Thème du Tiers inclus: La relation, le divers
Antagonismes en relation: La peau, la langue, la religion, les vérités, les absolus….
Cet article reproduit l’entretien réalisé en 2017 avec Patrick Chamoiseau en Martinique,
entretien présenté lors de l’exposition » Le bateau atelier de Titouan Lamazou «
au Musée Jacques Chirac du Quai Branly en Janvier – Février 2019.
Illustrations : Tableaux de Titouan Lamazou
Patrick Chamoiseau
——-
Rappel des principes permettant l’appréhension de cette pensée sous l’angle de la logique du tiers inclus contradictoire.
» À tout phénomène, élément ou événement logique quelconque, et donc au jugement qui le pense, à la proposition qui l’exprime, au signe qui le symbolise
« e » (par exemple),
doit toujours être associé, structuralement et fonctionnellement, un anti-phénomène, un anti-élément ou un anti-événement logique, et donc un jugement, une proposition, un signe contradictoire :
« non-e »
de telle sorte que « e » ou « non-e » ne peut jamais qu’être potentialisé par l’actualisation de « non-e » ou « e », mais non pas disparaître afin que soit « non-e » soit « e » puisse se suffire à lui-même dans une indépendance et donc une non-contradiction rigoureuse
(comme ce le serait dans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur l’absoluité du principe de non-contradiction). »
Ainsi :
- l’actualisation dynamique de l’un implique une potentialisation dynamique contradictoire de l’autre
- la non-actualisation ~ non-potentialisation de l’un, une non-actualisation ~ non-potentialisation contradictoire de l’autre.
Ceci définit les lois de l’énergie logique issues du principe d’antagonisme. Le dynamisme et l’énergie sont de par nature même, le passage d’un état potentiel à un état actuel et inversement.
Un élément, un évènement logique ne peut par conséquent être rigoureusement non-contradictoire. Il ne peut atteindre « le cas pur », l’absoluité ».
***
Une chose, une proposition vraie, une vérité n’est jamais solitaire : à toute actualisation, par là même vraie, à toute vérité, correspond toujours la virtualisation, par là même vraie, de l’élément contradictoire, une vérité contradictoire de virtualisation.
Dans l’antagonisme culturel évoqué ici, il n’y a aucune possibilité logique d’anéantir l’une ou l’autre des polarités culturelles, mais seulement de l’actualiser ou de la virtualiser à des degrés variables. L’absolutisation signifierait l’isolation, l’encapsulement de l’une ou de l’autre. C’est précisément de leur co-existence que naît la dynamique et l’énergie du devenir.
Sur le même thème, voir également sur ce site les deux articles :
1. Roger Bastide, » L’acculturation »
2. Edouard Glissant face au mémorial de l’anse Caffard évoque « Le tout monde »
—–
Entretien avec Patrick Chamoiseau
dans le bateau atelier de Titouan Lamasou
« Dans toutes les cultures traditionnelles, on a des dispositifs d’hospitalité, on a du don, on a du contre don, on a des échanges, on sait que celui qui vient, qu’on ne connaît pas, peut amener du nouveau et on voit à quel point toutes les découvertes techniques qui se sont produites dans les différents clans, tribus d’homo sapiens se sont répandues à une vitesse absolument incroyable. Ceci montre que les cultures absorbaient quand même la différence, l’étrangeté, l’inconnu. Elles restaient donc ouvertes en même temps qu’elles posaient des absolus ».
« Toutes les communautés de sapiens se sont toujours fondées sur des absolus et ont affronté d’autres communautés. L’histoire d’homo sapiens est une histoire de conflits d’absolus, ça a toujours été ça, mais ça restait lié à des territoires à peu près limités.
Mais ce qui va se produire, c’est que l’occident, à un moment donné de son développement et du développement du capitalisme, va se projeter sur la totalité du monde et va projeter son absolu sur la totalité du monde ».
Lorsque les occidentaux vont arriver quelque part, ils vont dire : » Nous avons la vérité, ma peau, mon Dieu, ma langue, ma civilisation et quand je n’arrive pas à comprendre l’autre, il faut que je le civilise, que je le christianise, que je l’éduque, etc… et même à la limite, s’il ne comprend pas, on peut l’assassiner, on peut le tuer, on peut le génocider ».
» On a donc eu cette espèce de déploiement d’une identité exclusive de l’autre avec un sur-discours concernant l’identité qui va d’ailleurs infecter tout notre esprit pendant longtemps. L’occident a, d’une certaine manière, imposé les absolus qui lui étaient liés aux cultures traditionnelles.
Mais dessous ces absolus, il y a toujours eu cette sensation du divers et on voit que pendant le mouvement même de la colonisation où on imposait, on génocidait des peuples entiers, on imposait des absolus religieux, linguistiques, esthétiques etc… , il y avait quand même des marginaux, des poètes, des gens comme Victor Segalen, enfin tous ces gens qui ont une sensibilité du divers, qui se déployaient dans les mêmes bateaux que les colonialistes, mais ressentaient quelque chose du monde et se sentaient touchés d’une certaine par cette ouverture qui était précieuse ».
***
» Au moment du combat contre la colonisation, il y eut deux choix opposés.
- On reprenait le discours des colonialistes: ma peau contre ta peau, ma langue contre ta langue, mon Dieu contre ton Dieu, mes vérités et mes absolus contre tes vérités et tes absolus ». » En gros ça a été ça, les luttes contre les … indépendances et la décolonisation : On a repris le discours dominateur et on a opposé les absolus du colonisé aux absolus des colonisateurs : ma langue, ma peau etc … ça a été ça. »
- » Mais Glissant, très rapidement, a dit: le plus important çà va être la relation, et la relation, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que plutôt que d’essayer de répandre ou d’étendre à l’infini ce qui s’est constitué dans mon aventure communautaire, il faut que nous soyons sensibles au fait qu’il y a eu d’autres histoires ».
» Que les communautés de Sapiens ont produit des ombres mais ont produit des merveilles et que le monde est fait de diversité. Diversité culturelle, diversité linguistique, diversité symbolique, diversité philosophique, enfin bon une diversité incroyable qui rejoint la diversité naturelle. Tous les écosystèmes du vivant sont constitués de différences et c’est à partir de la rencontre des différences que le vivant va produire de nouvelles différences et qu’on va entrer dans un processus de vitalité. C’est ce qui fait que très rapidement, Glissant va dire que le plus important dans les années qui viennent, va être la capacité à vivre la relation, non pas à imposer ses absolus : ma langue, ma peau, ma vérité, mon système, etc… mais véritablement de rentrer dans cette aventure qui nous permet d’être totalement disponible à la présence, à l’éruption et à la rencontre avec la différence « .
Edouard Glissant
» Et c’est, me semble-t-il ,aujourd’hui ce qui est le plus déterminant et pour nous le plus précieux, c’est le principe relationnel qui détermine de plus en plus la vie des individus. Les individus se déplacent, se marient, se rencontrent etc… il y a une créolisation du monde qui est en train de se faire. Alors qu’est ce que ça veut dire ? «
» Ça veut dire on peut choisir sa langue, on peut se déplacer dans une langue, naître avec une langue ou commencer à écrire dans telle langue et continuer dans une autre langue. Quand on regarde bien le mouvement des écrivains ou des artistes dans les langues, on s’aperçoit qu’ils peuvent choisir leur langue, qu’ils peuvent changer de lieu, qu’ils peuvent choisir leur terre natale parce que la terre natale n’est plus l’endroit où l’on naît, la terre natale, c’est l’endroit où l’on se réalise. Donc on choisit sa terre natale, c’est une situation qui est en train de plus en plus de s’imposer mais qui du coup provoque le contraire.
Chaque fois qu’on a des purifications ethniques, qu’on a des nationalismes meurtriers qu’on a des frontières qui deviennent meurtrières, c’est que le fait relationnel est en train de se répandre et de provoquer une sorte de terreur dans les imaginaires ordinaires et qui provoque le contre coup de la relation ».
» Le plus déterminant, c’est la relation. »
Entretien réalisé en 2017 avec Patrick Chamoiseau en Martinique.
Illustrations: Tableaux de Titouan Lamazou
Chamoiseau (?): « Dans toutes les cultures traditionnelles, on a des dispositifs d’hospitalité, on a du don, on a du contre don, on a des échanges, »
Le problème du don et du contre don est évidemment capital pour l’harmonie de la vie collective (problème évidemment complètement occulté, sinon incompris, par nos modernes économistes).
Dans une courte lettre au Benoît Virole¹, Thom écrit: « L’échange commercial Don + Contre-don est socialement assez fondamental mais il n’existe aucune singularité de codimension <4 qui le réalise …" (Je rappelle que, pour Thom, la catastrophe "papillon" est, entre autres, la catastrophe de don².)
Je "sens bien" la catastrophe de don + contre-don comme la catastrophe dite de double fronce (double cusp en anglais), catastrophe "amoureuse" somme de deux catastrophes de prédation que Thom associe à la fronce, de potentiel non déployé W(x,y)=V(x)+V(y) où V(x)=x⁴ est le potentiel non déployé de la fronce. Le déploiement de W est de codimension topologique 7 (algébrique 8), alors que la somme des codimensions des déploiements des deux fronces est seulement 4. Il y a donc une synergie considérable dans l'accouplement de ces deux fronces. symboliquement ça me fait très fortement penser à une union amoureuse, la symbolique se retrouvant jusque dans le choix des lettres (XX et XY).
Je ne retrouve pas cette catastrophe dans la classification d'Arnold. J'ai espéré E8 pour faire la jonction avec Garrett Lisi³. Peut-être suffit-il de diachroniser E8, trop synchronique, en le déroulant -à la Lupasco bien sûr- en un E8 tilde⁴?
L'avantage de la position de commentateur par rapport à celui d'auteur d'articles, c'est qu'on peut rêver en toute tranquillité…
¹: https://virole.pagesperso-orange.fr/cata.htm
²: https://www.youtube.com/watch?v=fUpT1nal744
³: https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_tout
⁴: http://www.madore.org/~david/weblog/d.2018-08-30.2548.html
Mon précédent commentaire ne concernait que la première phrase de l’article. Je commente ici la citation (d’Édouard Glissant?) « … le monde est fait de diversité. Diversité culturelle, diversité linguistique, diversité symbolique, diversité philosophique, enfin bon une diversité incroyable qui rejoint la diversité naturelle. »
Je pense, j’espère dans le fil de Lupasco, qu’il y a un conflit permanent entre les forces unifiantes et les forces diversifiantes, entre l’homogénéisation et l’hétérogénéisation lupasciennes. Aussi je compléterais la citation précédente par un: « … le monde est également fait d’unité. Unité culturelle, unité linguistique, unité symbolique, unité philosophique, enfin bon une unité incroyable qui rejoint l’unité naturelle. »
L’un des principes de Lupasco, ai-je lu sur ce site (ou dans Wikipédia, quasiment ma seule autre source), est que la vie est du côté de l’hétérogénéisation et la mort du côté de l’homogénéisation. Je pense le contraire et ai argumenté en détail en commentaire de l’article « Les deux principes à la base de la logique du tiers inclus » (sur ce site). Je découvre l’existence d’Édouard Glissant et de Patrick Damoiseau en lisant l’article et http://www.edouardglissant.fr/creolisation.html où je lis que Glissant oppose créolisation et métissage, que je vois tous deux comme des homogénéisations, l’une bénéfique (la créolisation) qui est une amalgamation -dont l’étymologie est intéressante- qui conduit à l’unification, à l’unité primordiale, une montée vers l’absolu commun (et non vers l’absolu-relatif d’une culture prétendument dominante), l’autre maléfique qui est une entropisation qui conduit à la mort (celle que nous proposent des gens comme Georges Soros qui cherchent à diviser pour mieux imposer leur globalisation).
Il y a une diversité linguistique, c’est évident, car il y a dans une large mesure arbitraire du signe. Mais il y a d’autre part des universaux du langage, plus difficiles à percevoir. C’est ce qui, selon moi, justifie le « … on peut choisir sa langue, on peut se déplacer dans une langue, naître avec une langue ou commencer à écrire dans telle langue et continuer dans une autre langue » de l’article.
(Pour rester dans le cadre lupascien, j’ai été très impressionné par l’article « Clusivity » de Wikipédia (qui n’a pas de contrepartie en français) où j’ai découvert un nombre impressionnant de langues qui distinguent le « ou » inclusif et le « ou » exclusif (dont le créole australien).)
Mon précédent commentaire ne concernait que la première phrase de l’article. Je commente ici la citation (d’Édouard Glissant?) « … le monde est fait de diversité. Diversité culturelle, diversité linguistique, diversité symbolique, diversité philosophique, enfin bon une diversité incroyable qui rejoint la diversité naturelle. »
Je pense, j’espère dans le fil de Lupasco, qu’il y a un conflit permanent entre les forces unifiantes et les forces diversifiantes, entre l’homogénéisation et l’hétérogénéisation lupasciennes. Aussi je compléterais la citation précédente par un: « … le monde est également fait d’unité. Unité culturelle, unité linguistique, unité symbolique, unité philosophique, enfin bon une unité incroyable qui rejoint l’unité naturelle. »
L’un des principes de Lupasco, ai-je lu sur ce site (ou dans Wikipédia, quasiment ma seule autre source), est que la vie est du côté de l’hétérogénéisation et la mort du côté de l’homogénéisation. Je pense le contraire et ai argumenté en détail en commentaire de l’article « Les deux principes à la base de la logique du tiers inclus » (sur ce site). Je découvre l’existence d’Édouard Glissant et de Patrick Damoiseau en lisant l’article et http://www.edouardglissant.fr/creolisation.html où je lis que Glissant oppose créolisation et métissage, que je vois tous deux comme des homogénéisations, l’une bénéfique (la créolisation) qui est une amalgamation -dont l’étymologie est intéressante- qui conduit à l’unification, à l’unité primordiale, une montée vers l’absolu commun (et non vers l’absolu-relatif d’une culture prétendument dominante), l’autre maléfique qui est une entropisation qui conduit à la mort (celle que nous proposent des gens comme Georges Soros qui cherchent à diviser pour mieux imposer leur globalisation).
Il y a une diversité linguistique, c’est évident, car il y a dans une large mesure arbitraire du signe. Mais il y a d’autre part des universaux du langage, plus difficiles à percevoir. C’est ce qui, selon moi, justifie le « … on peut choisir sa langue, on peut se déplacer dans une langue, naître avec une langue ou commencer à écrire dans telle langue et continuer dans une autre langue » de l’article.
(Pour rester dans le cadre lupascien, j’ai été très impressionné par l’article « Clusivity » de Wikipédia (qui n’a pas de contrepartie en français) où j’ai découvert un nombre impressionnant de langues qui distinguent le « ou » inclusif et le « ou » exclusif (dont le créole australien).)
Chamoiseau: « On a donc eu cette espèce de déploiement d’une identité exclusive de l’autre avec un sur-discours concernant l’identité qui va d’ailleurs infecter tout notre esprit pendant longtemps. L’occident a, d’une certaine manière, imposé les absolus qui lui étaient liés aux cultures traditionnelles. »
Je me demande s’il vaudrait la peine de tenter de lire le métissage -chez Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau- comme une « union disjointe »¹ -c’est-à-dire, très brutalement, comme un viol- et, a contrario, la créolisation comme une « intersection conjointe »² (dont on constate sur sa définition qu’elle contient très largement l’intersection usuelle), comme une véritable union amoureuse où les deux actants mettent en commun ce qu’ils ont de plus précieux (l’union sans viol étant représentée par l’union classique, et l’union sans amour par l’intersection classique?³). (Je pense d’ailleurs que cette idée se retrouve actuellement en politique: des élites « disjointes des peuples » essayent de les violer -Georges Soros comme exemple typique-.)
¹: Union disjointe AΔB := A∪B ∩ A°∪B°
²: Intersection conjointe A∇B := A∩B ∪ A°∩B°
³: Pures spéculations, bien sûr (mais la logique lupascienne ouvre très certainement de nouveaux horizons par rapport aux « laws of thought » de George Boole).