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Giorgio AGAMBEN Glenn Gould La résistance en art

By | 2025-03-16T21:03:24+01:00 15 mars 2025|Art, Philosophie|0 Comments

Thème du tiers inclus : L’acte poétique, l’incarnation de l’oeuvre

Antagonismes en interaction : Agir ~ Résister, Potentialité ~ Im-potentialité, entre l’oeuvre et l’artiste

 

 

Giorgio AGAMBEN

La résistance en art

 

« Si une puissance de ne pas être appartient originellement à toute puissance,

ne sera vraiment puissant que celui qui,

au moment du passage à l’acte,

n’annulera pas simplement sa propre puissance de ne pas,

ni ne la laissera en suspens par rapport à l’acte,

mais la fera passer intégralement en lui comme telle

et pourra donc ne pas ne pas passer à l’acte.

 

 

Giorgio AGAMBEN

Dans tout acte poétique, quelque chose résiste à la création et contrecarre l’expression. Nous devons considérer l’acte de création, l’acte poétique comme un champ de tensions entre potentiel et impuissance, pouvoir et ne pas pouvoir, agir et résister. Si nous considérons cela, cela veut dire que l’acte poétique ne peut être compris, selon le sens commun comme une simple transition entre potentialité et réalisation. L’artiste n’est pas un homme qui a le potentiel de créer à un moment donné, nous ne savons pas comment et pourquoi il réalise un travail dans la réalité.
Si toute potentialité est constitutive de « l’impotentialité » (non potentialité), comment pouvons-nous comprendre le passage à l’acte ?

 

Si pour le pianiste, la réalisation de sa potentialité est l’exécution d’une sonate, qu’advient-il de la potentialité de ne pas jouer au moment précis où il commence à jouer.

 

Comment une potentialité peut-elle ne pas se réaliser elle-même ?

 

Il y a une sorte d’ambivalence spécifique de chaque potentiel humain qui maintient ce potentiel en relation avec sa propre privation.

Cette relation définit, selon Aristote, l’essence du potentiel.

 

L’homme qui possède cette potentialité peut à la fois l’exercer dans la réalisation de l’acte et dans sa non-réalisation.

La potentialité et c’est la thèse géniale d’Aristote et sa découverte, est définie par sa possibilité d’être ou non réalisée.

 

Glenn GOULD :  au-delà du temps, Bruno Monsaingeon, 2006

 

Glenn GOULD 

Je n’ai jamais vraiment eu envie de faire des concerts. Je pensais qu’il fallait passer par là pour me faire connaître et acquérir une certaine réputation qui pourrait m’être utile plus tard. Je ne pensais pas que c’était productif même à cette époque, il y avait un sentiment de puissance que je n’aimais pas quand j’avais 14 ou 15 ans. Alors, j’ai trouvé ça amusant de jouer devant un public vif et enthousiaste et de donner le meilleur de moi-même après avoir répété pendant de nombreux mois, mais cela s’est vite estompé. C’est une fine couche de vernis quand on le fait tous les deux jours dans des endroits différents et éloignés, l’attrait et le glamour ne durent pas longtemps. En donnant des concerts, tu triches, tu explores peu, tu joues de vieux morceaux éculés que tu as déjà enregistrées. Tu n’hésites pas à rendre service au public si tu triches et essaies de t’en sortir avec un minimum d’effort en jouant quasiment de la même manière. Il y a un manque incroyable d’imagination. En réalité, tu n’utilises même pas ton imagination, tu vieillis à cent à l’heure, c’est une vie horrible.

 

Giorgio AGAMBEN

Ce qui définit la manière d’être d’une puissance, c’est qu’elle existe sous la forme d’une maîtrise de la privation. L’homme qui possède cette puissance doit rester en relation avec elle-même lorsqu’il ne l’exerce pas.

 

Glenn GOULD 

Le dimanche de Pâques 1964, à l’Orchestra Hall de Chicago, j’ai donné mon dernier concert public. J’attendais cet événement depuis une décennie. Pour célébrer, j’ai passé trois jours à m’entraîner et j’ai choisi des œuvres qui ont une signification particulière pour moi. Au programme : L’Art de la fugue de Bach, la Sonate op. 110 de Beethoven et la Troisième sonate d’Ernst Krenek.

 

Giorgio AGAMBEN

La puissance suprême est donc une puissance qui peut à la fois sa puissance et son impuissance. Si toute virtualité est une virtualité, c’est une virtualité d’être aussi bien que de ne pas être ou de ne pas faire. Le passage à l’acte ne peut s’effectuer qu’en transportant dans l’acte sa propre puissance de non-être : la résistance. Cela signifie que chaque pianiste a le potentiel de jouer et le potentiel de ne pas jouer.

Mais Glenn Gould n’est que le pianiste qui ne peut pas ne pas jouer et en convertissant sa puissance en sa propre impuissance, il peut jouer, pour ainsi dire, avec sa puissance de ne pas jouer.

Contrairement à de simples compétences et talents qui ne peuvent être que joués, passés à l’acte. La maîtrise est préservée et exercée dans l’acte de sa virtualité de ne pas jouer.

 

La puissance est le non-acte par excellence…

                                     …

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