///Frida Kahlo, si libre, si attachée, si joyeuse, si souffrante, si forte …

Frida Kahlo, si libre, si attachée, si joyeuse, si souffrante, si forte …

By | 2022-09-24T18:08:51+02:00 1 mars 2020|Art, Peinture|1 Comment

Ainsi traverses-tu le monde
le pied léger, et dans une transparence d’extase ton profil se dessine,
et tu dis: Je marche dans la clémence, je suis la virginité du paysage
et l’ivresse claire de ta conscience

Ramon Lopez Velarde

 

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Tiers inclus : Créativité et expression artistique, vie, sublimation de la douleur par l’art.

Antagonismes en interaction : Souffrance ~ joie, énergie ~ handicap, bonheur ~ détresse, flamme de vivre ~ dépression ; liberté ~ adversité, fragile ~ guerrière, colombe ~ éléphant, vie ~ mort, amour ~ solitude, fidélité ~ tromperie, homosexualité ~ hétérosexualité, Amérique ~ Mexique, capitalisme ~ communisme, ombre ~lumière, machisme ~ émancipation, océan ~ terre.

 

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  1. Biographie

Née en 1907, Frida Kahlo est la troisième des quatre filles de Mathilde et Guillermo Kahlo, de sang indien par sa mère, de sang viennois par son père. Sa mère était très catholique comme beaucoup de mères mexicaines. Son père, un homme sérieux, libéral, cultivé, intelligent, était photographe. Frida était sa fille préférée, la plus intelligente selon lui. Il l’initie à l’art, la peinture, la musique et la littérature. Ils observent le monde et le dessinent : les fleurs, les feuilles, les animaux peupleront les tableaux de Frida Kahlo.

Lorsqu’elle contracte la poliomyélite, son père l’aide à dépasser sa maladie, la pousse à avoir une vie active afin de ne pas subir les moqueries des autres enfants, améliorer son état physique et ne pas boiter. Les enfants l’appelaient toutefois « jambe de bois ».

Seule des quatre enfants à faire des études, elle est excellente élève au lycée du centre où elle se lie avec Alessandro Gomes Arias, âgé de 17 ans avec qui elle eut une relation passionnelle.

Lettre à Allessandro, 1er janvier 1925.

« Tu ne voudrais pas que l’on mette au point notre voyage aux États-Unis ? On pourrait partir en décembre prochain, qu’en penses-tu ? Parce que vois-tu Alex, on ne va pas passer notre temps comme des idiots à Mexico. Pour moi, rien n’est plus beau que voyager. Il m’est insupportable de penser que je manque de force et de volonté pour faire ce que je dis. Tu pourras objecter que la force de la volonté ne suffit pas et qu’on a surtout besoin de la force du fric mais en travaillant toute une année, on en rassemblera suffisamment. A minuit, j’ai pensé à toi mon Alex. Toi non ? Ta petite femme ne sera plus cette canaille à trois francs six sous que tu as connue jusque-là mais la chose la plus douce et la meilleure qui n’ait jamais existé pour que tu la dévores de baisers.

                                                                                                        Ta petite qui t’adore. Fridouchita »

 

Frida Kahlo a alors 18 ans et vit avec ses parents. En Août 1925, elle rejoint Alessandro dans le bus qui doit les emmener dans le centre de Mexico. Un accident lui fait frôler la mort, une barre de métal lui transperce le corps, lui brise la colonne vertébrale, la clavicule et les côtes. Sa jambe déjà infirme souffre maintenant de onze fractures, son pied a été écrasé.

Après de très nombreux mois à l’hôpital, elle retrouve enfin sa maison bleue.

Lettre à Allesandro, Août 1925.  « On m’a ramenée doucement, ce qui ne m’a pas empêché d’avoir pendant deux jours, une inflammation qui m’a fait voir 36 chandelles, mais ça fait du bien d’être chez moi auprès de ma maman. Tu n’imagines pas combien j’ai mal, chaque fois que l’on me tire d’un côté. Ça me fait remonter des litres de larmes. Mais il ne faut croire ni les chiens qui boitent, ni les femmes qui pleurent à ce qu’on dit. J’en ai pour cinq mois de calvaire et pour couronner le tout, je m’ennuie à en crever parce qu’en dehors du paquet de petites vieilles qui viennent me rendre visite et des petits morveux du coin qui de temps en temps se rappellent que j’existe, je reste seule comme une âme en peine, ce qui n’est pas fait pour apaiser mes souffrances. »

Après l’accident, ne voulant pas qu’il fût attaché à une femme malade, les parents d’Alessandro décident de l’envoyer en Allemagne. Lui était d’accord. Frida voulait quant à elle devenir maitresse d’école ou docteur mais après avoir été neuf mois au lit, son père lui apporta ses peintures. Il fit adapter un chevalet et sa mère lui installa un miroir. C’est ainsi qu’elle commença à faire ses premiers autoportraits.

Carnet de Frida 1925.  « Il y a peu, quelques jours à peine, j’étais une petite fille qui marchait dans un monde de couleurs, de formes dures et tangibles, tout n’était que mystère, tout cachait quelque chose. Déchiffrer, apprendre était un jeu plaisant, si tu savais comme il est terrible de tout savoir soudain comme si un éclair avait illuminé la terre »

Frida Kahlo survit à cet effroyable accident. Elle surmonte ses souffrances par la conjonction d’un caractère fort et une insatiable soif de vivre. Immobilisée de nombreux mois, la peinture ravive sa flamme de vie.

En 1928, elle s’inscrit au Parti communiste mexicain. La vie politique est trouble et instable. Elle défend l’émancipation des femmes, « cette masse silencieuse et soumise » dont la place reste marginale dans cette société mexicaine qui demeure très machiste. Elle affiche ouvertement sa liberté de femme moderne et sa bisexualité.

En cette année 1928, elle décide de rencontrer Diego Rivera, peintre muraliste le plus connu du Mexique. Il peint une fresque pour le ministère de l’éducation publique lorsqu’elle l’apostrophe et le somme de donner son avis sur ses toiles. Il deviendra l’homme de sa vie et la soutiendra de façon indéfectible. Alessandro quant à lui restera son ami, jusqu’à la fin de sa vie.

Elle épouse Diego Rivera en 1929.  Ils vivront dans la maison bleue.

Elle n’a jamais osé représenter l’accident directement dans une œuvre, bien qu’il lui ait inspiré quelques dessins et cette peinture intitulée « Le bus », qui montre un groupe de passagers voyageant dans le même moyen de transport. Le tableau dévoile une femme indigène aux pieds nus, un ouvrier, un bourgeois, et une jeune femme qui pourrait bien être elle-même. Un enfant observe par la fenêtre un paysage empreint de sérénité. On distingue un magasin nommé « La Risa » (Le rire). Ce détail illustre l’humour noir de Frida, qui représentait de cette façon le moment vécu juste avant l’accident.

… Frida Kahlo passe son temps à peindre et à s’occuper de sa maison. Elle aime les détails, la beauté de l’art populaire et celui de l’art pré-hispanique, si méprisé à cette époque. Les aspirations sociales portées par la révolution mexicaine vont mettre en avant l’indigénisme écrasé depuis trop longtemps.

Les œuvres pré-hispaniques que Frida Kahlo et Diego Rivera collectionnent veillent sur la maison bleue lorsqu’ils voyagent aux États Unis.

Diego Rivera doit s’y rendre pour honorer une grosse commande. Elle tombe enceinte, ne dit rien à Diego Rivera et veut garder l’enfant malgré l’interdiction formelle des médecins. Dans la nuit du 04 juillet 1932, elle avorte. Elle ne réussira jamais à avoir un enfant.

… Dans sa maison du Village de Koyoacán, elle donne  une place prépondérante à l’art mexicain, à sa valeur esthétique. Sa cuisine est traditionnelle, authentiquement celle d’une maison de village mexicain. Frida transforme tous ses objets en œuvres d’art. Artiste dans tous les sens du terme, elle intervient sur tout. Son univers illustre la synthèse de l’art et de la culture mexicaine. …

 

Elle sera peintre et, à son corps défendant, inspiratrice du mouvement surréaliste avant-gardiste de toutes les artistes mexicaines du XXème siècle.

« Ils pensaient que j’étais surréaliste, mais je ne l’étais pas. Je n’ai jamais peint des rêves. J’ai peint ma propre réalité. »

 

…  Diego Rivera aime les femmes, il s’empiffre de vie et de sensualité. Elle aussi eut des amants, on dit qu’elle eut une vie dissolue mais la mort planait sans cesse autour d’elle, et ces relations amoureuses étaient une façon de se raccrocher à la vie. Dans les années 30, ils accueillent dans leur maison bleue, des peintres, des écrivains, des comédiens, des intellectuels (Cartier Bresson, Breton..), et des révolutionnaires. Beaucoup y viennent pour voir cette reconnaissance de l’art mexicain. Tous ces intellectuels feront jouer à l’art un rôle majeur dans ce changement vers un nouveau Mexique.

 

En 1934, elle apprend le décès de sa mère et rentre au Mexique. C’est dans la maison bleue qu’elle achève son tableau « Ma naissance » qui représente sa mère  accouchant d’un enfant mort-né. (Référence à la déesse pré-colombienne Tlatilco)

C’est peu de temps plus tard alors que Diego Rivera est de retour, qu’elle le surprend dans les bras de sa petite soeur Christina.

Cet évènement conduira à leur divorce en 1939.

« Toi, tu n’as jamais compris qui je suis. Je suis amour plaisir et sens. Je suis une connasse, une alcoolique, je suis tenace, je suis une peintre, je suis simplement qui je suis, mais toi qui es-tu ? Que dois-je faire face à toutes tes offenses, continuer à croire comme une imbécile à toutes tes conneries, Croire que tu es un Dieu ?

 

Elle marque cet évènement dans un tableau « Quelques petites coupures » dans lequel des oiseaux noirs et blancs volent au-dessus d’une scène de crime perpétrée par Diego tenant un objet pointu avec lequel il a torturé sa victime. Elle git sur un lit maculé de sang. Ces coupures illustrent toutes les trahisons subies jusqu’à l’ultime, celle de la liaison de Diego avec sa sœur.

… Après cette violente séparation, c’est vers son art et son œuvre que Frida Kahlo reporte toute son énergie. Sa première exposition officielle à New York est un succès.

A. Breton dit d’elle : « Son art est un ruban autour d’une bombe ».

Fasciné par ses toiles, qu’il qualifie de surréalistes, il l’invite à venir exposer à Paris lors d’un évènement qu’il organise autour du Mexique en janvier 1939. Frida Kahlo saisit l’occasion pour tenter de s’émanciper de l’emprise de Diego Rivera.

… Elle attendait beaucoup de ce voyage à Paris, cherchait de nouveaux espaces et de nouvelles rencontres qui lui permettraient d’être enfin elle-même, Frida Kahlo. Elle y découvre le monde surréaliste qu’elle trouvera surfait, intellectuel, imbu de lui-même, et ne supportera pas. Elle est d’autant plus déçue que la vie à Paris avait été pour Diégo un moment clef fondamental deux décennies auparavant. Il y avait fait des rencontres qui lui avaient montré jusqu’où il pouvait aller en art (Fugita, Picasso, Modigliani … ). Au-delà de cet apport culturel, il y avait aussi connu la misère. Il y séjourna de 1910 à 1920. Il produisit son propre style au mouvement cubiste aux côtés de Picasso et de Juan Gris.

A son retour d’Europe, il dira dans ses mémoires : « Je suis venu en Europe pour chercher ce qui n’était pas en moi et je suis revenu d’Europe pour chercher ce qui était en moi »

Frida quant à elle n’a pas besoin de Paris pour combler ce qu’elle a en elle-même. C’est la reconnaissance qu’elle est venue chercher. Kandiski la félicite, Juan Miro la serre dans ses bras, Max Ernst lui dit de poursuivre son chemin, Picasso ne tarit pas d’éloges. Venue seule à Paris, elle a appris qu’elle pouvait exister sans Diego, son ombre et sa présence. Elle sera légitimée en tant que peintre.

… Ministre mexicain de l’éducation et de la culture : José Vasconcelos réunit les trois artistes les plus influents du pays surnommés les trois grands : José Orozco (1883-1949), David Siqueiros (1896-1974) et bien sûr Diego Rivera (1886-1957) et leur confie la mission d’enseigner au plus grand nombre l’histoire glorieuse du Mexique. L’idée était d’utiliser les murs comme diffuseurs de message révolutionnaire. Diego peindra et glorifiera l’organisation des cités aztèques et retracera l’histoire sanglante de la colonisation espagnole jusqu’à l’aube des années 30. Frida y participera à sa façon car n’en avait pas les capacités physiques.

 

Le 9 janvier 1937, le président Lazaro Cardenas del Rio accorde l’asile politique à Trotsky. Il est hébergé avec sa femme dans la « Maison bleue » pendant deux ans, jusqu’en avril 1939. La maison bleue devient son refuge. Léon Trotsky y habite avec sa femme, Natalia Sedova auprès de Diego et Frida. Il y fut assassiné en 1940.

La maison et le bureau de Trotski sont restés dans l’état où ils étaient le jour du meurtre. Le jardin abrite les cendres de Trotski et de sa femme Natalia

Frida eut très probablement une aventure avec Trotsky.

 

Les exvotos populaires qu’elle collectionnait eurent une influence déterminante sur son travail, notamment dans le style de composition et les messages qu’elle inscrivit dans le bas de ses tableaux. Elle révélait ainsi que son inconscient, son essence venaient de l’art pré-hispanique, de l’art populaire et de l’imaginaire collectif. Cet attachement profond à l’identité mexicaine scelle l’attachement entre Diego Rivera et Frida Kahlo.

Pour Diego, une nourrice indienne qui se substitue à sa mère, incapable de l’élever après la perte de son frère jumeau, pour Frida, l’enseignement de son père, exilé, photographe officiel par qui elle eut la possibilité de découvrir la richesse de son pays.

 

En 1940, Frida se rend aux États-unis pour y être hospitalisée, l’état de sa colonne vertébrale s’aggrave. Diégo y est au même moment, il dira « Je l’ai revue, son orgueil est blessé mais son amour est intact »

Quand elle rentre à Mexico, elle peint une toile ou elle se trouve dans une baignoire, tous les éléments de sa vie sont là, flottant à la surface de l’eau, son pied brisé, la nature omniprésente, les États-unis, sa souffrance, ses parents protecteurs et sa robe comme une seconde peau. « Ce que l’eau m’a donné »

 

… Diego lui manque

Frida : « Je t’aime plus que ma propre peau »

…  L’inespéré se produit, Diégo lui demande à nouveau de l’épouser. Ils se remarient le 08 décembre 1940. Il dira : « Si j’aime une femme, plus je l’aime, plus j’ai envie de la faire souffrir. Frida Kahlo est seulement la plus évidente des victimes de ce méprisable trait de caractère »

En 1946 « Frida peint  » Le cerf blessé » dont le thème principal est, comme son nom l’indique, un cerf blessé de neufs flèches plantées tout le long de son corps, chiffre identique à celui des arbres morts et à celui du nombre de bois qui ornent sa tête.  La tête humaine est celle de Frida. Son visage neutre, impassible, dont la douleur ne perturbe pas les traits, prend le spectateur  à témoin. Au dessous d’elle, une branche, morte elle aussi. La scène se passe dans une clairière délimitée par des arbres au deuxième plan. En dernier plan, on aperçoit la mer paisible recouverte d’un orage.  Frida s’identifie à une proie. En bas à gauche du tableau, la mention  » Karma  » à côté de la signature de l’artiste.

… Diego Rivera a pris conscience de l’état de fragilité physique de Frida et se doit d’être à ses côtés. Ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Leur relation s’est transformée et Diego sera un bon compagnon dans cette dernière étape.

Les dernières années de la vie de Frida Kahlo sont très difficiles.

En 1950, elle subit sept interventions, dont une qui l’hospitalisera durant 9 mois. Sa jambe atteinte de polio développe une gangrène incurable, on doit l’amputer. ( tableau Autoportrait avec le Dr Farill ).   Sa douleur est atroce.

« J’ai aimé la vie intensément tant que c’était la vie, mais maintenant au nom de quoi et de qui dois-je supporter tout cela »

 

Elle décore de clochettes et colore en un rouge très voyant la longue botte qu’elle est contrainte de porter. Elle se moque d’elle-même et peint « Pies para qué los quiero si tengo alas pa’volar » « Pourquoi je veux des pieds si j’ai des ailes pour voler ». Elle ne cessera jamais d’être coquette, jusqu’au dernier moment.

En 1954, encore alitée, Mexico rend hommage à son œuvre en organisant une grande exposition. Elle arrive comme une déesse, très malade, couchée dans un lit. L’exposition a lieu autour de ce lit. Estropiée par la vie, elle parvient cependant à affirmer sa peinture, si émouvante, si personnelle. Son journal intime.

On la reconnait enfin,  elle aura l’exposition qu’elle mérite avant sa mort.

Frida Kahlo est souvent seule dans sa maison bleue, Diego Rivera partage son temps entre ses maitresses et ses commandes à l’étranger.

Frida Kahlo lui écrit : lettre à Diego Rivera

« Dans ta maison de Koyoancan, je t’attends comme je t’ai attendu 23 années durant. Essaye de rentrer le plus tôt possible car sans toi, le Mexique n’est pas le Mexique »

Elle aura au total subi une trentaine d’interventions. Son corps est très abimé.

Elle peint son ultime toile intitulée « Viva la vida ». La vie vaut malgré tout la peine d’être vécue. Elle le symbolise dans un tableau qui porte les couleurs du drapeau mexicain, verre rouge blanc.

Elle succombe le 13 juillet 1954 d’une embolie pulmonaire, délivrée de ses insupportables souffrances à l’âge de 47 ans. La veille, elle avait offert à Diego Rivera une bague pour les noces d’argent qu’ils auraient dû célébrer 17 jours plus tard. Diego s’en étonna et elle lui répondit « C’est parce que je sais que je vais bientôt te quitter, J’espère que la sortie sera joyeuse et j’espère bien ne jamais revenir »

Diego Rivera lui survit 3 ans et décède le 24 novembre 1957. Comme pour Frida, ses funérailles sont nationales, mais malgré leur souhait commun, ils ne reposent pas côte à côte.

Les cendres de Frida Kahlo sont conservées dans la chambre de nuit de sa maison bleue au fond d’une urne précolombienne, Diego Rivera repose auprès des autres héros du Mexique et d’homme illustres, au panthéon de Dolorès.

Ils ont vécu un amour dont le langage était la peinture.

 

 

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Frida Kahlo, libre et audacieuse est un modèle pour les femmes. D’une grande liberté sexuelle, elle aimait l’amour en soi, les hommes, les femmes…  Elle aimait prendre dans ses bras et qu’on la prenne dans ses bras. Les mexicains se touchent beaucoup, elle aimait ça. Elle aimait la vie, l’amour, la nature, et profitait de chaque instant présent.

La façon dont elle s’habillait et se coiffait était un hommage aux cultures populaires. Ses bijoux, ses accessoires, n’étaient pas seulement destinés à plaire à Diego. Ses corsets, nécessaires en raison des séquelles de ses accidents, lui donnaient un port souverain et participaient à la construction de sa personnalité. Elle portait tous ces vêtements issus des régions du Mexique avec beaucoup de fierté, même s’ils étaient parfois perçus comme une extravagance. La mode s’en est ensuite emparée.

Sa vie fut en soi une œuvre d’art.

Sa vie se reflète dans sa peinture, sa peinture est sa vie mais également son message révolutionnaire. Elle y exprime sans concession son amour, ses douleurs et ses convictions.

 

  1. Sous l’angle du tiers inclus :

L’histoire familiale de Frida comme sa vie amoureuse connaissent de nombreuses oppositions tant sur le plan affectif que social et culturel. La juxtaposition de ces antagonismes, leur rencontre  dans ces « entre »,  génèrent des tiers inclus dont émane la force créative. De la mosaïque très complexe des mises en tension entre ces antagonismes, jamais isolés, jamais absolutisés, découle une multitude de tiers inclus entrant eux-mêmes en un chaos d’interactions à l’origine de sa créativité et de son expressivité artistique. Noeuds de relations, d’oppositions dont la dynamique et le sens transparaissent aux variables niveaux d’intersection et d’engrenage de toutes expériences passées ou présentes, des unes pour les autres, des unes par les autres.

Antagonismes en interaction : Souffrance ~ joie, énergie ~ handicap, bonheur ~ détresse, flamme de vivre ~ dépression ; liberté ~ adversité, fragile ~ guerrière, colombe ~ éléphant, vie ~ mort, amour ~ solitude, fidélité ~ tromperie, homosexualité ~ hétérosexualité, Amérique ~ Mexique, capitalisme ~ communisme, ombre ~lumière,  machisme ~ émancipation, océan ~ terre.

 

2.1. Ses grands parents, entre terre et eau.

Frida a une double ascendance, moitié indienne du Mexique, moitié européenne.

Sous les visages de ses grands-parents paternels, Kakob Heinrich  Kahlo et Henriette née Kaufmann, liés  à l’eau, est peint l’océan. Ses grands-parents maternels, l’indien Antonio Calderón et la gachupina (femme d’origine espagnole) Isabel Gonzaléz y Gonzáleez sont eux liés à la terre.

2.2. Entre amour et mépris pour sa mère

Elle la décrit tantôt comme cruelle, tantôt comme très aimable, active et intelligente.

2.3. Entre Frida et son amie imaginaire

La fillette malade prend conscience des différences entre intérieur et extérieur, entre le monde de l’imaginaire et celui de la socialité. Elle décrit une amie idéale, imaginaire sur laquelle elle pourrait se reposer.

« Je dois avoir six ans lorsque je vis intensément une amitié imaginaire avec une petite fille, à peu près de mon âge. Sur la verrière de celle qui est alors ma chambre, sur un des premiers carreaux, je fais de la buée. Et d’un doigt je dessine une porte. Par cette porte je m’échappe en rêve, je traverse toute l’étendue visible qui me sépare d’une laiterie qui s’appelle « PINZON ». Par le O de PINZON, j’entre et descends à l’intérieur de la terre, où mon amie imaginaire m’attend toujours. Je ne garde en mémoire ni son image, ni sa couleur. Mais je sais qu’elle était gaie. Elle riait beaucoup. Elle dansait comme si elle avait été en état d’apesanteur. Je la suivais dans tous ses mouvements et lui racontais mes secrets.
… De retour à la fenêtre, je franchissais la même porte dessinée sur le carreau. Quand ? Combien de temps je restais avec elle ? Je ne sais pas. Une seconde ou des milliers d’années. J’étais heureuse. J’effaçais la porte avec la main et elle disparaissait. Je courais avec mon secret et ma joie jusqu’au fin fond du patio de ma maison, et dans mon coin au pied d’un grand cèdre, je criais et riais. Chaque fois que je me remémore cette amitié magique, elle se ranime et son écho résonne toujours plus fort au cœur de mon monde. »

2.4. Entre introversion et extraversion

Enfermée chez elle du fait de son handicap, à un âge où elle aurait dû avoir des amis, Frida était différente des autres enfants. Taquinée et laissée à l’écart, elle se replia sur elle-même, devint complètement introvertie avant de surcompenser en devenant un garçon manqué puis un « personnage »

2.5. Entre souffrance personnelle et souffrance identitaire

Dans le tableau  » Quatre habitants du Mexique« , une statue précolombienne en terre cuite représente une femme enceinte et nue, symbolisant l’héritage indien du Mexique, ainsi que l’avenir de la fillette qui doit passer par la puberté pour devenir femme. A l’image de Frida, cette statue est brisée : ses pieds ont disparu et sa tête a été recollée sur son buste après en avoir été arrachée. Frida explique qu’elle représente cette idole enceinte car morte, elle porte néanmoins la vie, paradoxe qui résume parfaitement la condition des indiens, et si elle est nue, c’est parce qu’ils ne connaissent pas la honte de la sexualité ni autres idioties de ce genre.

Le grand Judas moustachu en bleu de travail sur lequel s’entrelacent des guirlandes de fusées explosives, est le pendant masculin de la statue porteuse de vie. Il est destiné à l’autodestruction dans le bruit et la fureur, on le brûle, il explose, produisant de la couleur et de la forme.

Le grand squelette grimaçant reproduit quant à lui, les figurines que les petits mexicains aiment bercer et faire sautiller le jour des défunts. Il incarne, toujours selon Frida, la mort : très gaie, une vraie plaisanterie, et comme la statue, il se dresse dans le champ de vision de la fillette, dont il représente lui aussi l’avenir.

En retrait du squelette, se trouve l’homme de paille, monté sur un burro, il porte le chapeau et la ceinture de cartouches des bandits révolutionnaires, tels Pancho Villa, alliance de pauvreté, de fierté et de rêve. À la fois élégant et fragile, il illustre le pathétique et la fragilité de la vie au Mexique.

Frida, la fillette solitaire, assise au milieu d’une place mexicaine vide, observe impassible le monde adulte en se représentant au milieu des habitants du Mexique en papier mâché, en terre cuite, en paille, ou porteur d’une guirlande d’explosifs, comme les éphémères survivants d’une terrifiante histoire.

2.6. Entre bourgeoise et bohème

Frida est une citadine élevée dans un milieu bourgeois. La vie de bohème de luxe dans lequel elle a vécu n’a rien de commun avec celle des indiens du Mexique. Les vêtements traditionnels, les tenues paysannes qu’elle porte la rapprochent des indiens et des paysans, donc de la terre et de la nature. Ces tenues l’affranchissent des restrictions des mœurs bourgeoises et des élégants des villes.  Elles lui permettent de rejoindre sa fibre populaire, plus profondément sensuelle et plus réelle. Leur port répond également à une démarche politique dont Diego Rivera tire parti.  « Les mexicaines qui ne portent pas le costume mexicain classique n’appartiennent pas au peuple mais dépendent mentalement et émotionnellement d’une classe étrangère à laquelle elles souhaitent appartenir, en l’occurrence la grande bureaucratie nord-américaine et française »

2.7. Entre Casa Grande et Casa Chica

De retour au Mexique en 1933, Diego et Frida vécurent dans deux maisons séparées., cubiques, rose pour Diego, bleue pour Frida. Les théories architecturales de Diego se fondaient sur une conception mormone de la vie, bilatérale, objective et subjective, existant entre la casa grande et la casa chica, la grande maison étant destinée à abriter l’homme, la petite sa maîtresse.

2.8. Entre elle et son vêtement

Frida connait le pouvoir du vêtement. Dans son journal intime, elle écrit que « La tenue de Tehuana forme le portrait absent d’une seule personne, celui de son moi absent ». Cette tenue est si importante pour elle qu’elle le peint à plusieurs reprises, vide de son propre corps, il devient sa doublure, sa seconde peau.

Toutefois jamais assimilé à sa personne de manière absolue, il est très fortement identifié à elle. Même lorsqu’elle s’en défait, il retient une partie d’elle-même, dans une approche primitive, quasi animiste. Le costume permet une communication sociale, antidote de l’isolement. Dans les derniers moments de sa vie, alitée, très malade et seule, elle s’habillait toutefois tous les matins comme pour une fiesta.

Les longues heures passées à fixer son reflet devant le miroir ont dû renforcer son impression d’une double identité, sujet et objet de sa propre observation, moi ressenti de l’intérieur et moi perçu de l’extérieur. Le tableau « les deux Frida » exprime ses dualités

2.9. Diego, entre communisme et capitalisme

Malgré une vision ouvertement communiste du Mexique, les membres du parti qualifiaient Diego Rivera de peintre pour milliardaires et d’agent du gouvernement alors que les hommes du pouvoir le considéraient comme un agent de la révolution.

2.10. Entre audace et handicap

Sa capacité à traduire par la peinture la douleur et la difficulté d’être la sauvera. Elle fut souvent à la fois profondément heureuse et au sommet du malheur. Son œuvre compte environ 150 tableaux, 55 sont des autoportraits. Beaucoup d’entre eux seront peints dans cette maison où elle sera par la force des choses immobilisée de très longs mois dans sa petite chambre.Pour Frida, tout avait une signification dans ses tableaux comme dans les exvotos. Frida Kahlo est née et mourra au cœur des murs bleus de cette maison : « La casa Azura ».

Elle épouse Diego Rivera en 1929.  Ils vivront dans la maison bleue durant plus de 20 ans.

2.11. Entre Colombe et Éléphant

Ils s’appelaient la colombe et l’éléphant. Elle était petite et toute fragile. Lui était pachydermique. Il collectionnait les succès féminins malgré son physique monstrueux.

Elle en souffrait beaucoup.  Constamment trompée, elle ne s’est  néanmoins jamais laissée dévorer par l’ogre …

2.12. Entre Frida et Diego

Diego paraît gigantesque, massif, (il mesurait en réalité 1,80 m et pesait 150 kg), elle se représente menue, épouse aimante du génie, affichant une timidité mêlée de fierté. Les pieds de Diego sont solidement ancrés au sol, ceux de Frida semblent fragiles.

2.13. Entre amour et solitude

Lettre de Diego à Frida 1935 :  «  Faut-il que tu sois une vraie tête de mule pour ne pas comprendre, que les lettres, les histoires de jupons, les maitresses, les gitanes qui jouent les modèles, les assistantes de bonne volonté, les disciples intéressées par l’art de la peinture, ne sont qu’un amusement et que dans le fond toi et moi nous nous aimons tellement et que nous avons beau enchainer les aventures, les claquements de portes, les insultes et les plaintes internationales, nous nous aimerons toujours ».  Connu pour être un macho, Diego Rivera ne l’a néanmoins jamais écrasée. Elle, l’a toujours respecté.

2.14. Entre homo et hétérosexualité

Deux nus dans la forêt fait apparaitre la relation de deux femmes, hors du temps de l’espace et des conventions. L’une à la peau mate, l’autre à la peau claire, représentant probablement Frida. On retrouve cette image en bas à droite du tableau « Ce que l’eau m’a donné »

2.15. Entre souffrance et joie de vivre

Son destin aurait pu la laisser une vie entière alitée et la rendre amère, mais elle sut transformer sa douleur en œuvre d’art. Ses autoportraits ne reflétaient pas la femme joyeuse, et pleine de vie qu’elle était. Elle détestait parler de sa douleur. Elle se persuada graduellement que la souffrance comme la mort était inévitable et que si chacun porte le fardeau de son destin, chacun doit aussi en attendre une certaine forme de salut. Elle se comportait toujours en femme heureuse.

2.16. Entre la vie et la mort

Frida réalise le portrait de Luther Burbank, horticulteur californien créateur de fruits et légumes hybrides. Elle le transforme en hybride mi-homme, mi arbre. Il est en terre, la plante n’y est pas. La partie enterrée de l’homme arbre, dont les racines se mêlent aux ossements du squelette, a les deux pieds sous forme de tronc, dans la tombe, illustrant la fertilisation de la vie par la mort.

Le va et vient entre les morts et les vivants est très présent au Mexique, comme d’ailleurs ce rire cruel de toutes les choses terribles pouvant advenir.

Ainsi, le crâne mexicain ( Calavera) est associé non pas à la mort, comme dans la plupart des pays, mais à la vie. Le mettre en avant permet de rendre hommage à ceux qui ont trouvé la mort. Le crâne mexicain est associé à un événement particulier : le Jour des Morts, ou Dia de los Muertos. Cette fête, dédiée à la déesse aztèque Mictecacihuatl ,  est toujours célébrée au Mexique. Elle symbolise le renouvellement et l’acceptation de la mort comme faisant partie de la vie. Les Mexicains se déguisent, font la fête et font des offrandes pour leurs morts.

Le crâne mexicain ( Calavera) n’est pas un crâne classique, il est stylisé et doté d’ornements, de dessins et de couleurs. Associé à la vie, il n’a rien d’un objet lugubre.

Frida possède cette gaité, cette ironie, cette désinvolture face aux choses les plus graves.

 

 

2.17. Entre infertilité et créativité artistique

Elle se montre nue, aux différentes étapes de la grossesse. Sur sa jambe droite, s’enroule une veine qui la relie à un fœtus mâle. Sur son ventre, un embryon. L’hémorragie, témoin de l’avortement, ruisselle sur la face interne de la jambe gauche, et nourrit une terre présentée entre cimetière et jardin, illustrant à la fois la stérilité de Frida et la fertilité du sol où les plantes dessinées prennent les formes des yeux, des mains et des organes génitaux masculins.

Une moitié du corps est dans l’ombre, l’autre dans la lumière. Du côté ombre, une lune en larmes et un troisième bras tenant une palette signifiant le transfert à venir de de fertilité humaine vers la créativité artistique. Aucune des quatre grossesses qu’elle a présentées ne fut menée à terme. Mais Frida s’accrochait trop à la vie, et sa résistance trop intense pour succomber au malheur.

 

 

2.18. Entre mère et enfant

Dans  » Ma nourrice et moi «  Frida est une enfant qui tête le sein,  semblable à un végétal de la mère – terre, dans Racines, c’est elle qui nourrit la nature en donnant naissance à une plante grimpante.

 

 

 

 

Extrait du journal de Frida : (parlant de Diego). « Je suis l’embryon, le germe, la première cellule qui -potentiellement – l’a engendré, je suis lui depuis les plus primitives… et les plus anciennes des cellules, qui avec le « temps » sont devenues lui ». Puis elle avoue : « À chaque instant, il est mon enfant, mon nouveau-né, au moindre instant, quotidien, de moi-même » Puis dans son portrait de Diego : » « Les femmes ( …) parmi moi – voudraient toujours le tenir dans leur bras comme un nouveau-né. »

2.19. Entre homme et femme

La dualité homme ~ femme se retrouve dans la présence simultanée du soleil et de la lune  dans la figure divisée du portrait. Illustrer ce clivage en coupant le visage dans le sens de la hauteur était présent dans l’art pré-colombien.

 Frida portait en broche une tête de Tlatilco, déesse mère de fécondité précolombienne, formée de deux visages réunis par une seule ligne de sourcils ou des représentations mexicaines de la sainte Trinité sous l’aspect de trois têtes barbues fondues en une seule. Les moitiés de visage de Frida et de Diego ( ci-contre) se différencient par leur taille et leur structure. Elles ne coïncident pas alors qu’elles sont jointes. Malgré l’instabilité explosive de leur mariage, Frida emprisonne leur tête commune dans l’arbre collier dont les branches sont nues, infertiles et épineuses.

2.20. Entre ombre et lumière

Lettre de Frida à Diego :  » Mon Diego, miroir de la nuit…. Toi tout entier dans l’espace plein de sons- dans l’ombre et dans la lumière. Tu t’appelleras AUXOCHROME celui qui capte la couleur, moi CHROMOPHORE -celle qui donne la couleur. Tu es toutes les combinaisons de nombres, la vie. Mon désir est de comprendre la ligne, la forme, l’ombre, le mouvement. Tu remplis et je reçois.Ta parole parcourt tout l’espace et parvient jusqu’à mes cellules qui sont mes astres et va jusqu’aux tiennes qui sont ma lumière »

Frida Kahlo en femme éperdument amoureuse, en amante attentionnée, en épouse démesurément fière de l’homme de sa vie, accepte de se fondre dans son ombre. Elle le considère dépositaire d’une mission titanesque. (tableau ci-contre: Frida et Diego, 1931 où  c’est lui, imposant, qui tient la palette. Il est le peintre) . Dans ce tableau, elle lui tient la main sans la tenir, ( Diego Rivera avait à ce moment une relation extra conjugale). Il détourne légèrement la tête, elle incline modérément la sienne vers lui et se représente surplombée d’un oiseau portant un message « Ici vous pouvez nous voir moi Frida Kahlo avec mon cher mari Diego Rivera. J’ai peint cette toile dans la lumineuse ville de San Francisco, Californie, pour notre compagnon M. Albert Bender, et c’était au mois d’avril de l’année 1931 »

… Ils se sont mutuellement aidés à grandir. Diego Rivera utilise la symbolique mexicaine des couleurs alors que Frida Kahlo étudie le sens même des couleurs. (elle l’explique dans un poème en prose intégré à son journal intime.

 

Frida Kahlo a subi une première fausse couche à San Francisco, elle en subit une seconde à Détroit.

Elle reflète tout ce qu’une femme peut ressentir dans sa vie de femme, de l’amour passionnel et fusionnel aux tumultes du couple, du cauchemar de la perte d’un enfant au désir d’en avoir un. etc…

 

Si Frida est peintre de l’intériorité, de la tradition, Diego Rivera lui, est peintre de l’extérieur et adepte des avancées technologiques. Il insiste sur la manière dont l’homme fait avancer la technologie et celle dont la technologie fait avancer l’homme.

Il intègre toujours lui aussi une réflexion sur le passé, incorporant par exemple la figure de Coatlicue, déesse de la vie et de la mort comme une partie de la machinerie. Il la transforme complètement mais la composition est la même.

 

En même temps qu’un vrai discours sur l’évolution technologique, il représente la terre et sa richesse comme une voix qui parle, palpite et fait surgir les mains des travailleurs.(en surplomb de la fresque)

 

Très imprégnée du symbolisme de la culture mexicaine, Frida peint des colibris, signe d’espoir et de bonheur, des singes, signe de séduction, de communication, de créativité mais aussi de désillusion face au côté obscur de l’homme, et des fleurs luxuriantes, que l’on trouve notamment dans l’un de ses autoportraits les plus célèbres : « Autoportrait au collier d’épines et colibri ». Dans cette œuvre, elle souhaitait montrer qu’elle s’était relevée et qu’elle avait commencé une nouvelle vie.

2.21. Entre elle-même et les aléas de sa vie : elle peint deux catégories d’autoportraits :

1. Les autoportraits classiques où elle se présente en premier plan et se décore elle-même comme un élément symbolique chargé de sens.

2.  L’autoportrait qui traite des moments cruciaux de sa vie. (autoportrait avec des singes ~ autoportrait avec des pics)

 

 

Dans les autoportraits classiques, il y a des caractéristiques récurrentes : fonds sombres, nuages très denses, palette très intense dans les blancs et dans les gris pour faire ressortir le visage au premier plan, toujours orné d’éléments traditionnels mexicains très colorés qui le mettent en valeur. Chaque détail a son importance pour la compréhension du tableau final.

Il y a dans l’histoire de la peinture peu de vrais portraits, de gens qui, peignant un visage vous montrent violemment ce qu’il y a derrière. C’est un travail de pénétration psychologique. Chez Frida, rien de ce qui pourrait être marqué ne s’y dérobe, tout est là. On voit l’un dans l’être et sa présence touche  les fibres les plus profondes (sans espoir tableau)

 

Elle a peint des tableaux comme la fausse couche ou la césarienne, qui choquaient beaucoup. (tableau ci-contre: Hôpital Henry Ford ). Elle peint une fausse couche très violente. Elle se représente couchée sur un lit,  tous ses organes sortant d’elle.  Comme toujours chez FK, elle re-compose les éléments fragmentés,  ce qui est défait en elle par la vie,  les accidents, par l’amour.

 

 

 

2.22. Entre Mexique et États-unis

Après « Vitrine de Détroit » ( ci-contre)  dans lequel elle peint une parodie affectueuse des mœurs et des goûts nord-américains, elle est beaucoup plus critique dans  « Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis« .

Si elle porte la tenue conventionnelle exigée dans les soirées de Grosse Pointe (longue robe et mitaines de dentelle), elle tient de façon provocante une cigarette dans la main droite et un fanion au couleurs du Mexique dans la main gauche. Elle juxtapose le soleil et la lune du côté mexicain, exprime l’unité des forces cosmiques et terrestres, l’ombre et la lumière, dualité majeure de la culture mexicaine, la vie et la mort, la clarté et l’obscurité, le jour et la nuit, le passé et le présent, le masculin et le féminin. A droite, le drapeau américain apparaît au milieu d’un nuage de fumées industrielles dans un monde moderne de gratte-ciels, d’usines en briques, de machines…

 

     Dans le tableau mural  « Pan amercan unité »  oeuvre développée en dix panneaux, Diego Rivera retrace lui l’union des pays américains contre la montée du fascisme en Europe. Frida Kahlo y tient une place majeure, en bas au centre, y est représentée debout, de face, en habit traditionnel, près d’un chevalet, un pinceau dans la main droite, une palette de l’autre. Diego est assis de ¾ derrière elle.

Mais elle n’a pas qu’à remettre en ordre tout ce qu’elle a vécu dans sa chair, Diego la fuit, sans doute tétanisé par la souffrance de Frida, mais aussi humilité en tant qu’artiste après avoir été porté aux nues par les américains.

En 1933, il a représenté une fresque au Rockefeller centre de New York avec un portrait de Lénine ( L’homme à la croisée des chemins)  à la place d’un représentant syndical. S’y trouvent également Trotsky, Marx et de nombreux symboles du communisme, en plein cœur du monde capitaliste. Le mécène demande de les retirer, Diego refuse. La fresque est détruite, le scandale est énorme. Beaucoup renoncent aux commandes, le couple retourne s’installer à Mexico.  Une photographie de la fresque lui permettra de la reproduire au musée des beaux-arts de Mexico.

Il acceptera néanmoins en 1929 une commande de Dwight W. Morrow, diplomate et capitaliste nord-américain ayant obtenu de modifier la législation mexicaine sur le pétrole afin de favoriser les investisseurs yankees. Cette commande au peintre communiste était une fresque anti -impérialiste décrivant les atrocités commises par les conquérants espagnols…

Dans « Ma robe est suspendue là-bas », Frida écrit « J’ai peint ceci à New-York à l’époque où Diego peignait la fresque du centre Rockefeller ». Au milieu d’un Manhattan à la fois capitaliste et centre de misère et de révolte, apparaît son costume traditionnel de Tehuana vide de son propre corps, signifiant qu’elle est ailleurs, dénonçant par ailleurs le goût nord-américain pour les valeurs de l’argent et du paraître. Elle s’opposait à Diego qui considérait le pont George Washington, un trimoteur, ou une automobile comme idéal de beauté nord-américaine. S’agissant de la beauté humaine, Diego regrettait de n’avoir vue Mae West, – la plus merveilleuse machine à vivre -, qu’à l’écran, la présentant porteuse de fausses valeurs (vanité, luxure, intérêt, séduction éphémère…)

2.23. Entre fidélité et infidélité

Il fait construire une maison avec une passerelle permettant de relier les deux maisons, mains témoignant de leur séparation. Frida connait l’infidélité de son mari … mais les amours de côté ne pourraient altérer ou fissurer la passion qu’ils avaient l’un pour l’autre.

2.24. Entre réalité et fiction

     Quelques petites coupures illustre ce fait divers : Une femme assassinée, criblée de coups de couteau par un ivrogne qui, face à ses juges, se défend par cette phrase « Mais je ne lui ai fait que quelques petites coupures ». Le cadre lui-même est couvert de tâches écarlates grandeur nature, impactant le spectateur et assurant une transition entre réalité et fiction. Dans ce tableau, Frida projette sa propre douleur, sa propre expérience sur une femme frappée de blessures physiques en substitut de ses blessures morales. La poétique du sang imprègne bon nombre d’éléments de la culture latino-américaine.

2.25. Entre réalisme et surréalisme

Si ses créations érotiques refoulées et les représentations hybrides ( mi-bête, mi-homme, mi-plante, les corps déchirés etc… ont souvent fait classer Frida parmi les surréalistes, son propre point de vue diffère. Son œuvre n’est pas l’émanation d’une culture européenne désabusée tentant d’échapper aux limitations de la logique en plongeant dans les profondeurs de l’inconscient mais au contraire le pur produit de sa vie, de son tempérament et de son milieu. Elle intègre la réalité sans atteindre un autre univers. Elle peint la sexualité, l’infertilité, la souffrance, la représentation métaphorique est très réaliste.

Dans » Arbre de l’espérance » Frida se montre dans deux positions différentes juxtaposées, il ne s’agit en aucun cas d’une composition irrationnelle surréaliste de la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection. Il s’agit d’une patiente anesthésiée, étendue, en attente d’une intervention que surveille une autre moitié d’elle-même, volontaire et pleine d’espoir. Cette franchise s’oppose aux louvoiements ou ellipses des surréalistes. On peut dire la même chose d’une œuvre comme « Ce que l’eau m’a donné » où chacun des éléments est étroitement associé à un évènement vécu, un sentiment exprimé. Chaque élément est une représentation réelle de son rêve. Frida considère l’ambiguïté comme un jeu, un pied de nez à la douleur et à la mort. L’œuvre de Frida n’est pas une errance dans un univers onirique mais la représentation à vif de ce qu’elle vit, comme une autobiographie.

« On pensait que j’étais surréaliste, mais ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais peint mes rêves. J’ai peint ma réalité »

2.26. Entre femme délaissée et femme forte

Mais de retour au Mexique, elle y retrouve sa douleur et la déchirure laissée par son amour perdu. Elle l’immortalise dans l’une de ses plus belles toiles intitulée « Les deux Frida » . Frida l’épouse et Frida la femme délaissée, mais aussi Frida la fragile et Frida la guerrière.

 » Tu mérites un amour décoiffant, qui te pousse à te lever rapidement le matin, et qui éloigne tous ces démons qui ne te laissent pas dormir.

Tu mérites un amour qui te fasse te sentir en sécurité, capable de décrocher la lune lors qu’il marche à tes côtés, qui pense que tes bras sont parfaits pour sa peau.

Tu mérites un amour qui veuille danser avec toi, qui trouve le paradis chaque fois qu’il regarde dans tes yeux, qui ne s’ennuie jamais de lire tes expressions.

Tu mérites un amour qui t’écoute quand tu chantes, qui te soutient  lorsque tu es ridicule, qui respecte ta liberté, qui t’accompagne dans ton vol, qui n’a pas peur de tomber.

Tu mérites un amour qui balayerait les mensonges et t’apporterait le rêve, le café et la poésie. »

2.27. Entre Belle et rebelle: Un destin truffé de larmes et une passion dévorante pour l’art

À la tragédie de Diego qui perd son frère jumeau à l’âge de 2 ans, répond celle de Frida, atteinte de polio à l’âge de 6 ans, qui survit miraculeusement à un accident à l’âge de 18 ans mais en restera à jamais gravement  estropiée.

Extrait de son journal intime :

  • Moi je dis que Frida Kahlo être humain, a dû prendre conscience par les faits de la vie de la pleine existence de son corps
  • Je dis que Frida Kahlo femme, a ouvert son corps et exprimé ce qu’elle y sentait. Ce qu’elle ressentait a été tellement violent que si elle n’avait pas essayé de le cerner, de l’identifier, de l’ordonner ensuite, je dis qu’elle aurait pu ensuite devenir folle.

Dans sa vie tumultueuse et compliquée, Frida sut transcender sa douleur physique et morale en œuvre d’art pleine de couleur et de vie.

2.27. Entre possession et manque

 

Diego commencement

Diego constructeur

Diego mon enfant

Diego mon fiancé

Diego peintre

Diego mon amant

Diego mon ami

Diego ma mère

Diego mon père

Diego mon fils

Diego = moi =

Diego Univers

Diversité dans l’Unité

Pourquoi je l’appelle mon Diego ? Jamais il n’a été ni ne sera à moi. Il s’appartient à lui-même.

One Comment

  1. Claude Hagège 1 mai 2020 at 17 h 56 min

    Excellent article, très émouvant, très bien informé, cher Claude! Je connaissais et appréciais l’œuvre de Frida Kahlo depuis longtemps, et j’ai même visité la maison qu’elle partageait à Mexico avec Diego Rivera, dont j’ai vu les magnifiques fresques de l’histoire tragique du Mexique, ornant les murs de l’immense place de la Constitution au centre de Mexico. Grand bravo pour cet excellent site « Tiers inclus » et tous ces articles pleins de richesses et d’émotions. Amicalement Claude Hagège

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