Thème du Tiers inclus : L’hypnose musicale.
Antagonismes en interaction : Sensations en mémoire, couleurs, bruits, odeurs, respiration, impressions tactiles, musculaires, stimulations sensorielles diverses… La multiplicité des afférences et antagonismes en interactions sature les canaux sensoriels, engendre le lâcher-prise et permet d’atteindre l’état hypnotique, émanation d’une multitude de tiers inclus d’origines et de natures diverses.
La multiplicité d’interactions et d’informations antagonistes empêche la focalisation de la conscience. L’intellect, élément de contrôle, ne peut plus alors remplir sa tâche, il ne peut plus comprendre ( de « prendre avec« ) et lâche prise.
La fonction de contrôle est désactivée.
La multiplicité des antagonismes et des tiers inclus ainsi créés ne permet pas au patient le suivi simultané de toutes les stimulations. C’est le point de basculement. La conscience s’immerge alors dans la sensation et vit une expérience non-verbale. Elle devient uniquement réceptive, débarrassée du filtre de l’analyse et du jugement. « Vide » disent les asiatiques. L’inconscient – l’inconnu – peut alors faire irruption dans le conscient, devenir connu et permettre le cheminement vers une solution aux problèmes.
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L’Hypnose Musicale consiste à induire et accompagner une séance d’hypnose avec une improvisation chantée ou jouée sur instrument. L’hypnose musicale se pratique également en groupe sous la forme de concert-thérapie.
Stéphane Ottin Pecchio a préparé le concours d’entrée de piano au Conservatoire National de Musique de Paris avant de se consacrer à la médecine. Rhumatologue, hypno-thérapeute, il est considéré comme l’un des pionniers de la musique de l’hypnose. Il nous livre cet article en prélude au concert d’hypnose musicale qu’il donnera à Paris le 7 juin 2018. Il décrit ici une approche novatrice, sensorielle et artistique de l’hypnose qui, mettant l’intellect en antagonisme avec la sensation, ouvre une autre dimension, celle de la créativité et de l’inconscient.
L’hypnose moderne est une expérience intérieure guidée. Son objectif est thérapeutique. Son principe consiste à lâcher le contrôle mental pour aller vers l’inconscient. Par mental, il faut entendre tout produit de la pensée : cognition, analyse, représentation, imagination… Ici se situe le paradoxe thérapeutique de l’hypnose : ne plus s’occuper d’un problème afin de le résoudre. Lorsque les efforts conscients de l’individu ont montré leur inefficacité, que la pensée rumine sans apporter de solution, mieux vaut l’abandonner. Cela demande de lâcher le contrôle et de se tourner vers l’inconnu, l’inconscient, dans l’espoir qu’il apportera une solution.
Mais le lâcher de contrôle n’est lui même pas sous contrôle.
Le mythe grec de Dédale, de daidalos (travaillé avec art), nous fournit une métaphore. Dédale ayant été enfermé dans le labyrinthe, qu’il avait construit put s’en évader en « se dotant, ainsi que son fils Icare, d’ailes faites de plumes collées à la cire…» ( Day M. « Cent personnages clés de la Mythologie » , 2008, Ed. Le pré aux clercs ). Comment sortir du labyrinthe de nos constructions mentales ? Des voies naturelles existent puisque nous rejoignons quotidiennement le monde des rêves du dieu grec Hypnos. Parfois en se racontant une histoire ou en portant attention aux sensations corporelles, comme lors de l’induction hypnotique.
L’hypnose peut être efficace sans atteindre l’état de sommeil hypnotique, une transe légère suffit. L’état d’hypnose ressemble beaucoup à l’état de rêve. Pour mettre le patient en état d’hypnose, on peut lui suggérer de retrouver des sensations en mémoire. Par exemple se souvenir d’ un endroit dans la nature avec ses couleurs, ses bruits, ses odeurs. On peut aussi orienter son attention vers les sensations musculaires.
Souvent suffisant, il faudra parfois ajouter des stimulations et saturer les diverses afférences sensorielles pour le soustraire à son vécu douloureux et atteindre l’état hypnotique.
Ainsi créée, cette multiplicité d’interactions et d’informations antagonistes empêche la focalisation de la conscience sur un élément à la fois. L’intellect, élément de contrôle, ne peut plus alors remplir sa tâche, il ne peut plus comprendre (prendre avec, tenir) et lâche prise. La fonction de contrôle est désactivée.
Le patient ne peut simultanément suivre toutes les stimulations. C’est le point de basculement. La conscience s’immerge dans la sensation et vit une expérience non-verbale. Elle devient uniquement réceptive, débarrassée du filtre de l’analyse et du jugement. « Vide » disent les asiatiques. L’inconscient – l’inconnu – peut alors faire irruption dans le conscient, devenir connu et proposer une solution. Il sera perçu.
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Particularité de l’hypnose musicale, le canal sensoriel auditif apporte une dimension artistique et créative. Les sons peuvent être soit « entendus » de façon imaginaire (dans la tête), soit écoutés réellement s’ils sont joués ou chantés. Ils font alors réagir non seulement l’oreille mais également l’ensemble du corps ( via les corpuscules de Paccini). Les instruments acoustiques produisent une infinité d’harmoniques induisant l’état d’hypnose ; ils font voyager et s’éloigner de la réalité ordinaire. Ce basculement n’est toutefois jamais garanti, le son « brut » se révèlera parfois insuffisant.
L’omniprésence de certaines douleurs chroniques peut devenir obsédante. Emprisonnés dans leur vécu douloureux, certains patients, ainsi dissociés, deviennent insensibles aux stimuli agréables de la vie. Le thérapeute devra alors apporter beaucoup d’énergie, donner beaucoup de lui même.
Ici intervient la dimension artistique: l’âme de l’artiste, son authenticité transforment le son en musique. Le thérapeute qui s’expose ainsi a plus de chances de toucher le patient. En s’exposant, il le rencontre, entre en contact, établit une relation avec lui. La musique est un art que l’on partage. Ce moment est vécu très intensément. Le thérapeute, lui même en transe, en contact avec son propre inconscient, sa créativité, transmet cet état à son patient par osmose. Ce phénomène est reconnu par tous les praticiens de l’hypnose.
Advient la rencontre entre un flux continu de sensations et un intellect qui, saturé, ne parvenant plus à contrôler, lâche prise et permet l’accès à une réceptivité d’une autre dimension. La musique classique recèle de nombreux processus hypnotiques. Citons la polyphonie à 3, 4 et parfois 10 voix qui rend impossible de les suivre toutes à la fois; le flux continu de notes créant un foisonnement d’harmoniques dissociatives qui emportent… La musique apporte à l’hypnose le cadre sécurisant de l’harmonie, univers positif et rassurant. En écoutant la musique baroque par exemple, l’on ressent un effet calmant. L’harmonie repose sur les lois physiques du son découvertes par Pythagore et Fourier. Elles font partie des lois de l’Univers.
La musique d’hypnose thérapeutique, bien que basée sur ces principes, est différente. Quelques notes suffisent à déclencher de grands effets dans cet état de réceptivité exacerbée. Faciliter le contact avec l’inconscient nécessitera l’instauration d’un état de calme et de sécurité dans l’esprit du patient. La musique de l’hypnose se caractérisera par un rythme inférieur à celui d’un cœur lent (< 60 / mn) et des phrases musicales répétitives. Le nombre croissant de notes jouées entre deux pulsations créera une impression de mouvement imitant la marche, la course, l’eau qui coule, la mer et les vagues, accompagnant les métaphores hypnotiques suggérées. L’inconscient lui, n’entend que la pulsation, toujours la même, permettant au patient de se re-synchroniser et de conserver le lien établi.
Le choc des antagonismes intellectuels et sensoriels permet l’accès à un univers inconnu, l’inconscient. Selon Milton Erickson ( Hypnose Ericksonienne), cet univers regorge de ressources propres à apporter des solutions à nos problèmes. Il se caractérise par une impression de non-temps, un affinement des perceptions sensorielles et la surprise liée à l’émergence de faits inconnus ou oubliés.
Dans cet espace de conscience le sujet va observer la transformation de la perception sensorielle et de sa représentation. L’hypnose atténue la sensation douloureuse. Une étude conduite par l’auteur au Centre d’Évaluation et de Traitement de la douleur de l’hôpital Tenon montre en moyenne une amélioration de 61% de la douleur avant et après la séance même chez des patients sous morphine. L’hypnose atténue également la souffrance morale (73% de réduction de l’anxiété après les séances). Le sommeil s’améliore etc…
Souvent transitoires ces effets peuvent toutefois persister un certain temps (30% pendant 8 jours dans le cas de la douleur ou de l’anxiété) et même durablement dans certains cas de dépression. On parle de guérison temporaire. Lors de psycho-traumatismes, le patient peut voir l’image traumatique remplacée dans un premier temps par une image ressemblante ( le capot de la voiture percutée est par exemple remplacé par un grand nombre d’images de voitures de différentes couleurs) avant de disparaître. L’hypnose permet de changer durablement de point de vue sur une situation ( phobie, peur de parler en public…) et de sortir du handicap. La rémanence de ces effets positifs, leur persistance, est un argument en faveur de la réorganisation durable du phénomène pathologique c’est à dire de sa transformation.
L’inconscient est un espace de transformation. Quelque chose se modifie durablement, se re-crée.
L’art est synonyme de créativité. Les musiciens ayant joué en état d’hypnose décrivent des états dissociés. Ils témoignent du contact avec leur inconscient.
La pianiste Thérèse Dussaut rapporte ainsi son expérience vécue lors d’un concert : « J’aurais pu faire quelque chose d’autre en même temps, comme regarder ailleurs. L’œuvre était comme ma propre respiration. Elle ne me coûtait pas d’énergie. Cela aurait pu durer longtemps. C’était agréable, euphorisant, comme en une clairière ensoleillée ». Mais le musicien doit en même temps garder le contrôle de ses doigts sinon … Les artistes en concert sont donc bien présents à leur corps – associés – tout en étant inspirés et donc dissociés.
L’art c’est recevoir de son inconscient. « L’intuition d’une inconnue déjà possédée mais non intelligible » écrit Igor Strawinski dans la « Poétique Musicale ». L’art sous entend une musique non seulement répétée, mais surtout une musique renouvelée lors de chaque interprétation, une musique d’une dimension dépassant le thérapeute, inspirée (in spriritu), habitée, vécue et investie.
A chaque fois. Le contraire d’un automatisme ou d’un geste technique. L’art est la transformation, le ré-arrangement inédit d’éléments pré-existants, opérée par l’esprit humain.
L’art réintroduit ici la musique dans le soin, dans la thérapie. Le psychiatre Malarewicz écrit : « Faire en sorte que l’état hypnotique soit profitable à un patient, s’apparente à la création d’une œuvre d’art ». Le thérapeute va communiquer sa créativité, sa capacité à écouter et à recevoir ce qui vient de son inconscient. Le patient aura ainsi plus de facilité à entrer en contact avec son propre potentiel créatif.
Pour être efficace, l’acte thérapeutique doit être créatif afin d’aider le patient à trouver sa propre solution.
Si le principe de la méditation de pleine conscience est l’instant présent en association avec le corps, celui de l’hypnose repose sur la dissociation. Certains types d’hypnose, telle l’hypnose musicale sont plus associés au corps. La stimulation sensorielle auditive ramène au corps. L’association avec le corps semble permettre une plus grande dissociation en fournissant un point d’ancrage corporel qui rend capable d’aller plus loin dans la recherche intérieure. Il est même possible que l’état de dissociation soit proportionnel au degré d’association corporelle : plus on est associé et plus on peut se dissocier et aller chercher plus loin encore l’inspiration ou l’information. C’est très précisément ce qui se produit lorsqu’on joue en état d’hypnose.
L’hypnose musicale, cette hypnose à la fois sensorielle et artistique, nous permet d’atteindre des niveaux insoupçonnés de notre être. La musique joue le rôle d’un vecteur qui conduit vite et loin grâce à la sécurité que confère l’harmonie. Elle apporte peut être une transformation thérapeutique d’un type particulier prenant sa source dans l’harmonie et les lois de l’Univers. Par son aspect sensoriel, cette hypnose favorise l’intégration des prises de conscience dans la réalité corporelle. On peut émettre l’hypothèse qu’elle permet une meilleure intégration corporelle des changements apportés.
Concert d’Hypnose Musicale le 7 juin 2018 à La Cité Internationale de Arts, Paris 4ème. Tous renseignements sur le site : hypnose-musicale.fr. Réservations sur billetreduc.fr.
Bonjour Dr Ottin-Pecchio,
Nous nous sommes brièvement rencontrés au Congres d’hypnose a Montreal alors que pendant la pause vous étiez en conversation avec Gaston Brosseau et Rémi Coté. Gaston a d’ailleurs pris une photo. J’aime beaucoup votre approche thérapeutique. J’habite à Montreal. Comment puis-je me procurer votre CD « Hynose Musicale »?
Merci et meilleures salutations,
Chantal Simard, Ph.D.,
Psychologue / neuropsychologue