Claude PLOUVIET
vous
propose ce néologisme:
Métahorèse
Un souffle dans l’écart

Étymologie :
- Méta (μετα) qui signifie au-delà, après, changement
- Horèse (òριζείν, òρoς) vient du grec ancien:
La racine : χωρ – (khor-), est liée à χωρoς (khóros) « espace, lieu, endroit ».
χωρησις (khórésis) ou du verbe χωρεîν (khoreîn), signifiant : « se mouvoir, aller, s’avancer, se retirer, faire place, céder la place » suggère l’idée de passage, d’ouverture.
*
Rappelons la distinction entre Topos (Τόπος) et Chôra (Χώρα).
Le Τόπος est une position définie, délimitée, nommée, mesurée. Aristote le définit comme une limite immobile, un cadre matériel, repérable.
La Χώρα, qui vient de χωρεîν, (khoreîn), est un espace de réception ; une « possibilité » d’espace. Elle est non localisable. Platon la décrit comme un espace invisible, une matrice féconde. Elle symbolise « l’ouverture » à l’être en devenir, l’espace de passage et de transformation, non fixe, non substantiel, nécessaire à ce que « quelque chose soit ».

*
Le latin a transcrit le χ (kh) de deux manières :
- « ch» par fidélité au grec (translittération savante) a donné chorésis
- « h», par simplification phonétique diachronique, a donné horésis
Ainsi dans le radical χωρ- (khor-), le son χ est transcrit en ch (forme savante) ou en h (forme simplifiée)
-
- Horizein : « Borner, délimiter, définir » dont la racine est òρoς (borne, limite) ou
- Hairesis (αίρέω) : « Choisir, séparer ».
Le radical porte donc en lui une ambivalence sémantique, l’une n’excluant pas l’autre :
-
- Horizein : Illustre l’idée de frontière (non absolutisée).
- Hairesis : Illustre l’idée de séparation, de sélection, de distinction (comme dans hérésie)
Chorèse et Horèse désignent ainsi tous deux :
- Un lieu, un endroit, une limite « possibles »
- Un mouvement, un déplacement, un passage.
Quels sont donc les signifiés possibles :
-
- Méta + horizein : Au-delà de la limite. La frontière se transforme en passage, avec un sens néologique de glissement, de dépassement ou transgression d’une frontière conceptuelle ou symbolique
-
- Méta + hairesis : Au-delà du choix figé. La métahorèse n’illustre pas la synthèse au sens hégélien, elle est dépassement des oppositions, union des contraires mais non fusion. La métahorèse est un flux, une énergie, une dynamique. La valeur qui en émane est elle-même non figée, non absolutisée, elle est respiration.

Le radical horèse évoque ainsi la réciprocité, le passage et la dynamique (chorégraphie), le souffle d’une tension dans « l’écart », dans « l’entre », non seulement spatial ou temporel mais aussi ontologique et un changement d’état. La métahorèse habite l’écart, elle ne naît ni ne meurt dans cet écart, elle advient.

Si, chez nombre d’auteurs, d’autres termes sont légitimement utilisés pour qualifier ce mouvement, Trajectivité chez Augustin Berque, Transfinition chez Stéphane Lupasco, Pervasivité chez François Jullien, Apodictique chez Pierre Legendre, Énaction chez Francisco Varela, Individuation chez Gilbert Simondon, la métahorèse, par son étymologie couplée, y adjoint la « présence » non absolutisée des éléments, évènements ou phénomènes en interaction, leur mouvement et leur passage et changement d’état et de valeur (au sens Saussurien du terme), émanant de la tension entre polarités.
A contrario d’une logique binaire d’opposition (ou logique du tiers exclu ) dans laquelle les éléments, évènements ou phénomènes sont figés, déterminés et en opposition, ici , – et en lien avec la logique du tiers inclus – , ni les polarités ( ou antagonismes) en interaction ni la valeur « tiers » qui en émane ne sont absolutisées. ( i.e. figées, déterminées, fixées, localisées, repérables etc …)
Cette troisième valeur dite « tiers inclus » porte la contradiction (tandis que la logique binaire est non contradictoire). Étant lui-même non absolutisé, le tiers inclus porte en lui la dynamique du devenir émanant de polarités non déterminées (non absolutisées).
Il s’agit donc d’une logique à trois valeurs, dont aucune n’est absolutisée et dont celle qui émane des deux autres, le – tiers inclus– porte la contradiction, la dynamique du devenir et cet » ailleurs » d’un état autre de celui des éléments, évènements ou phénomènes dont il émane.
Une logique métahorétique.
Exemples :
- En philosophie : La Métahorèse désigne le mouvement par lequel l’esprit dépasse la dualité pour atteindre un nouvel espace dynamique de sens. Elle est processuelle, tridialectique du dépassement des limites, renonce à la clôture et à la fixation des idées.
- En poétique : Dans son écriture, le poète pratique une Métahorèse du langage où les mots cessent d’être des signes pour devenir des lieux et forces de transformation.
- En psychologie : la Métahorèse est le processus intérieur qui transforme la séparation en lien.

En résumé, la Métahorèse est un processus de dépassement des limites, de transgression créatrice ou de réunion de ce qui est séparé.
D’un point de vue philosophique, la Métahorèse est donc un mouvement par lequel une limite, une distinction ou une opposition est dépassée non par effacement mais par transformation de sens.
La Métahorèse désigne ainsi – et aussi – le passage d’un état à un autre, tant sur le plan symbolique que psychique ou artistique, le franchissement d’un seuil intérieur ou conceptuel où les contraires cessent de s’exclure pour se parfondre dans une dynamique interactive.
La Métahorèse n’annule pas la frontière, elle la transfigure en passage.
- D’un point de vue linguistique, la Métahorèse est le processus créatif par lequel un mot, une image, ou une forme excède sa signification première pour devenir symbole, métaphore, ou révélation.
L’artiste pratique une Métahorèse du réel, il transforme le visible en vision.
Définition générale :
- Dépassement des frontières conceptuelles, sensibles ou spirituelles.
La Métahorèse désigne le mouvement par lequel une limite n’est plus séparation mais passage. Elle opère le franchissement, la transfiguration d’un seuil, intellectuel, psychique ou symbolique. La Métahorèse désigne un changement d’état au-delà d’un seuil.
Toute Métahorèse suppose un écart, et réfute toute opposition binaire.
- Processus de transformation.
La Métahorèse est le passage d’un état de dualité à un état supérieur, où les opposés cessent de s’exclure pour se reconnaître complémentaires. La Métahorèse est passage et non rupture par opposition. Le tiers inclus est sous la dépendance des polarités dont il émane, mais n’est ni dans l’état de l’un, ni dans l’état de l’autre, son état est autre que celui des éléments, évènements ou phénomènes dont il émane. Le terme Métahorèse exhausse ce changement d’état.
Emplois particuliers :
- En esthétique :
Transformation d’une forme d’un signe ou d’une œuvre au-delà de son sens premier, vers une dimension symbolique ou métaphysique.
Dans la peinture de Rothko par exemple la couleur devient prière, acte même de la Métahorèse
- En poétique :
Mutation du langage qui ne décrit plus le réel mais le recrée. La Métahorèse porte le passage de sens.
Le poète n’explique pas, il métahorèse.
- En psychologie symbolique :
Mouvement intérieur par lequel l’individu intègre en dynamique une tension dans « l’entre » des oppositions : lumière / ombre ; raison / intuition…
L’écart est opérativité. La Métahorèse habite l’écart.
Dérivés
- Métahorétique : qui relève d’un processus de Métahorèse : Une pensée métahorétique n’oppose pas, elle traverse.
- Métahoriser : Opérer une métahorèse, transformer par passage. Métahoriser la douleur en parole, la parole en lumière
- Métahorétiquement: Penser métahorétiquement.
Synonymes
Transfiguration, transmutation, dépassement, métamorphose, alchimie intérieure
Antonymes
Séparation, clôture, dualisme, stagnation, ossification
Citations
La Métahorèse est la respiration du monde. Ce qui se ferme finit par s’ouvrir
La Métahorèse est une danse silencieuse.
Claude PLOUVIET
…
Rappel de la logique du tiers inclus contradictoire.
« A tout phénomène ou élément ou événement logique quelconque, et donc au jugement qui le pense, à la proposition qui l’exprime, au signe qui le symbolise : « e » par exemple, doit toujours être associé, structuralement et fonctionnellement, un anti-phénomène ou anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une proposition, un signe contradictoire : « non-e » ; et de telle sorte que « e » ou « non-e » ne peut jamais qu’être potentialisé par l’actualisation de « non-e » ou « e », mais non pas disparaître afin que soit « non-e » soit « e » puisse se suffire à lui-même dans une indépendance et donc une non-contradiction rigoureuse (comme dans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur l’absoluité du principe de non-contradiction). »
La logique du contradictoire ne s’applique pas seulement à des propositions comme les logiques que nous appellerons classiques mais s’applique à des choses quelconques à condition qu’elles soient des dynamismes : des phénomènes, des éléments, des événements, associés à leurs « anti-phénomènes », « anti-éléments », « anti-événements ». C’est leur caractère dynamique qui permet de les dire « logiques » .
Ce postulat remet en question l’absoluité du principe de non-contradiction de propre à la logique dite binaire.
…
Leave A Comment