/, Philosophie, Physique, Religion, Sciences "fondamentales"/Giordano Bruno (1548 -1600), penseur de l’infini, victime de son infinie conviction

Giordano Bruno (1548 -1600), penseur de l’infini, victime de son infinie conviction

By | 2022-02-15T10:18:35+01:00 15 février 2022|Histoire, Philosophie, Physique, Religion, Sciences "fondamentales"|2 Comments

 

Hommage anniversaire

à

Giordano Bruno

 

 

Il fut conduit au bûcher

et brûlé vif

pour ses convictions sur l’infini

le 17 février 1600

 

 

***

 

 

Giordano Bruno (1548 -1600)

Penseur itinérant de l’infini

Victime de son infinie conviction

 

Giordano Bruno (1548-1600) ne fut pas seulement un copernicien convaincu, il fut le premier à considérer l’univers comme infini et peuplé d’innombrables mondes, ouvrant ainsi la voie à notre conception moderne de l’espace.

Pour cette thèse audacieuse, et pour quelques autres encore, cet esprit libre fut condamné par le terrible tribunal de l’inquisition. Refusant de se renier, il mourut sur le bûcher à Rome le 17 février 1600.

Plus de quatre cents ans ont passé depuis sa mort : Giordano Bruno pose en toute liberté des questions essentielles sur le monde et sur l’homme. Des questions très actuelles…

 

Sommaire

                                                                      1. Du couvent dominicain à l’itinérance

                                                                      2. Le penseur de l’infini

                                                                      3. L’ inquisition

                                                                      4. Epilogue

 

Thème du tiers inclus:  La Conviction, Un univers sans clôture entre l’homme et l’espace

Antagonismes en interaction:  Homme ~ Espace., Géo-centrisme ~ Infini, Dogmatisme ~ Liberté de penser, Contrainte ~ Liberté, Oppression ~ Liberté

 

***

 

La Terre n’est pas au centre du monde.

Un homme avait fait pour la première fois ce voyage, par la pensée

 

Giordano Bruno

 

Nul astre, pas même le soleil, n’est “au centre du monde”.  L’univers est infini.

De cette intuition a jailli une œuvre multiforme, au carrefour de la physique et de la philosophie,

inspirée par une nouvelle conception des rapports de l’homme et de l’univers.

 

 

Nous sommes au XVI ème siècle.

Ce personnage se nomme Giordano Bruno

 

Giordano Bruno s’est toujours désigné Nolain du nom de son village Nola où il naquit en 1548 près de Naples et du Vésuve. Son prénom n’est pas alors Giordano, mais Filippo. Son père est sous-officier de l’armée du vice-roi d’Espagne (le royaume de Naples est alors intégré à la couronne d’Espagne), sa mère est propriétaire agricole.

 

Enfant, Bruno fait une approche sensible pour le moins originale. Voyant de loin le Vésuve et ses paysages noirs, il imagine à ses pieds une terre inculte, un milieu lugubre. Quelle ne fut pas alors sa stupéfaction quand il s’y rendit pour la première fois.

 

Ses yeux l’avaient trompé

 

La vigne y était magnifique, la richesse inégalée. De cette expérience, le Nolain Bruno, n’oubliera jamais qu’on ne peut limiter aucune perspective et que la distance transforme l’aspect des choses. Cette observation conditionnera son expérience de vie.

 

A dix sept ans, il entre chez les Dominicains.

 

1.   Du couvent dominicain à l’itinérance

En ces temps troublés à Naples, Giordano Bruno devient frère prêcheur à San Domenico Maggiore, le meilleur couvent de toute l’Italie méridionale. Ce lieu n’est pas anodin :  Saint Thomas d’Aquin y termina sa vie. Filippo Bruno y étudiera évidemment le Thomisme comme tout dominicain, et par là même la pensée aristotélicienne, tout en prenant pour devise « Par le verbe et par l’exemple ».

Il adopte alors le prénom de Giordano, par respect ou hommage d’un maitre, Giordano Crispo qui enseigne la métaphysique, et dont il suit les lectures.

Il est ordonné prêtre en 1573.

En 1575, il soutient une thèse sur Saint Thomas et devient docteur en théologie. Il a 27 ans.

Depuis 1568, Giordano Bruno a développé une pensée originale en s’adonnant à l’hermétisme et en vouant une véritable passion à la cosmologie.

 

Méfiant à l’égard des images saintes, il ne laisse dans sa cellule qu’un crucifix. On l’accuse alors de profaner le culte marial.

Lors d’une discussion avec ses frères, il rejette la trinité : « Jésus Christ n’est pas Dieu et le Saint Esprit est l’âme du monde.» On le soupçonne alors d’athéisme et l’accuse d’hérésie. D’autant que l’on retrouve également dans sa cellule, quelques lectures peu recommandables comme celle d’ Erasme.

 

Voulant à tout prix éviter un procès, il fuit le couvent San Domenico Maggiore en février 1576.

Commence une vie d’itinérance où Giordano Bruno va continuer à affirmer une pensée révolutionnaire en rompant définitivement avec le cadre aristotélicien.

Pour vivre, il donne des cours de grammaire à Gênes, Venise, Padoue ou Turin. Il rejoint la Genève calviniste mais très vite, on l’arrête et l’excommunie car il a voulu critiquer les compétences d’un professeur en philosophie.

D’un caractère fort et déterminé, Giordano Bruno préfère rejoindre Toulouse plutôt que de se complaire dans une posture dogmatique. Durant deux ans, il y est maître es arts, y enseigne la physique et les mathématiques.

Son incroyable mémoire suscite l’intérêt du roi de France : Henri III le fait venir à sa cour. Pouvant réciter sept mille passages de la bible ou encore mille poèmes d’ Ovide, il apparaît comme un spécialiste de l’art de la mémoire, nommé aujourd’hui « mnémotechnique ». Il publie (en latin) un traité consacré à l’art de la mémoire :  De l’ombre des Idées.

Amateur de culture italienne, et sans doute politiquement intéressé à laisser s’exprimer un philosophe rejeté à la fois par les catholiques et les calvinistes, le roi Henri III le récompense en le nommant lecteur royal  extraordinaire (exceptionnellement dispensé d’assister à la messe) au collège des lecteurs royaux, le futur Collège de France.

 

Pendant cinq ans, il bénéficiera en tant que philosophe de la cour, d’une position privilégiée et exercera son talent d’écrivain en publiant une comédie satirique: « Le chandelier »

En avril 1583, il quitte la France pour l’Angleterre. À Londres et à Oxford, il développe ses idées sur l’infini mais l’accueil y est très hostile.

 

L’église anglicane ne voit pas d’un bon œil ce penseur qui la malmène. Durant deux ans, Giordano Bruno va tenter de lui répondre.

 

 

C’est en cette période qu’il publiera ses ouvrages majeurs : « Le banquet des cendres », « La cause, le principe et l’un » et « De l’infini, de l’univers et des mondes ». Trois autres explorent la nouvelle conception de l’homme et de la morale qui en découle : L’Expulsion de la bête triomphante, La Cabale du cheval Pégase, et Des Fureurs Héroïques (1584-85).

 

Sa vision cosmographique devient trop gênante, il ne peut pas rester plus longtemps en Angleterre.

De retour à Paris en octobre 1585) Bruno se lance de nouveau dans le combat d’idées. Plusieurs écrits anti-aristotéliciens lui apportent quelque célébrité mais l’Université Parisienne réagit. Le défi qu’il lance en mai 1586 aux Docteurs parisiens, en organisant une “dispute” publique “ contre « plusieurs erreurs d’Aristote”, tourne à son désavantage. Privé du soutien d’Henri III, il comprend que Paris lui est désormais fermé.

Fin 1586, il s’exile en Allemagne à la recherche d’une université tolérante lui permettant de développer librement ses idées. Bruno enseigne successivement à Marbourg, à Wittemberg, la ville de Luther (1586 – 88), Prague (1588), Helmstedt (1589), une ville au Luthérianisme rigide où, sans avoir embrassé la foi luthérienne, il se fait une nouvelle fois excommunier, puis Francfort (1590-91). Il publie dans cette ville trois longs poèmes philosophiques en latin.

Il va connaitre sa troisième excommunication, cette fois-ci par la communauté luthérienne.

 

Cet état de philosophe peregrinus (qui séjourne à l’étranger), comme il se définit lui-même, lui pèse. Il cherche en vain à obtenir la chaire de mathématiques de l’université de Padoue qui lui préfèrera Galilée.

En avril 1591, il est invité à Venise par un faux ami, Giovanni Mocenigo qui, après l’avoir exploité comme professeur particulier, le dénonce et le livre. Arrêté dans la nuit du 23 au 24 mai 1592 et emprisonné, Bruno est d’abord interrogé par des inquisiteurs Vénitiens.

 

Sur intervention exceptionnelle du pape, il est remis à l’inquisition Romaine, beaucoup plus rude.

2.   Le penseur de l’infini

 

Que reproche-t-on à Giordano Bruno, ce penseur de la Renaissance, ce philosophe qui s’intéresse à la nature des astres et à la forme de l’univers, à cet homme déterminé qui parcourt l’Europe et ne parvient pas à convaincre ses contemporains ?

 

 

Peut-être et avant tout d’avoir pensé l’infini !

 » Nul astre, pas même le soleil,

N’est au centre du monde

 L’univers est infini « 

 

 

De cette intuition a jailli une œuvre multiforme, au carrefour de la physique et de la philosophie, inspirée par une nouvelle conception des rapports de l’homme et de l’univers.

 

Une œuvre libre

 

Pour les hommes du moyen-âge, le monde est clos et fini, il est parfait car limité. La relativité n’est pas perçue et l’observation de l’espace se fait encore à l’œil nu.

La philosophie dominante est celle d’Aristote, mathématisée par Ptolémée. Cette philosophie propose un ensemble cohérent, surtout efficace et adapté pour le monde chrétien.

 

La terre y est immobile et au centre, elle est entourée de cercles concentriques.

 

 

Ci-contre, les sphères concentriques d’Aristote :

Au centre, la Terre. Puis la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne ; et à la périphérie, la sphère où les étoiles sont fixes.

 

 

 

 

La publication du livre de Copernic : Des Révolutions des orbes célestes (1543) permet de dater la rupture fondatrice. La terre, arrachée du centre du monde, tourne enfin sur elle- même. Autour du soleil, désormais immobilisé au centre du système, tournent les “ orbes célestes ”, qui portent les planètes, dont la nôtre, située désormais entre Venus et Mars. La Terre est une planète comme les autres : tel est en substance le message, aujourd’hui banal, en ces temps, prodigieusement nouveau, que livre Copernic à ses contemporains.

 

Pour correspondre au récit de la genèse, on adapte le schéma aristotélicien :

 

Le nombre d’orbes célestes qui entourent la terre est plus nombreux. Tous les astres y compris le Soleil placé entre Vénus et Mars, tournent autour de la Terre, en décrivant des orbites circulaires. Au-delà de l’orbe de la dernière planète Saturne, les autorités chrétiennes s’accordent à y placer le firmament, la sphère des étoiles fixes. Au-delà, c’est l’Empirée, la demeure de Dieu, des anges et des élus.

 

Giordano Bruno rompt avec ce modèle. Il défend les progrès que représente la pensée copernicienne. Copernic comme Nicolas de Cues, (1401- 1464), son autre maître à penser, est pour lui, un homme qui par le jugement moral, s’est montré supérieur à Ptolémée, à Hipparque, à Eudoxe. Mais il reproche au savant d’avoir été plus porté par la mathématique que par la physique.

 

Le monde de Copernic n’est pas non plus l’univers que nous connaissons aujourd’hui.

– D’une part, il garde un centre, où pour éclairer le monde Dieu a placé le soleil, “comme reposant sur le trône royal”.

– D’autre part, il conserve une limite externe. Car Copernic l’affirme avec force lui aussi : “Le monde est sphérique ” et cela “ parce que cette forme est la plus parfaite de toutes ” : on notera la reprise de l’argument de type métaphysique déjà présent chez Aristote.

 

La sphère des étoiles fixes ne disparait donc pas dans le système copernicien : elle est désormais immobilisée, « arrêtée », comme une gigantesque gangue entourant la Terre en rotation. Ainsi s’explique pour Copernic le mouvement apparent des étoiles dans le ciel nocturne. En même temps, ses dimensions s’élargissent considérablement, au point que son diamètre devient immense au sens propre (de immensus, impossible à mesurer).

Mais il ne veut pas seulement être un propagateur des idées coperniciennes. Giordano Bruno en propose une re-formulation sur un point essentiel.

Car Copernic, en plaçant le soleil au centre de l’univers,  fait une concession de trop.

 

 

C’est l’idée même que l’univers a un centre

Qu’il faut désormais abandonner

 

« Il n’y a aucun astre au milieu de l’univers, écrit Bruno, parce que celui-ci s’étend également dans toutes ses directions »

Et s’il est vrai, comme l’affirme Copernic, que la Terre n’est qu’une planète comme les autres, il faut tirer de cette affirmation sa conséquence nécessaire : le Soleil lui aussi n’est dans l’immense univers qu’une étoile comme les autres, ou – ce qui revient au même – chaque étoile est un soleil semblable au nôtre, et autour de chacune d’elles tournent d’autres planètes, invisibles à nos yeux, mais dont l’existence ne fait pour Bruno aucun doute. Et pour peupler cet univers devenu infiniment grand il faut supposer l’existence d’innombrables étoiles.

 

C’est ce qu’il précise dans L’infini, l’univers et les mondes (1584).

En tout cas, il remet en cause, en suivant Copernic, le géocentrisme.

 

 

La Terre tourne bien autour du soleil, mais il va plus loin, il casse le cadre immobile figé, pour rejoindre le monde de l’infini. Quant à l’homme, non seulement il n’est plus au centre du monde, mais le lieu qu’il occupe désormais dans l’espace démesurément grand a perdu toute signification particulière. L’angoisse devant le néant est cependant étrangère à Bruno. A l’inverse, ces hommes tournoyant sur leur globe parmi les étoiles en acquièrent comme une dignité nouvelle : ils accèdent au statut d’ « Habitants célestes ” (De Immenso).

 

L’humanité doit cesser de se mépriser elle-même : elle a en elle quelque chose de divin.

 

S’opère une totale révolution

dans l’histoire des conceptions cosmologiques

Prolongeant et généralisant ce qu’on appellera plus tard

la “révolution copernicienne”

 

 

Pour Copernic (à gauche), le Soleil occupe le centre de l’univers, mais celui-ci reste limité à une “sphère ultime”.

 

  Selon Bruno ( à droite), l’univers est infini

 

 

Giordano Bruno apparait dans l’histoire des idées

comme le premier à avoir osé penser un univers sans barrières

entre l’homme et l’espace

dans lequel il est immergé.

Ni “ firmament” solide, selon la conception biblique

ni sphères emboitées

pas même de sphère ultime

 le monde est désormais sans clôture.

 

 

Pour Giordano Bruno, cherchant du côté des pré-socratiques et des pré-platoniciens, il retrouve la clarté et la lumière, il écrit : « nous affirmons qu’il existe une infinité de terres, une infinité de soleils, et un éther infini ». Par la même, il refuse l’idée d’un centre, le soleil n’étant qu’une étoile parmi d’autres.

 

“La substance des autres mondes dans l’éther infini est pareille à celle de notre monde”,
Giordano Bruno, 1584

Dans sa conception, on ne peut opposer la pensée à l’imagination. Que ce soit dans l’infiniment grand ou l’infiniment petit, il n’y a aucune raison que le monde à l’œuvre s’arrête à ce que l’on voit. Alors qu’il ne met plus de limites à l’espace lointain, il reprend l’idée de la construction de particules individuelles dans l’infiniment petit, ressuscitant en physique, l’atomisme défendu dans l’antiquité grecque par Démocrite et Épicure. Giordano Bruno apparait ainsi à la frontière de la philosophie moribonde médiévale et celle moderne qui se développera au XVII ème et XVIII ème siècle.

 

Faut-il penser pour autant que l’univers infini exclut Dieu ?

 

Au contraire, répond Giordano Bruno. Dieu est la “Cause infinie ” qui produit un monde infini. Comment d’ailleurs croire que Dieu, être infini, aurait-il pu se limiter lui-même en créant un monde clos et borné ? Mais ce Dieu ne peut plus être celui qui trône en majesté au-dessus du monde

 

Son monde est infini mobile et sa façon d’aborder Dieu est complètement différente. Dieu n’est plus transcendant. Se référant fréquemment à Plotin, Giordano Bruno développe une approche panthéiste en affirmant la divinité de la matière. Dieu est ainsi aussi bien contenu dans le multiple que dans l’un, et il nous reste invisible car Il est la nature de la nature, résidant en toute chose et donc l’âme de l’Univers infini.

 

 

Ce Dieu, ainsi installé au cœur des choses et de l’homme, n’est plus non plus le Dieu d’une Révélation. Comment croire en effet que Dieu ait choisi ce globe minuscule, perdu parmi une infinité de mondes semblables, “pour y envoyer son fils unique Jésus-Christ”, selon le credo chrétien ? La philosophie de Bruno n’est certes pas athée ; mais elle n’est assurément plus chrétienne.

Et l’homme ?

Que perd-il, que gagne-t-il à cette nouvelle image du monde ?

 

Sans doute ne peut-il plus se croire le centre – et donc peut-être le but – d’un monde ordonné autour de lui. Mais inversement, le voici en mesure d’ouvrir son esprit à l’idée d’un univers où tout, y compris la Terre, et l’homme lui-même, est en perpétuel mouvement ; un univers sans limites, où le désir de savoir de l’homme peut prendre son libre essor.

L’homme peut enfin, au terme de ce parcours dans l’immensité, se considérer lui-même et juger les sociétés humaines avec un autre regard. La révolution cosmologique que Giordano Bruno propose doit à ses yeux s’accompagner d’un ré́-examen fondamental des questions qu’il appelle morales – c’est-à-dire des valeurs, pour lesquelles, sur ce petit globe tournant désormais librement dans l’espace, il convient aux hommes d’organiser leur vie.

 

Ainsi, Giordano Bruno, en reprenant l’hélio-centrisme défendu par Copernic, va plus loin, reprochant à ce dernier de s’être arrêté à ce niveau-là.

 

Sur la voie de la compréhension vraie du monde, l’immense autorité des écrits d’Aristote se dressait donc, aux yeux de Bruno, comme l’obstacle majeur. L’ambition de renverser cet obstacle, de “ruiner” l’aristotélisme est au cœur de son projet philosophique. Mais plus que les erreurs du lointain penseur grec, c’est le dogmatisme de ses imitateurs modernes qui excite son indignation : en se transformant en gardien des paroles du maitre, en en interdisant toute remise en cause, ils ont transformé sa pensée en vérité absolue et morte.

Il ne nie pas la grandeur d’Aristote en son temps. Mais il revendique hautement le droit à la lecture critique de quelque autorité intellectuelle que ce soit.

Sur les ruines du dogme aristotélicien, Giordano Bruno n’entend fonder aucun nouveau dogme. Les voies d’accès à la connaissance vraie sont diverses, parce que la vérité elle-même est multiple, jamais figée. L’oublier serait se condamner à la stérilité d’esprit.

 

Après trois excommunications, et désormais emprisonné dans les geôles vaticanes, soumis à la question, Giordano Bruno, ne peut éviter le pire qu’en acceptant d’abjurer sa philosophie. Mais c’est oublier combien l’homme est déterminé et courageux.

 

3.  Dans les mains de la Sainte Inquisition

 

Incarcéré dans les geôles de l’inquisition romaine qui jouxte la basilique Saint Pierre, Giordano Bruno, pense qu’il parviendra à convaincre le pape Clément VIII si tenté qu’on l’autorise à l’approcher.

Pour lui, ces conceptions sont seulement philosophiques, il revendique la compatibilité entre le dogme et la pensée mais ses accusateurs le chargent.

 

 

 

L’inquisition romaine créée en 1542 sur l’ancien modèle de l’inquisition qui a sévi à la fois en France contre les catarrhes et les vaudois, mais aussi en Espagne et en Italie, a pour mission de lutter contre les hérésies face aux progrès du protestantisme.

Pour Giordano Bruno, l’inquisition romaine avance près de 30 chefs d’accusation, parmi lesquels le refus d’accepter la transsubstantiation, le refus d’accepter la vierge Marie, le refus de la Trinité, la non-reconnaissance de Jésus et du Saint Esprit, ou encore l’idée d’un monde infini.

 

 

Mais le philosophe n’abjure pas, il tente de négocier. Pendant huit ans, il essaye de se justifier. Mais il reste prisonnier de la scolastique médiévale, où la vérité est déduite simplement d’après des postulats, des principes intellectuels.

 

 

 

Par ailleurs sa logique n’est pas liée à l’observation et ses calculs mathématiques se révèlent faux.

Enfin, ce n’est pas un savant que l’inquisition romaine juge, mais plutôt le moine défroqué, issu du sérail religieux, ce qui a la lourde tendance à amoindrir les circonstances atténuantes.

 

Giordano Bruno va connaitre vingt deux interrogatoires et dès 1597, la congrégation ordonne qu’il soit interrogé « strict ». Fût-il torturé ? Probablement. La mise en conditions a vraisemblablement passé par le supplice de la corde appelé estrapade.

 

Mais Giordano Bruno ne cède pas. Il tente encore une fois de justifier son approche tant pour l’idée de l’éternité de l’univers que pour son aspect infini.

Parfois il concède quelques exceptions comme sur la nature de l’âme humaine, mais c’est pour mieux s’en tenir sur l’essentiel.

En 1599, on lui fait bien comprendre que s’il reste impénitent, il risque le bûcher.

 

 

Jouant les volte faces, Giordano Bruno atteint le point de non-retour avec l’inquisition. Agacé par ses abjurations et rétractations, le pape Clément VIII, ordonne le 20 janvier 1600, la condamnation pour hérésie de Giordano Bruno, et demande qu’il soit livré au gouverneur de Rome, pour y être châtié.

Le frère Giordano Bruno n’a pas respecté la discipline de l’église et ses conceptions sont rejetées par le dogme.

Transféré à la prison de Tor di Nona, il y reste enfermé une semaine en attendant son supplice. On tente encore une fois de le sauver, mais il reste déterminé.

 

Le 17 février 1600, il est conduit au Campo di Fiori, mis à nu, ligoté au poteau du bûcher. Sa bouche est clouée pour éviter les invectives. Alors que le feu commence à le consumer, on lui montre l’image du Christ.

 

Dans une ultime résistance, Giordano Bruno détourne la tête

 

 

Le philosophe n’est plus.

 

Le contexte a changé, la Renaissance se meurt. Il est loin le temps où l’imprimerie, l’humanisme, la découverte de l’Amérique ouvrait l’ère des possibles.

 

Un demi-siècle plus tard, le tableau est assombri. L’intolérance l’a emporté. L’Amérique est en proie au génocide, et en Europe, les guerres de religion font rage.

 

Giordano Bruno meurt avec cette belle Renaissance, et les flammes qui l’emportent consument toute une époque.

 

 

4.   Epilogue

 

Contrairement à Galilée qui abjurera ses idées en 1633, Giordano Bruno a tenu tête à l’église notamment pour sa conception sur l’infini. Même s’il a été par la suite, peu lu, il a servi de mythe notamment pour les romantiques au XIXème siècle, comme héros de la libre pensée.

 

 

***

 

Encore aujourd’hui, tous les 17 février

 

 

des romains se réunissent sur le Campo di Fiori pour lui rendre hommage.

 

                                                                                                                                …

 

2 Comments

  1. Vaisbrot Bernard 21 février 2022 at 11 h 57 min

    Très bel hommage, Claude.
    Cependant le judaïsme considère que D.ieu s’est « contracté » pour laisser de l’espace à l’homme. Ce dernier n’est pas dieu, mais créé « à l’image de Dieu. »
    Maintenant la plus proche des étoiles étant à 4 années-lumière, même à 3000 km/s il faut 400ans, donc on peut se contenter d’une perception locale et terrestre du Créateur. Même si dans les exoplanètes on a une autre gnose avec d’autres langues…Amitiés.

  2. Jacline MORICEAU 23 février 2022 at 10 h 52 min

    Une fois de plus bravo Claude pour ce document. Amicalement Jacline

Leave A Comment

%d blogueurs aiment cette page :