Certains l’ont adulée :
1.1. Théophile Gautier : « De ce sourire vague et tendre, légèrement entr’ouvert comme pour mieux aspirer la vie, d’une sérénité lumineuse, sans la moindre nuance d’ironie, de ce sourire inconnu aux lèvres modernes et d’un irrésistible charme »
Puis à propos des communards : « On connait l’esthétique de ces farouches sectaires et leur mépris de l’idéal. Avec eux la déesse, s’ils l’eussent découverte, courait de grands risques ; ils l’auraient vendue ou brisée comme un témoignage du génie humain offensant la stupidité égalitaire. L’aristocratie du chef-d’œuvre n’est -elle pas celle qui choque le plus l’envieuse médiocrité »
1.2. Rilke à Rodin : « La réalité est une chose lointaine et qui ne s’approche, avec une infinie lenteur, que de ceux qui ont la patience »
1.3. Rodin: « N’est-ce pas merveilleux ? Voyez les ondulations infinies du vallonnement qui relie le ventre à la cuisse… Savourez toutes les incurvations voluptueuses de la hanche […] sur les reins, toutes ses fossettes adorables. » «C’est de la vraie chair. On la croirait pétrie sous les baisers et les caresses »
« C’est un égal de Prométhée, celui qui a su ravir à la nature la vie que nous adorons dans la Vénus de Milo »
Rodin affectionne particulièrement cet aspect fragmenté en l’absence des bras . «Ô Vénus de Milo, le prodigieux sculpteur qui te façonna sut faire passer en toi le frisson de cette nature généreuse, le frisson de la vie même, ô Vénus, arc de triomphe de la vie, pont de vérité, cercle de grâce ! »
« Quelle splendeur en ton beau torse, assis fermement sur tes jambes solides, et dans ces demi-teintes qui dorment sur tes seins, sur ton ventre splendide, large comme la mer ! C’est la beauté étale, comme la mer sans fin… Tu es bien la mère des dieux et des hommes.»
En 1905, le projet d’un monument au peintre James McNeill Whistler ( 1834-1903) est confié à Rodin. Le génie du peintre est évoqué par une figure allégorique, nouvelle conception du monument public. A la mort de Rodin, le monument n’est pas prêt et le comité londonien refuse la statue. La simplification des volumes et l’originalité de la pose invitent aujourd’hui à considérer l’oeuvre comme une des plus belles pièces de la fin de sa carrière, mêlant plénitude de la Grèce antique et simplicité moderne du modelé.
La Vénus de Milo a inspiré Rodin pour évoquer le génie de Whistler. Il réalisera la Muse Whistler nue, dont le torse amputé des bras évoque une Vénus de Milo qui se pencherait. Il y ajoute un drapé sur les hanches et les fesses.
Rodin : « Modelée par la mer, qui est le réservoir de toutes les forces, tu nous séduis et tu nous domines par cette grâce et par ce calme que seule la force possède, et tu répands en nous ta sérénité. Elle se propage comme le charme des mélodies puissantes et graves. Quelle ampleur triomphale ! Quelles ombres vigoureuses !
Des confins des deux mondes, les foules viennent te contempler, marbre vénéré, et le crépuscule dans la salle s’épaissit pour te mieux laisser voir, seule rayonnante, durant que passent, silencieuses, les heures lourdes d’admiration.
Tu entends encore nos clameurs, Vénus immortelle ! Après avoir aimé tes contemporains, tu es à nous, maintenant, à nous tous, à l’univers. Il semble que les vingt-cinq siècles de ta vie aient seulement consacré ton invincible jeunesse. »
Au XIXème, elle est citée ou suggérée dans des figures emblématiques :
1.4. La liberté guidant le peuple de Delacroix, où la femme, personnage principal de ce tableau, est surdimensionnée par rapport au reste des autres protagonistes. En réalité, Delacroix relève son allégorie du personnage représentant une idée ou un sentiment, par ce choix: son buste, ses pieds nus, la ligne serpentine de son corps, le drapé aérien de sa tunique » s’inspire de la statue grecque antique de la Vénus de Milo.
1.5. les Baigneuses de Cézanne où l’une des figures de gauche est inspirée d’une sculpture de la déesse Diane, tandis qu’une figure de droite fait allusion à la Vénus de Milo.
2. Certains l’ont détournée.
2.1. Magritte : « Les menottes de cuivre » titre purement poétique recommandé par André Breton, lui apparait incorporer à l’objet une couleur supplémentaire sans introduire pour cela l’arbitraire puisque le cuivre est le métal correspondant à Vénus. « Cet objet rappelle les masques sur lesquels je peignais le ciel, ou une forêt. Ici, la tête est blanche, le corps est de la couleur de la chair, la draperie est bleue, le socle et les sections des bras et du pied sont noirs. À mon sens, cela redonne à la Vénus une vie inattendue »
2.2. Dali : Dali achète des crayons de la marque Vénus Esterbrook lors d’un voyage à New York en 1934. Dans le dessin de cette boite de crayons, lui apparait le visage d’un torero imbriqué dans la statue de la Vénus. Visage qu’Il est seul à discerner. Ceci lui inspire une toile surdimensionnée «Le torero hallucinogène » où transparait le visage de Manolete, torero tué dans les arènes de Linares par le taureau Islero. Lors de l’estocade, l’une des cornes lui perfore l’artère fémorale et provoque une hémorragie fatale. Un article sera prochainement consacré à ce tableau de Dali ( Le torero hallucinogène) sur ce site.
Manolete révolutionna la tauromachie en proposant des faenas, liées, allongées, mais introduisant la recherche de l’esthétique. On lui attribue souvent l’invention d’une passe, la « manoletina » qu’il a contribué à populariser au point que son nom y est désormais attaché.
Vénus aux tiroirs : Dali et Duchamp traduisent les fétiches et obsessions de leur inconscient. Les tiroirs qui sortent du corps symbolisent la mémoire enfouie et illustrent la « pensée à tiroirs »
Métamorphose topologique de la Vénus de Milo traversée par les tiroirs
La grande Vénus de Milo aux tiroirs
Tête de Vénus ornithologique
2.3. Erwin Blumenfeld dans le photomontage : Manina ou l’âme d’un torse.
2.4. Man Ray: Venus de Milo compagnie parisienne de distribution d’électricité
3. De nombreux artistes flétriront sa beauté de diverses manières :
3.1. Dans sa série « les tirs », Niki de Saint Phalle, vêtue d’un costume de soldat de l’armée impériale et d’un pantalon blanc ; chaussée de bottes noires fait feu sur une Vénus de Milo en plâtre. Des sachets de peinture rouge et noire, disposés en son sein, explosent au hasard sous les tirs. L’évènement constitue une insulte et un hommage à la Vénus. Par cette attaque envers l’icône de la beauté parfaite, Niki de Saint Phalle exorcise ses démons et ses propres blessures, blesse et anéantit la si facile capacité du chef d’œuvre à traverser les époques sans altération.
3.2. Dans « La fable de la souris de Milo », Max Ernst s’en prend également à la Vénus « Sa peau trop froide, son socle trop vieux, son haut cantique trop bas, sa chemisette de biais, son bébé trop lourd, ses formes trop vides »
3.3. Jim Dine, peintre, et graveur américain, décapite un modèle de la Vénus ; « Même ainsi amputée, le public la reconnaitra tant elle a colonisé les esprits »
Dans « Lady and a shovell », Il associe ensuite la Vénus à une pelle, instrument du quotidien, afin d’évoquer l’effort qu’exige la création artistique.
Dans Nine views of winter, il raccourcit la silhouette, occulte le pied et le bas du drapé.
Enfin dans Heart and Vénus, il l’associe à son célèbre cœur.
Dans « the Grove Ursula », son drapé rappelle le granit de l’ile de Milo où elle fut découverte.
3.4. Le plasticien britannique Clive Barker, dans « Chained Venus » l’enchaine dans une robe d’acier, l’enlasse d’une corde dans « Roped Venus » ou incruste deux gastéropodes dans « Vénus escargot »
3.5. Arman la découpe en tranches dans « J’attends ton retour », la sectionne dans « Vénus crantée » ou dans « Vénus de Milo en éventail »
3.6. L’université de Franche-Comté réalisera un hologramme de la Vénus
3.7. L’artiste américain Ed Paschke recouvre son visage d’hologrammes coloriés et brillants
3.8. Dans PerfectlysuperNatural Vénus de Milo, Simone, Gesa, Andréa, Anna, Isabelle, Anja, Friederike van Lawick et Hans Müller la mêlent à des femmes banales qui lui ressemblent
3.8. La société Michelin la met en scène dans une publicité.
3.9. Les cigares Hamlet également : un artiste s’accorde quelques bouffées réconfortantes après avoir amputé le bras de la Vénus
3.10. Darty l’utilise sous ce slogan : «Quand je vois les prix Darty, les bras m’en tombent »
3.11. L’association Handicap international l’appareille de prothèses afin d’alerter sur les corps brisés
Bien à toi
Jacline