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Marc Williams Debono. Plasticité mésologique: Un rapport constant d’architectures

PLASTICITÉ MÉSOLOGIQUE

UN RAPPORT CONSTANT D’ARCHITECTURES

par

MARC-WILLIAMS DEBONO

Chercheur en neurosciences,  poète et essayiste

l’auteur développe un nouveau concept de plasticité sur le plan épistémologique.

Fondateur

du Groupe des Plasticiens (GDP, Paris, 1994)

de l’Association Plasticités Sciences Arts (PSA) en 2000

 de la Revue  de Plasticité humaine PLASTIR en 2005

 

 

Nous remercions Monsieur Marc-Williams DEBONO 

de nous faire l’ honneur de  publier ce texte

sur note site tiersinclus.fr

 

Nous lui exprimons notre profonde gratitude.

 

  Illustrations réalisées par le site tiersinclus.fr

 

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Thème du tiers inclus:  Plasticité

Antagonismes en interaction:  Forme ~ Signification, Matière ~ Esprit, Corps ~ Esprit,

 

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PLASTICITÉ, FORME & SIGNIFICATION …

 

Comment la matière, une fois instruite de son lieu d’habitation – qu’il soit purement géographique, anthropisé ou géopoétique -, parvient-elle à franchir le seuil de l’irrévocable ? Comment forge-t-elle son identité propre ? Et est-elle de même nature au travers d’une argile, d’un photon ou d’un bras articulé ? Assurément non, cependant le passage de l’informé au formé constitue déjà un pas considérable, si on en juge par la multitude d’essais-erreurs, de cheminements à rebours et de bifurcations, d’empreintes chaotiques, de formes en devenir, de hasard et de nécessité accumulés pour en venir à l’ordonnancement d’une matière à sens.1

Or, une seule propriété rend compte de la forme et l’émergence de la formeet fait le lien entre les plasmes (entités formées) et les plastes (entités formantes) : il s’agit de la plasticité. De fait, qu’il s’agisse du sculpté péremptoire, d’une architecture vaine, naturelle ou planifiée ou de la plasticité du vivant illustrée par la biodiversité ou la plasticité phénotypique, à chaque fois, l’ancrage est irréversible et conduit à une expérience unique du monde, qu’elle soit sensible, consciente ou intelligente.3

Loin de ne concerner que le plan biophysique ou les arts plastiques, la plasticité interroge en effet la forme en première intention, tout en étant capable de la modifier irréversiblement4. Elle ne s’identifie stricto-sensu ni à la métaphore de la sculpture, ni à l’évolution du vivant, mais les intègrent et les dépassent, en ce que la réciprocité des liens établis agrège des interfaces plastiques uniques qui évoluent invariablement vers une co-signification et une dynamique de transformation active propre.

Ce liage actif et la formation de complexes de plasticité incluant le tiers constituent les axiomes de base du concept épistémologique de plasticité 5, qui par définition se positionne en grand angle, et relève, à l’instar des positions aristotéliciennes et post-hégéliennes – épistémè et épigenèse à l’échelle de l’être dans sa totalité -, à la fois l’ubiquité et la capacité fondatrice de la plasticité.

 

1  Nous signifions là une sémiotique naturelle ou attribuée par l’homme ou tout autre organisme intelligent, autrement dit une interaction dynamique et non une finalité inscrite.

2 Titre donné à la forme initiale de cet article (largement remanié) paru dans Le Philotope n°12: «MaT(i)erre(s)»,2016.

3  Allusion au nouveau champ développé par l’auteur à propos de l’intelligence végétale : M-W Debono, Dir., L’intelligence des plantes en question, Hermann, Hors Coll., 2020.

Contrairement à l’élasticité ou la malléabilité qui sont des propriétés uniquement passives (Fourcroy, 1785).

On ne peut développer ce concept ici, qui dans le contexte actuel, est d’une part souvent relégué à la description d’un champ disciplinaire (physique des matériaux, arts plastiques, neurosciences, plasticité humaine..) et d’autre part clairement sous-estimé, notamment dans sa dimension épistémologique identifiée dès Aristote et maintes fois réévaluée. Le concept moderne de plasticité épistémique est largement développé par l’auteur dans plusieurs ouvrages ou essais. Il inclut des interfaces plastiques irréversibles, un liage actif, des complexes plastiques essentiels et une translation d’ordre ternaire ou trajective. Consultez : « Le concept de Plasticité, un nouveau paradigme épistémologique », in DOGMA 2007 (DOI 2005) pour les bases et les développements récents du concept sur le site de l’association PSA : http://www.plasticites-sciences-arts.org/epistemologie-plasticite-concept/ .

*

 

Nouvellement supporté par les découvertes en épi-génétique6, ce plan ubiquitaire et fondateurmet en lumière une capacité endogène à modeler ou à plastir la matière. Elle a été régulièrement interrogée dans les conceptions liées à la philosophie de la nature, puis néoplatoniciennes, avec More et surtout Cudworth qui introduit le concept de nature plastique à propos des liens entre la matière et l’esprit au 17ème siècle, en opposition à la dualité cartésienne et à son champ d’action purement mécaniste9.  Propos nuancés par l’auteur des monadologies, qui les étendra aux natures plastiques en se faisant l’avocat de la plasticité organique du vivant, et à restituer, pour ce qui concerne leur portée proprement humaniste et universelle, par rapport à l’accès à la totalité de Goethe ou à la plasticité hégélienne ( 19ème et 20ème siècle). 10

Si ces débats, encore vivaces aujourd’hui, demeurent essentiellement axés sur la plasticité et l’évolution du vivant, ils concernent tout aussi bien la matière cosmique – formation de l’univers, éclosion des planètes et des terres meubles –, la plasticité des matériaux et la plasticité humaine (corps et esprit). Tout est alors prétexte à sculpter, à évoluer ou à convoluer, à s’étendre ou se distendre, à former concrétions ou accrétions, à se végétaliser, s’ossifier, se densifier et libérer la part imaginative des intelligences muettes11, jusqu’à confronter l’homme à sa propre «plasticité de pensée »12

 

6.  L’impact de l’épigénétique, aujourd’hui nouvellement éclairé par la recherche en biologie moléculaire et en génétique humaine, en est l’exemple le plus frappant. Le tout génétique que d’aucuns tenaient comme un élément immuable y est fortement ébranlé.

7.  Plutôt que purement systémique ou émergent comme on l’a précédemment montré (réf. 3).

8.  Verbe de l’ancien français issu du grec plassein, signifiant façonner ou modeler la matière. C’est le nom donné à la revue trans-disciplinaire de plasticité humaine PLASTIR : http://www.plasticites-sciences-arts.org/revue-plastir/ dirigée par l’auteur et publiée par le groupe Plasticités Sciences Arts (PSA).

9.  Henry More, « The Immortality of the Soul » (1677), publié par A. Jacob, M. Nijhoff Publishers, 1987. Ralph Cudworth, « The True Intellectual System of the Universe » (1678) on Google Books.

10.  François Duchesneau, « Leibniz, le vivant et l’organisme », Vrin (2010) citant Leibniz, dans Considérations sur les principes de vie et sur les natures plastiques (t. II, Partie I, Paris, éd. Dutens).

11.  Nous faisons allusion à la biodiversité et l’adaptation darwinienne, mais aussi plus largement aux capacités perceptives ou cognitives du vivant comme la sensibilité des plantes ou l’intelligence non verbalisée des animaux.

12. Marc-Williams Debono, « Écriture et Plasticité de Pensée », préfacé par Michel Cazenave, Anima Viva Multilingue Publishing House, Andorre, 2015.

 

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FORMES ET SIGNIFICATIONS

 

Nous voilà donc au point d’accroche. Le monde des formes et des significations, jusque là étrangers l’un à l’autre, se plaisent à communiquer et à créer de nouvelles matières. Des matières vaines ou à penser, esthétiques au premier degré, que la nature façonne et que l’artiste transforme. S’agit-il d’une alliance aveugle ou d’un lien plus symbiotique que d’aucuns décrivent comme le lien écouménal entre l’homme et son milieu ?13 

Que cela concerne la plasticité des corps, de la matière ou de l’esprit, c’est bien la rencontre de ces deux mondes : le monde des formes et le monde des significations, qui co-signifie la réalité que nous habitons. Il s’agit donc avant tout de décrire un processus épistémique en action et non une propriété émergente ou purement systémique, d’aller au delà du percept en ancrant la plasticité des systèmes vivants, et en particulier des plantes – organismes médiaux par excellence -, à l’expérience mésologique qui la porte14.

La composante plastique de cette nouvelle formulation alliant deux concepts (la plasticité mésologique) a été précisément située par le géographe orientaliste Augustin Berque dans l’en-tant-que ou la barre oblique de la formulation mésologique majeure r= S/P15 où r est la réalité, S, le sujet et P le prédicat, et où la trajection trouve toute sa signification. Trajectivité synonyme de traversée « au delà de » (incluant la tentative vaine d’atteindre S qui serait trajecté hors de son en-soi), de lien intime entre le milieu et le sujet (S/P) au travers d’un existant (E) définissant le lien ternaire SEP issu du tétralemme des logiciens indiens « à la fois A et non A »16 , et signifiant une réalité ni objective, si subjective mais trajective ou à l’échelle du vivant « ce mouvement par lequel »  il y a « subjectivation de l’environnement et environnementalisation du sujet » selon Imanishi, cité par l’auteur.17

 

13.  Nous faisons allusion aux travaux du géographe Augustin Berque qui décrit l’écoumène comme cette relation étroite de l’homme et de son milieu et plus généralement comme ce qui désigne l’ensemble des terres anthropisées. Consulter https://fr.wikipedia.org/wiki/ÉcoumèneWikipedia & A. Berque, « Ecoumène- Introduction à l ́étude des milieux humains », Belin, 2000.

14.   Marc-Williams Debono, « Perception et plasticité active du monde » (issuu), in séminaire Mésologie de la perception, EHESS, 2016.). Concept de plasticité mésologique développé par l’auteur lors du Colloque de Cerisy réalisé autour d’A. Berque en 2017. Ouvrage publié chez Hermann : « Flux d’information sensoriels et stratégies de communication « intelligentes » chez les plantes, in La mésologie, un nouveau paradigme pour l’Anthropocène (2018) et récemment publié dans une revue scientifique anglo-saxonne à propos de l’impact de l’électrome sur l’interface formée par le couple plante-milieu : Debono & Souza, Plants as electromic plastic interfaces: a mesological approach, Progress in Biophysics and Molecular Biology, 146 (2019).

15.  A. Berque nous indique dans son allocution de Cerisy intitulée « Trajection et réalité » que la formule R=S/P n’est pas figée mais représente un système dynamique se déployant dans les milieux et l’histoire impliquant des prédicats P’, P’’, P’’’ et des ré-interprétations successives de la réalité S/P où S serait la substance et P l’insubstance par rapport aux nouveaux prédicats, définissant une hypostase au plan ontologique. (Réf dans le livre du colloque précédemment cité).

16.  A. Berque a publié un intéressant article intitulé « La Chôra chez Platon » en 2012 sur le site Mesologiques qui situe l’approche ternaire essentielle du tétralemme indien datant du III ème siècle par rapport à l’aporie du troisième terme dans la Khôra de Platon et l’emprise du topos aristotélicien et à l’exclusion du tiers qui a suivi en Occident.

17. Augustin Berque, Plasticité mésologique ? in Philo, quoi !, 25 août 2016.

 

*

 

TRAJECTION, RAPPORT D’ARCHITECTURES

C’est ce rapport constant d’architectures qui, nourri par l’être en relation, parviendra à déconstruire nos habitations et mues successives pour atteindre l’épigenèse des lieux. Or n’est-ce pas là le grand défi de notre temps que de retrouver ce lien ancestral et de le ré-associer à la valeur intrinsèque de l’homme ? Déconstruire pour reconstruire là où l’homme a détruit, re-fusionner avec la matière comme liant, comme affect et comme habitation. Faire sa fragilité nôtre, reconnaître notre in-dissociabilité et épouser le monde avec une perspective mésologique.

Autrement dit, embrassant l’ensemble des êtres vivants et leur interrelation avec le milieu. C’est la seule issue viable, et nous pouvons espérer reconquérir ces architectures, cet écosystème malade, tant les imaginaires sont fertiles face aux menaces planétaires, tant la nature même de la plastique est dynamique, tant la poétique de la relation 18 peut recéler de nœuds fertiles.

Preuve en est, le liage perceptif décrit en neuroscience comme l’association d’objets mentaux aux phénomènes d’apprentissage ou d’attention 19 ou la description méticuleuse des interfaces plastiques découlant de la co-implication de la matière et de la forme comme la courbure espace-temps, le lien étroit entre le percept et le concept ou entre l’expérience et la conscience (la plasticité de l’esprit). 20

Prenons le cas du percept comme liant, il implique la corrélation spatio- temporelle et la synchronisation de l’activité de neurones spécialisés co-activés par un même objet du champ visuel. Ces mêmes mécanismes sensoriels pourraient être liés aux synesthésies (association mot-couleur-son). A chaque fois, des complexes plastiques essentiels 21 se forment indiquant l’inextricabilité du couplage formé au point d’ancrage de dimensions ou d’expressions irréductibles et la prégnance de la plasticité dans cette complexion unique 22.  Et cette représentation plastique de la réalité a un écho fondamental sur le plan de la noèse comme de l’épistémè. C’est d’un carrefour ontologique et d’un processus de co-signification qu’il s’agit, tous deux ouvrant au tiers inclus et à la transversalité.

 

18.  Édouard Glissant, Poétique de la relation, Poétique III, Gallimard, 1990.

19. Jean Lorenceau, LIMSI, CNRS : http://cogimage.dsi.cnrs.fr/projets/dyco/dyco_themes.htm

20.  Marc-WilliamsDebono,«États des lieux de la Plasticité: 1- Les Interfaces plastiques ;2- La Plasticité de l’esprit, inImplications Philosophiques, Mars & Mai 2012.

21. Par exemple : ETP : espace-temps-plasticité ou NMP : neural-mental-plasticité.

22. Marc-Williams Debono, « Le complexe de Plasticité : état des lieux et immersion » , PLASTIR n°18, 2010/3.

 

***

 

TIERS PERÇU, TIERS INCLUS

 

PERCEPTION, SENS, FORME

Percevoir revient à singulariser une forme

  • À dépasser les seuils.
  • À exprimer la plasticité active du monde comme contenant à la fois la forme et l’émergence de la forme, l’inné et l’acquis, le signifiant et le signifié.
  •  À montrer que lorsque l’informé prend corps, c’est la plasticité de la matière qui s’exprime au plus haut degré.

 

Plasticité de l’objet comme du sujet, de l’art comme de la science, de la biodiversité en tant que sensibilité première et source d’énaction 23 de la géographie du lieu.

  • Plasticité terrestre qui nous prend dans notre gravité à l’image de ces grimpantes cherchant appui dans un vide-plein qui ne cesse de se dérober, puis finit par devenir tangible…
  • Plasticité de pensée qui se dérobe à nos consciences pour envahir tout espace de sensorialité. A nous de tirer les conséquences de ces interpénétrations – là ou précisément l’entité corps-esprit que je représente et la plastique du monde se co-signifient en se traversant – dans nos rapports à la réalité et à l’imaginaire.
  • Plasticité du monde à l’image d’une planète en désarroi qu’on appela Terre et qui de terre chemina…

Si l’enseignement qu’il en ressort sur le plan éthique et herméneutique va de soi, il faut mettre l’accent sur les actions écosensibles ou architecturales de terrain, telles le couplage dynamique entre le sujet et son milieu (lien mésologique)24, l’intelligence du vivant ou les conceptions d’habitats tournés vers les énergies du futur. Respecter aussi la valence des signes et la cohérence des formes échues. Autrement dit, travailler dans les champ bio- ou cyber-sémiotiques qui se dessinent aujourd’hui en en dérivant toutes les composantes25.  Enfin, dépasser les contradictions d’un monde en mal de reconnaissance et les faire co-évoluer, à l’image du dualisme cartésien tombé aujourd’hui en désuétude pour laisser place à la résurgence d’un esprit incarné et pétri d’émotions.26

 

Reste l’art éphémère et ses anamorphoses,27 dont la construction durable,28 la performance ou le surréalisme. Dada l’a prouvé : un rapport direct à l’altérité, la métaphysique et la morphogenèse interroge toujours et encore ce que l’homme porte de sensitif ou de transcendant en lui. Et cette singularité s’exprime dans un monstre à deux têtes : l’hydre de Lerne: un corps mué et un esprit renaissant à chaque césure.

Dans la flore intime des sols les plus secs comme dans les cristaux aux formes géométriques ordonnées de la glace sibérienne. Dans les empreintes sigillaires des sceaux chinois comme dans les fossiles des premières fougères.

Dans ces roches rouges du désert californien comme dans la statuaire de l’île de Pâques.

 

Dans les pas d’Armstrong sur le sol lunaire comme dans ceux de l’homme de Giacometti

Autrement dit dans la pensée liée de Novalis, partout où la poétique de la nature et de l’homme s’est avérée étirement ou prolongement d’une présence à la chose.

 

 

TIERS INCLUS, TRAJECTION, TERRESTRE

Dans « L’ère des plasticiens »29, un chapitre consacré à la systémogenèse et à la logique du tiers-inclus lupasciens indiquait:

« L’homme bionique cherche la trace ontologique de son histoire et ne trouve bien souvent que des éléments délétères ou épars. C’est pourquoi l’intégration du tiers est aujourd’hui indispensable à sa réhabilitation. Le tiers, c’est à la fois l’autre et moi même, puisque nous faisons partie du même monde. C’est l’autre réfléchi par ma vison du monde. Autrement dit, l’altérité est fondamentalement ce qui nous construit. Qu’il s’agisse du dépassement du binaire ou de la place de l’émotion dans la construction de l’individu et du monde, on s’aperçoit ainsi que Stéphane Lupasco 30 a été l’architecte du tiers état qui se profile à l’aube du XXIème siècle. »

 

23.  Francisco Varela, Evan Thompson and Eleanor Rosch, « The embodied mind: Cognitive science and human experience », Cambridge, MA: MIT Press, 1993.

24. Augustin Berque, La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014.

25.  Soren Brier, http://cybersemiotics.com/content/søren-brier

26. Antonio R. Damasio, « L’Erreur de Descartes : la raison des émotions », Paris, Odile Jacob, 1995.

27. Certains courts extraits de ce paragraphe sont librement adaptés d’un article original portant ce nom publié par l’auteur dans la revue Phréatique n° 74-75 intitulée Métamorphoses-Anamorphoses », A1995.

28. Parfaitement intégré des grands ateliers Amàco ou par le collectif Terrón qui joue sur l’art, les nouvelles matières, l’architecture, la structure et le paysage. Amàco, Centre d’excellence pédagogique sur les sciences de la matière pour la construction durable. © 2013 Amàco, les grands ateliers. http://www.amaco.org

29. Marc-Williams Debono, « L’ère des plasticiens, Aubin Éditeur, St Etienne, 1996.

30. Stéphane Lupasco, « Logique et contradiction », PUF, 1947 ; « Les trois Matières », Julliard, 1970. ; « L’homme et ses trois éthiques », Le Rocher: 1986.

 

 

L’attention devra donc se porter à la mise en lumière de ces altérités, aujourd’hui plus que jamais convoquées face à la découverte de comportements intelligents chez les plantes entrainant une révision de notre statut anthropomorphe et de la plasticité du vivant,31 mais aussi face à l’ensemble des vecteurs ternaires et transculturels opérants. Plus que jamais aujourd’hui, il s’agit pour l’homme par trop détaché du monde sensible32  et de son expressionnisme, de retrouver l’état T (T comme ternaire et comme terrestre). Et que cette re-terrestration le conduise à réévaluer l’expérience esthétique dans ce qu’elle recèle d’intimité et de fusion entre le sujet et l’objet, dans ce que Lupasco a indiqué comme la fiction « la plus mi-réelle et mi-irréelle à la fois ».

Au delà de cette indispensable re-médiation terrestre, sinon planétaire, et ternaire ou trajective au sens de A. Berque, il ne s’agit pas de formaliser les langues ou les architectures, d’en décortiquer des structures primitives et modernes ou d’y trouver des tenants et des aboutissants comme Pierce 33 l’a parfaitement démontré à propos de la tiercéité du langage, mais de développer une véritable plasticité de pensée.34

Une plasticité du réel qui englobe le sujet totalisant et ne se limite pas au tiers perçu. Le poète, à l’inverse du linguiste s’inspire d’un au-delà des mots à retranscrire en mots, traduit une poétique de l’inclusion. Et il est des métaphores vives 35 qui sont proches de cette architectonique. Des courbes iliaques qui en disent plus long sur la vie que tout discours. Des trames oniriques au parvis desquelles toute matérialité est vaine. Des œuvres éphémères qui interrogent la trace au plus profond. Des sculptés de maître qui poussent l’homme à sans cesse bâtir et enfanter une plage imaginale féconde pour inscrire la sémantique de l’humanité. Faisons leur écho en délivrant la forme de son carcan et en déjouant les pièges ultimes de l’ineffable plasticité de la matière36

 

31.  Marc-Williams Debono, L’intelligence des plantes en question, Hermann, Hors. Coll., Paris, 2020.

32. Jacques Tassin, Pour une écologie du sensible », Odile Jacob 2020.

33. C.-S.Pierce, Écrits sur le signe, traduction de G.Deleballe, LeSeuil, 1978.

34. Marc-Williams Debono, Écriture et Plasticité de Pensée, Anima Viva Multilingue Publishing House, 2015. Concept présenté également par l’auteur à l’école des Chartes à propos des humanités numériques La plasticité de l’esprit à l’heure des écritures numériques, École des Chartes, ecultures-hypothèse.org, Mai 2014 et lors d’une Séance plénière du Haut Conseil de l’Education Artistique et Culturelle  du 20 décembre 2011 ( Titre:  Le concept de plasticité : une approche transversale des savoirs).

35. Allusion à « La métaphore vive » de Paul Ricoeur, Ed. Le Seuil 1975.

36. Marc-Williams Debono, L’ineffable plasticité de la matière, in TK-21, La revue Arts, Cultures et Sociétés, n°104, Mars 2020.

 

 

POÉTIQUE, LANGAGE

 

On n’interroge plus une terre qui est au demeurant arable,

On la goûte jusqu’à la lie…

 

S’est-on demandé ce qui dans le poème, par delà le sens apparent des choses, donnait corps aux mots ? S’est-on demandé ce qui dans le poème signifiait, hormis l’ordonnancement des mots ? S’est-on demandé jusqu’où l’agencement mécanique des lettres, la grammaire, la scripturalité ponctuaient tout ? Tout ce qui par devers nous, tente de construire un langage où il n’y a qu’entrelacs de significations, toutes plus justifiées les unes que les autres, toutes revêtant un sens immédiat que nul ne remettrait en cause, toutes ouvrant à des pensées profondes, et qui pourtant précisément là, conduisent à un non-sens, une aporie constitutive qui mystifie la plasticité du langage au point de faire passer un rhinocéros par le chas d’une aiguille?

Or, c’est précisément là le creuset où puiser. L’interstice tiers, la pensée sans langage, l’univers exclusivement syllabique du babil… Cette interface plastique où tout murit avant le grand apprentissage, où tout s’instruit avant que le monologue s’installe. Surgissement incontournable, sous peine d’aliénation sociétale et de désinclusion du moule parental.

Et comment lui en vouloir à cette vox populi quand on sait le prix à payer d’un illettrisme en amont et d’une cybersémiotique en aval ? Quand tout favorise la célérité, le temps d’accroche et la virtualité ? Et comment lui en vouloir à cet interlocuteur dévoué quand on sait l’enjeu immédiat du connecté ? Le seul enjeu qui vaille pourtant, au delà de deux, trois mots entérinés, c’est la pratique d’une poétique de l’inclusion, d’une mise à jour permanente du ‘ Qui suis-je dans l’autre et où mon je se profile-t-il dans cette psyché ? ’

Or, le point névralgique est là. Dans cette épigenèse des mots, dans ce besoin inassouvi, inavoué, qui en tous, à des degrés divers, est rémanent. L’esthète n’a de prise qu’au point d’accroche. Là où le mot jaillit dans sa signifiance, est nommé, où de tangible, il devient tangent et qu’il peut s’en saisir pour l’aiguillonner ou indiquer une voie. L’inverse même d’une langue balisée, externalisée, orientée en toutes circonstances, parfois sous couvert de liberté.

Sortir de l’ornière des équidés. Qui s’en soucie aujourd’hui, alors qu’on se noie dans l’image, qu’on se meut dans les barbarismes de tout bord et que d’aucuns n’ont d’autre choix que de psalmodier des salves de mots sacralisés ou arrachés à leur sens ?

Éperdument se départir des consignes hémisphériques et de l’aire du langage. Prendre le parti de l’oblique, du moment singulier. De l’union secrète qui unit l’homme et la nature dans un langage premier. Un langage ne supportant aucune métaphore, aucun mot itinérant, itératif ou totipotent. A asséner et ré-assener sans cesse, jusqu’à tant que le flux nourricier s’arrête et prenne le parti du surgissement.

Un mot, un seul. Telle serait la voie à suivre pour sortir de ces ornières, tout en ne lâchant pas la trame… Car sans trame, pas de cohésion, et sans cohésion, pas de sensation. Or, il y a là tout un monde sensible qui converse avec les éléments, un espace d’inclusion unique du tiers-poétique où Je est un autre mais nous pensons ensemble37»

 

37. Extrait d’un ouvrage de l’auteur traitant de l’inclusion à paraître.

                 

                                                                                                    Marc-Williams DEBONO

3 Comments

  1. jc 1 juin 2020 at 13 h 09 min

    Pour celles et ceux qui seraient intéressés par une approche plus scientifique du problème de la forme « plastique » dans notre époque qui se focalise -scientifiquement- principalement sinon exclusivement sur la force, il y a les incontournables ouvrages « On Growth and Form » (1917, révisée en 1942) de d’Arcy Thompson et « Stabilité structurelle et morphogenèse » (1972, 2ème ed. en 1977) de René Thom. (Un René Thom pour qui la démarcation science/non-science n’a plus guère de sens actuellement et qui a écrit « L’art, lieu du conflit des formes et des forces? » que l’on trouve dans le recueil d’articles « Apologie du logos » (Hachette).)

  2. Debono MW 1 juin 2020 at 18 h 06 min

    Merci de votre commentaire, fort à propos. Je voulais cependant souligner que le propos était ici volontairement focalisé sur le tiers inclus et la plasticité mésologique, à laquelle je réfléchis depuis ma découverte des travaux d’Augustin Berque (séminaire EHESS Mésologie 2016) et de la complémentarité de nos approches, notamment pour ce qui concerne la plasticité végétale. Il va de soi que d’Arcy Thompson et Thom (que j’ai eu la chance de connaître) sont des incontournables sur la forme et la morphogenèse, et j’en ai largement tenu compte dans d’autres publications ou conférences (cf topo sur les enjeux épistémiques du concept de plasticité dans le Séminaire: Forme et fonction : morphogenèse, épigénétique, évolution de l’EHESS en 2017 suite à l’invitation du séminaire de Luciano Boi, qui a lui même largement développé la question), mais le concept de plasticité (liage actif, ancrage d’expressions ou de dimensions irréductibles l’une à l’autre, complexe de plasticité : voir site de PSA/Concept/Evolution) et l’approche mésologique (couplage dynamique, médiance, trajection) ont d’autres entrées que la forme per se.

  3. Xiaoling Fang 8 juin 2020 at 15 h 51 min

    Merci à Marc-Williams pour ce beau texte! L’explication sur le concept plasticité et ses liens avec plusieurs théories est très enrichissante. Je voudrais citer un texte pour faire écho à la conclusion de cet article:
    « Le poète est celui qui commence à partir du siège du non-mesurable et se déplace vers le mesurable, mais qui garde la force du non-mesurable en lui en tout temps. Comme il se déplace vers le mesurable, il dédaigne presque d’écrire un mot. Bien qu’il désire ne rien dire et encore transmettre sa poésie, au dernier moment, il doit céder à la parole après tout. Mais il a parcouru une grande distance avant qu’il utilise l’un des moyens, et quand il le fait, juste un brin est assez ».—-Louis I. Khan

    Texte original: « The poet is one who starts from the seat of the unmeasurable and travels towards the measurable, but who keeps the force of the unmeasurable within him at all times. As he travels towards the measurable, he almost disdains to write a word. Although he desires not to say anything and still convey his poetry, at the last moment he must succumb to the word after all. But he has traveled a great distance before he uses any of the means, and when he does, it is just a smidgen and it is enough.» —-Louis I. Khan

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