//Joseph Brenner. Stéphane Lupasco : vers la fin d’une noble marginalité

Joseph Brenner. Stéphane Lupasco : vers la fin d’une noble marginalité

By | 2019-10-31T20:44:54+01:00 29 octobre 2019|Logique du tiers inclus contradictoire|5 Comments

Stéphane Lupasco : vers la fin d’une noble marginalité

 

par Joseph Brenner

Centre International de Recherche et Études Trans-disciplinaires, Paris

Vice-président, Inter et Trans-disciplinarité, Société Internationale pour les Études de l’Information,

Vienne, Autriche

Directeur-adjoint Centre International pour la Philosophie de l’Information, Xi’An, Chine

 

Illustration:  Antagonismes. Osamu Yamazaki, Peintre japonais de l’Ecole de Paris

—–

 

Nous remercions Monsieur Joseph Brenner de nous avoir adressé ce texte et lui exprimons

notre gratitude pour cette publication sur le site tiersinclus.fr

 

 

  1. Le cas de Stéphane Lupasco

La plupart des penseurs qui n’ont pas acquis une renommée de leur vivant restent marginaux. Leurs travaux n’ont qu’un impact faible voir inexistant sur l’évolution des disciplines d’une part et d’autre part sur la société et la vie sociale. C’est certainement le cas de Stéphane Lupasco, Roumain d’origine, né à Bucarest en 1900 et mort à Paris en 1988.

Cependant, dans ses articles et quelques quinze livres écrits en français, à commencer par sa thèse d’Etat en 1935, Lupasco a construit un système de logique et de philosophie scientifique rigoureusement fondé dans la meilleure science de son temps, la mécanique quantique, puis la biologie et la cosmologie. Lupasco a su mettre les dualités bien connues de charge, polarité magnétique, spin, etc. en relation avec les concepts, déjà discutés par Aristote et revus par les physiciens du début du 20ème siècle, d’actualité et potentialité [1]. Il a en plus vu les oppositions entre forces énergétiques présentes aux niveaux anorganique (macrophysique), biologique et cognitif comme capables de donner lieu logiquement et physiquement, de par cette opposition même, à des entités nouvelles.

Malheureusement, bien que reçu avec enthousiasme par des artistes et des écrivains, Lupasco n’a pas convaincu la communauté académique de la valeur de son œuvre pour la logique et pour la science. En 1991, l’œuvre de Lupasco a même été écartée comme étant « du romantisme allemand du 19ème siècle ». Aujourd’hui, l’incapacité de la logique et de la philosophie standard de soutenir une évolution saine d’une société basée sur l’information souligne la nécessité d’un nouveau cadre, rigoureux mais non-réductionniste. Je maintiens que la logique philosophique de Lupasco fournit ce cadre. Il est temps d’en finir avec sa marginalité, dans la phrase de Gilbert Durand [2], cette « noble marginalité qui a donné à sa théorisation tant de force, de liberté et d’audace », mais qui nous a privés pendant trop longtemps de pouvoir en bénéficier.

Edgar Morin a écrit [3] que Stéphane Lupasco est revenu au caractère fondateur et fondamental des antagonismes et sa théorie était un outil trans-disciplinaire qui permettait l’exploration parallèle de la philosophie, des sciences humaines, de l’art, et des sciences naturelles. Le logicien Petru Ioan [4] dit que la pensée de Lupasco rend actuelle la tradition d’une philosophie solidaire de la science qui couvre tous les champs de la connaissance, de la physique macroscopique et la microphysique et la cosmologie jusqu’à la cybernétique, la sociologie, l’éthique, etc.» Le lecteur comprendra que seulement une toute petite partie de cette œuvre pourrait être résumée ici [5].

 

  1. La logique de Lupasco en quelques mots

L’œuvre de Lupasco est intimement liée aux travaux de Basarab Nicolescu, professeur de physique théorique à l’université de Paris VI,  ami et collègue de Lupasco, avec Edgar Morin et d’autres, dans la fondation du CIRET, Centre International de Recherche et d’Etudes Trans-disciplinaires à Paris. La « logique du tiers inclus » de Lupasco doit être considérée comme une logique du changement, dont l’origine est l’opposition dans le cœur de l’énergie et donc de toute entité et processus réel. Comme Nicolescu l’a dit: la logique de Lupasco est une vraie logique, formelle et formalisable. C’est la logique de et dedans la réalité construite a partir des axiomes, d’une sémantique, d’un calcul et d’une ontologie catégorielle, comme je l’ai montré aussi dans mon livre, Logic in Reality.[6] Nicolescu a étendu et rendu plus rigoureuse la logique de Lupasco par l’ajout de concepts de complexité et de niveaux de réalité. Ces trois sujets constituent les trois piliers de la trans-disciplinarité dans l’acceptation de Nicolescu et des ses associés.

Il faut penser la logique lupascienne comme une logique de tendances, où les relations sont aussi importantes que les choses qu’elles relient, comme dans la mécanique quantique relationnelle. Ses éléments sont des probabilités non-standards et où la superposition d’états a en partie les propriétés d’un tiers inclus émergeant – l’état-T de contradiction maximale.

Pour Lupasco, tout était des processus dynamiques, mêmes les objets et les structures stables ne le sont que temporairement. Les structures sont plutôt des « structurations », le même terme qu’en anglais, vingt ans plus tard, le sociologue anglais Anthony Giddens a appliqué aux processus de formation et d’évolution de la société.

2.1. Et les autres logiques . . .

La logique de Lupasco ressemble aux logiques inductives et abductives en ce que la préservation de la vérité n’est pas garantie. Elle ne remplace pas les logiques classiques bivalentes ou multivalentes mais se réduit à elles pour les systèmes simples. La logique « para-compatible » accepte les contradictions, mais seulement linguistiques. Surtout, à la différence de toute autre logique standard, la logique de Lupasco n’est pas neutre mais véhicule des valeurs morales et artistiques. Elle serait la logique que le grand penseur indien Daya Krishna, aussi un « outsider », cherchait [7] : « une logique de l’imagination, commune à tout homme de foi de toutes les religions, qui vit dans un monde de passion et de sens . . .»

 

2.2. À la confluence de deux cultures

Les actes du colloque international sur « Lupasco  aujourd’hui » [8], qui eut lieu à Paris le 24 mars 2010 portent le titre « À la confluence de deux cultures ». Ce titre évoque deux résonances : d’abord celle des deux cultures, roumaine et française en présence à Paris, mais aussi les Two Cultures de C. P. Snow, vision veille déjà de plus d’un demi-siècle de la séparation entre les sciences naturelles et sciences humaines. On dit toujours qu’il faut chercher un pont pour surmonter cette séparation. Pour moi, la fondation d’un tel pont existe déjà dans le principe de Lupasco d’opposition dynamique qui assure la non-séparabilité des domaines aussi bien cognitifs (théories) que physiques dans l’acceptation standard du terme.

Du point de vue méthodologique, la pensée de Lupasco, directement et à travers la trans-disciplinarité, peut être mise en relation avec plusieurs domaines de penser, récents et moins récents, majoritairement épistémologiques. J’en résumerai trois ici : l’art et l’imagination, la plasticité et l’écosophie. Mais la logique de Lupasco s’applique et est même nécessaire pour une nouvelle compréhension des sciences ontologiques mainstream, entre autres la sociologie et les théories des systèmes, de l’information et des messages (communication). Ce sont des domaines que la logique standard, même dans ses versions modernes – para-consistantes, modales, déontiques, etc. – est incapable de décrire ou d’en expliquer l’évolution et les patterns d’inférences probables.  

 

  1. L’art, l’imaginaire et la contradiction

            Dans son application des principes de sa logique à l’esthétique, Lupasco dit [9] qu’elle doit être axée et évoluer inversement de la logique des processus rationnel ou irrationnel, autrement dit, inversement d’un processus tendant vers l’identité ou la diversité absolue de la non-contradiction. La logique de l’esthétique doit procéder du non-contradictoire au contradictoire ; elle « vise » la contradiction. L’artiste génère un devenir à partir de l’opposition intérieure de ses consciences de la diversité et de l’identité, avec l’émergence du tiers inclus que nommons « œuvre d’art ».

Les œuvres d’art sont généralement considérées comme des fictions, donc fausses, parce que contradictoires. Mais les artistes ne cherchent pas un quelconque vrai ou réel, mais le « vrai faux », défini comme la contradiction d’affirmation et de négation et de toute identité et diversité pure. Pour Lupasco, l’art n’est ni réel ni irréel. La réalité est l’aspect de l’ordre logique antagoniste des choses potentialisées et objectivées, et l’irréalité elle-même est actualisée et subjectivée. C’est pourquoi, dans l’expérience esthétique, le sujet et l’objet ont tendance à se superposer, voir à disparaître en tant que tels. L’œuvre d’art est le plus esthétique lorsqu’elle est le plus semi-subjective et semi-objective en même temps, le moins réelle et irréelle ou mieux le plus semi-réelle et semi-irréelle. Avec ce schéma, il est facile de voir l’œuvre d’art comme un phénomène émergent des contradictions, des forces et des pulsations voire des obsessions contradictoires à l’intérieur de l’artiste.

Ces principes ont été développés et appliqués dans le cadre du Centre de Recherche sur l’Imaginaire fondé par Gilbert Durand (voir aussi son article, réf. 2) et de la revue Les Cahiers de l’imaginaire fondée en 1998 par lui et Michel Maffesoli (voir Section 6. sur l’écosophie).

 

 

  1. La plasticité

Marc-Williams Debono (créateur de la revue Plastir )a fait une autre synthèse très importante des principes qui lient la science et l’art, surtout la poésie qu’il appelle la plasticité  et dont les acteurs sont des plasticiens [10]. La plasticité dans l’acceptation de Debono est une caractéristique physique profonde des systèmes réels à tous les niveaux – anorganiques, biologiques, cognitifs et sociaux de la constitution physique de notre monde. C’est un processus actif qui lie les formes et le contenu et relation de leur appréhension par le sujet humain.

 Pour Debono, les thèses et la logique antagoniste de Lupasco sont capitales pour une compréhension et une lecture du monde réellement différentes. Les plasticiens sont les artisans d’un futur langage neuf, opérant sur une « matière plastique » constituée par « un espace-temps intérieur, totalement libre et souple, hautement conscient ». La plasticité est inscrite dans l’actualité et en même temps elle en est l’expression vitale car elle réunit sa racine, la connaissance de et la propension à dans une dynamique d’échange lupascienne. (J’ai fait moi-même une analyse de la plasticité en anglais [11].)

Tournons nous maintenant vers le troisième des trois perspectives épistémologiques, l’écosophie.

 

  1. L’écosophie, ou, qui a peur de Stéphane Lupasco ?

L’écosophie est une doctrine [12], proposée en 1960 par le chercheur norvégien Arne Naess, qui, comme la trans-disciplinarité, cherche à renverser toute perspective anthropocentriste dans le mauvais sens du terme, et à donner à l’homme une place juste dans la nature, participant à une éthique environnementale ou « écologie profonde (deep ecology) ».

L’écosophie a été appliquée par Félix Guattari à ses « trois écologies », environnementale, sociale et mentale [13], comme un métamodèle esthétique et politique. Guattari a voulu comme outil de travail pour « agir effectivement au cœur du capitalisme mondial intégré », une logique en dehors des logiques de causalité, d’identité de tiers exclus et de continuité – une logique du tiers inclus. Malheureusement sa logique du tiers inclus n’a ni profondeur ni fondation – un simple et/ et au lieu de et/ou-. Les références à la théorie de Lupasco sont absentes, bien qu’ils fussent largement contemporains. Il n’y à ma connaissance aucune logique autre que celle de Lupasco qui ait décrit la relation énergétique, dynamique entre les membres des paires de phénomènes opposés, y compris l’identité, le tiers exclus et la continuité que le monde instantie aussi.

Dans son Petit traité d’écosophie [14], Michel Maffesoli prend des positions compatibles, dans leur réalisme esthétique, avec la logique de Lupasco : recherche de méthode pour accepter le clair-obscur de l’existence ; valorisation de la présentation réelle plutôt que des représentations postulées ; relation dynamique (entre-appartenance) entre l’être naturel et l’être social, etc.

Maffesoli écrit que c’est le concret avec quoi et en fonction de quoi l’on peut croître. « En son sens étymologique : cum crescere, c’est croître avec. » Je vois ici une référence à la concrescence d’A. N. Whitehead : « le processus, ou concrescence, d’une entité actuelle implique les autres entités actuelle parmi ses composants. De cette façon, la solidarité manifeste du monde reçoit son explication ». [15] Et Maffesoli de conclure : « La logique conjonctive est à l’ordre du jour. C’est le cœur battant de cette écosophie dont il a été question. »

Qu’est-ce que Lupasco aurait dit de notre cyber-société postmoderne décrite par Maffesoli [ 16] dont « la cyberculture est, tout à la fois expression de la puissance de l’image et de la jouissance inutile »? Je pense comme une étape, dont les contours post-post-modernes se dessinent déjà, comme il se doit : un peu plus de rigueur, un peu plus de profondeur et du savoir qui « vient d’en haut » en alternance dynamique et nécessaire.

 

  1. De la logique des sciences sociales

La logique de Lupasco soutient donc l’écosophie ainsi qu’une « sociologie de imagination », domaine défini par Maffesoli. Mais cette logique s’applique également à la sociologie tout court.

On reconnaîtra le titre de cette Section comme celui du livre important de Jürgen Habermas [17], publié en allemand en 1970. Habermas démontre l’incapacité des sociologues de proposer des analyses solides des phénomènes sociales, limités par leurs approches strictement linguistiques. Finalement son projet est un constat d’échec : nous pouvons travailler avec un fondement phénoménologique de la sociologie, mais il y manque complètement une logique adéquate. Je pense pour ma part que la logique de Lupasco en est une, parce qu’elle est la logique du changement par excellence.

Selon le sociologue Marc Beigbeder [18], la logique de Lupasco résout la nécessité d’une psychologie et une sociologie séparées, l’une pour individu et l’autre pour le groupe. De par la relation dynamique entre les deux, on doit considérer le groupe aussi comme ayant en partie le caractère d’un individu, et vice versa. Tous deux sont en partie sujet et objet, le siège d’une conscience de conscience, apparentée à un état-T. Le concept d’une individualité pure est une fiction. La société déploie donc une complémentarité dialectique entre elle et les groupes et les individus qui la composent.

Lupasco a pris, comme point de départ pour son analyse de la pensée sociologique contemporaine l’existence de deux types de pathologies mentales de l’être humain, lesquelles sont caractérisées par des relations contradictoires avec le monde extérieur – la société. C’était une démonstration pour lui de combien la réalité sociale – ce qui est « sociologique » – est intégrée dans une structure phénoménologique plus vaste. Aujourd’hui, nous pouvons mettre cette théorie en rapport direct avec les études du biologiste E. O Wilson [19] sur la fondation génétique de deux types de comportement, principalement altruiste ou égoïste. Le mouvement entre les deux tendances, soit à l’intérieur d’un individu ou entre individus et groupes suit la logique d’alternance de Lupasco.

6.1 Où est passé le bien commun ?

     Dans son dernier livre L’homme et ses trois éthiques[20] Lupasco établissait la relation entre les termes de sa logique et les courants principaux dans la société. Pour Lupasco, « la pensée dite de gauche est une pensée homogénéisant extrêmement puissante », détruisant l’hétérogénéité nécessaire de l’individu. Par contre, le néo-libéralisme ou capitalisme sauvage, tel qu’il existe dans les démocraties, comporte une sorte d’anarchie d’individualisme excessif « qui fonctionne grâce à l’abolition progressive d’un dynamisme antagoniste d’homogénéité ». Ce texte pourrait être un point de départ pour un débat nouveau sur les moyens d’agir moralement dans notre société. Il pourrait constituer une base théorique pour développer la description très pertinente de François Flahault  [21] de l’antagonisme entre les droits de l’individu, majoritairement « actualisés » au détriment du bien commun, lequel, dû bien sûr en parti au dérive communiste, a été « potentialisé » dernièrement.

 

  1. 7. CONCLUSION

            Dans cet article, j’ai résumé la logique philosophique de Stéphane Lupasco et tenté de montrer sa pertinence pour un nouveau départ dans plusieurs domaines d’actualité. En effet, si l’opposition dynamique et celle du tiers inclus logique représentent des principes structurels dans la science et la philosophie ignorés ou laissés sans fondement jusqu’aujourd’hui, il est temps de rectifier cet état de fait. Par exemple, l’information et sa philosophie [22] est un domaine dont il parait impossible de comprendre la nature complexe sans se référer à une dynamique entre éléments avec et sans signification réglée par les principes de Lupasco, augmentés par la conception des niveaux de réalité de Nicolescu.

Il est encore beaucoup trop tôt de dire si l’œuvre de Lupasco aura un impact sur la pensée du 21ème siècle ou va rester une curiosité intellectuelle. Dans mon opinion, les demandes d’un approfondissement de la compréhension et de la science et de la philosophe rendraient caduques toutes les logiques propositionnelles comme étant inadéquates à une Weltanschauung satisfaisante. Malheureusement, l’inertie de la logique et de la philosophie standards est énorme ; malgré le dysfonctionnement de la société néo-capitaliste, on n’a pas encore reconnu le besoin d’une logique alternative. Certes, il y a les publications citées en haut, et les travaux actuels des associés de Nicolescu en France, en Roumanie et au Brésil, dans le domaine de la trans-disciplinarité. Mais c’est peu. Comme Lupasco aurait dit, la tendance vers l’acceptation et la mise en œuvre de sa logique reste, pour le moment, majoritairement potentielle . . .

 

Reconnaissances

            Je remercie beaucoup le professeur Michel Maffesoli de cette opportunité de présenter aux lecteurs de ce Journal un petit aperçu des travaux extrêmement pertinents aux problèmes de société d’aujourd’hui de Stéphane Lupasco. Je tiens aussi à remercier le professeur Basarab Nicolescu de son encouragement et soutien de ma tentative de mettre en relation les principes logiques de Lupasco avec les sujets brulants de l’actualité scientifique et éthique.

 

Abstract

The emergence of non-classical science (quantum physics) has had a limited impact on the classical logical foundations of thought and philosophy in general and the social sciences and humanities in particular. However, based on this physics, the Franco-Romanian thinker Stéphane Lupasco (Bucharest, 1900 – Paris, 1988) developed an extension of logic to real complex processes and events and their inherently interactive, antagonistic relations. This work attracted the attention of artists and writers, but was completely ignored by the academic community. Today, the inability of standard logic and philosophy to support the sound evolution of an information-based society emphasizes the need for a new rigorous, non-reductionist framework. I claim that Lupasco’s logical system, augmented by concepts of levels of reality and complexity, provides that framework. It is high time for his marginality to end.

 

Keywords: information, logic, philosophy, process, reality, science, society

 

 

Résumé

L’émergence de la science non-classique (physique quantique) a eu un impact limité sur les fondations logiques classiques de la pensée et de la philosophie en général et des sciences sociales et humaines en particulier. Cependant, basé sur cette physique, le penseur franco-roumain Stéphane Lupasco (Bucarest, 1900 – Paris, 1988) a étendu la logique aux processus et événements réels et leurs relations fondamentalement antagonistes. Son œuvre a attiré l’attention d’artistes et d’écrivains, mais a été complètement ignorée par la communauté académique. Aujourd’hui, l’incapacité de la logique et de la philosophie standard de soutenir une évolution saine d’une société basée sur l’information souligne la nécessité d’un nouveau cadre, rigoureux mais non-réductionniste. Je maintiens que la logique de Lupasco, augmentée par les concepts de niveaux de réalité et de complexité, fournit ce cadre. Il est temps d’en finir avec sa marginalité.

 

Mots-clés : information, logique, philosophie, processus, réalité, science, société

[1] S. Lupasco, Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie, Éditions du Rocher, Paris, 1987. (Éditions Hermann, Paris, 1951)

[2] G. Durand. L’Anthropologie et les structures du complexe. Dans Stéphane Lupasco ; L’homme et l’œuvre, H.

Badescu et B. Nicolescu (Eds), Éditions du Rocher, 1999

[3] E. Morin. Lupasco et les pensées qui affrontent les contradictions. Dans A la confluence de deux cultures. Lupasco

   aujourd’hui, B. Nicolescu (Ed.), Éditions Oxus, Escalquens, 2010.

[4] P. Ioan. Stéphane Lupasco et ses trois logiques, Editura « Stefan Lupascu», Iasi, 2000 (en roumain)

[5] Voir mon article biographique en anglais, J. E. Brenner, 2010. The Philosophical Logic of Stéphane Lupasco, Logic

and Logical Philosophy 19 (3), pp. 243-285

[6] J. E. Brenner. Logic in Reality. Springer, Dordrecht, 2008

[7] Contrary Thinking; Selected Essays of Daya Krishna, N. Bhushan, J. L. Garfield, D. Raveh, (Eds.) Oxford

University Press, Oxford, 2011

[8] A la confluence de deux cultures. Lupasco aujourd’hui,. B. Nicolescu (Ed.), Éditions Oxus, Escalquens, 2010

[9] S. Lupasco, Logique et Contradiction, Presses Universitaires de France, Paris, 1947

[10] Debono, M.-W. L’ère des plasticiens. Aubin Éditeur, Saint-Etienne, 1996

[11] J. E. Brenner, The Logic of Plasticity: A Lupascian Analysis. PLASTIR, 14(3), 2009

[12] A. Naess, Ecology, Community and Lifestyle (trans. D Rothenburg), Cambridge University Press, Cambridge,

1989

[13] F. Guattari, Les trois écologies, Éditions Galilée, Paris, 1989

[14] M. Maffesoli, Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010

[15] A. N. Whitehead, Process and Reality, The Free Press, New York, 1978

[16] M. Maffesoli, L’initiation au présent, Technomagie, N°. 3, 2011

[17] J. Habermas, On the Logic of the Social Sciences, Polity Press, Cambridge, UK, 1988

[18] M. Beigbeder, Contradiction et Nouvel Entendement, Bordas, Paris, 1971

[19] D. S. Wilson & E. O. Wilson, E. O. Rethinking the Theoretical Foundation of Sociobiology. In The Quarterly

   Review of Biology, 82 (4), 327-348, 2007

[20] S. Lupasco. L’homme et ses trois éthiques, Le Rocher, Paris, 1986

[21] F. Flahault. Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits (Fayard), Paris, 2011

[22] J. E Brenner. Information in Reality: Logic and Metaphysics. triple-C, 9(2), 332-341, 2011

 

5 Comments

  1. MWD 6 février 2020 at 10 h 37 min

    Bravo à Joseph Brenner pour cette belle synthèse lupascienne !

  2. Joseph Brenner 6 février 2020 at 12 h 17 min

    Mecri pour cette ré-production de mon article. Je trouve quand même-un peu drôle qu’une photo de Morin s’y trouve mais pas une de Lupasco, étant donné que Morin n’a jamais accepté l’originalité et la valeur de sa logique.

  3. jc 17 mars 2020 at 23 h 06 min

    J’ai parcouru deux fois l’article avant de poster ce commentaire; car je n’y ai pas vu d’allusion à un point sur lequel Lupasco n’a pas transigé de toute sa vie, à savoir l’affectivité auquel sa fiche Wikipédia consacre son dernier paragraphe. Je ne connais l’oeuvre de Lupasco que depuis peu, précisément depuis que j’ai eu connaissance de ce blog (par l’article d’Alain Connes) et par ce que j’en ai lu sur Wikipédia et sur tiersinclus.fr. mais j’ai déjà acquis la conviction qu’il y un rapport profond entre les deux visions, par Lupasco et par Thom, d’une même logique plus naturelle que celle codifiée dans l’organon aristotélicien.

    Le seul paragraphe de Wikipédia ne me permet pas d’aller plus loin que des quelques citations thomiennes qui suivent, dans l’espoir que les connaisseurs de l’oeuvre de Lupasco arrivent à établir des relations entre leurs deux façons de concevoir le rôle de l’affectivité (je suis assez confiant, vue l’adéquation de leurs deux points de vue en ce qui concerne la logique).

    Parmi ces citations, je considère que celle-ci est la plus importante:
    « L’affectivité « déforme » la structure de régulation de l’organisme, en la compliquant. » (Esquisse d’une sémiophysique, p.73).
    Thom la fait pour proposer une explication de l’idée aboutissant à la fabrication -ou la simple découverte- de l’outil (ici le cas du chimpanzé découvrant qu’un bâton permet de prolonger son bras). En voici quelques autres:

    – « Chez les animaux supérieurs nous savons parfaitement qu’il y a apprentissage par l’affectivité: les choix malheureux conduisent à la douleur, les choix heureux au bien-être. À la sélection [darwinienne] par la mort a succédé la sélection par l’affectivité. L’affectivité peut donc être vue comme une rétro-action du flux final ramifié sur la dynamique de commande des pré-programmes. Et je n’ai jamais compris pourquoi ces effets de rétroaction ne pourraient être transmis héréditairement (…) ce que nie la biologie moléculaire classique. » (Thom est lamarckien…) (Apologie du logos p.159). (Thom propose dans les deux pages suivantes une explication du fait que la douleur est presque toujours locale, alors que le plaisir -sous forme de bien-être- est essentiellement global.)

    – « S’il est aisé de s’imaginer qu’une machine – un ordinateur, par exemple – puisse calculer et même raisonner, par contre, il est beaucoup plus difficile de concevoir une machine capable de souffrir et de jouir. C’est dire qu’en un certain sens, le problème de comprendre « objectivement » l’affectivité semble infiniment plus difficile que de se représenter l’intelligence. Il est d’ailleurs typique – à cet égard – qu’on parle beaucoup d’intelligence artificielle, alors qu’on ne se préoccupe guère, chez les spécialistes, d’« affectivité artificielle ». » (1985, Régulation – Affectivité …)

  4. Joseph Brenner 18 mars 2020 at 14 h 57 min

    Les remarques de jc sur l’importance de l’affectivité sont justes, mais comme j’ai expliqué dans mes écrits en anglais, je ne suis pas d’accord avec la coupe épistémique que Lupasco a effectuée entre l’affecte et le monde /logique/ ordinaire. Dans mon livre, également en anglais,j’ai analysée la relation entre Lupasco et la sémiophysique de Thom et Petitot. Serait-i possible de continuer cette discussion par E-mail? Les objets de la théorie des catastrophes sont à la limite entre le réel et le formel et demande et leur conceptualisation pousse mon français à ses limites.

  5. jc 29 mars 2020 at 10 h 51 min

    En reparcourant l’article je retombe sur le paragraphe suivant:

    « Selon le sociologue Marc Beigbeder [18], la logique de Lupasco résout la nécessité d’une psychologie et une sociologie séparées, l’une pour individu et l’autre pour le groupe. De par la relation dynamique entre les deux, on doit considérer le groupe aussi comme ayant en partie le caractère d’un individu, et vice versa. Tous deux sont en partie sujet et objet, le siège d’une conscience de conscience, apparentée à un état-T. Le concept d’une individualité pure est une fiction. La société déploie donc une complémentarité dialectique entre elle et les groupes et les individus qui la composent. »

    Je considère que la résolution de ce problème est d’une importance capitale en démocratie, plus précisément qu’il ne peut y avoir de démocratie sans identification, au moins partielle, entre le groupe dans son ensemle et l’individu lambda, « générique », qui le compose. Pour moi le tristement célèbre « There is no such thing as society. There are individual men and women and there are families. » de Margaret Thatcher signifie qu’un démocratie qui accepte cette assertion ne peut-être qu’une pseudo-démocratie.

    Le principe fondamental de la démocratie (PFD), gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est, on le sait, rappelé dès l’article 2 du titre I de l’actuelle constitution française. La difficulté d’une véritable démocratie tient au fait que le peuple (p minuscule) se soumet volontairement (servitude volontaire) à un pouvoir temporel qu’elle domine d’autre part en tant que Peuple (P majuscule). Problème qui semble insoluble en logique « classique », typiquement à traiter dans le cadre lupascien: Peuple éveillé, « en acte », peuple endormi, « en puissance ».

    Je traite de ce problème sur le site Dedefensa.org en commentaire de l’article https://www.dedefensa.org/article/paroles-de-villiers

Leave A Comment

%d blogueurs aiment cette page :