///Salvador Dali. Le torero hallucinogène : Nouvelle perception, nouvelle interprétation

Salvador Dali. Le torero hallucinogène : Nouvelle perception, nouvelle interprétation

By | 2023-01-04T19:38:11+01:00 20 décembre 2022|Art, Peinture|0 Comments

Salvador Dali 

« Le torero hallucinogène »

Nous proposons une autre interprétation de ce chef d’œuvre

  

Thème du tiers inclus : Geste suprême. Geste ultime. Passage de vie à trépas. Ce qui n’est pas vu dans les motifs et détails du tableau mais existe dans la relation entre ces motifs et ces détails. L’image dans le tapis au sens d’Henry James.

Images en interaction : Mort ~ Intemporalité.  Mort ~ Naissance, Corps inanimé d’une statue amputée dont on ignore la position des bras ~ geste légendaire du torero, Gala ~ Venus, Venus ~ Manolete, Venus ~ Enfant, Gala ~ Enfant, Manolete ~ Dali, Mort ~ Eternité

Le geste du célèbre torero Manolete en relation avec l’amputation des bras de la Venus sera au centre de notre interprétation. C’est dans l’écart entre le geste de Manolete, nommé Manoletina et l’absence de bras de Venus que se situe le message secret du tableau

Sommaire

  1. Histoire du tableau
  2. Description des éléments du tableau
  3. Nouvelle interprétation
  4. Une histoire de relations

 

 

1.   Histoire du tableau

Le torero hallucinogène, œuvre majeure, est une huile sur toile de 12 m2, peinte en 1969-1970 par Salvador Dali, (1904 -1989). Elle est exposée au musée Salvador Dali de Saint Petersburg, en Floride, Etats-Unis.

La scène évoque la tauromachie, les tons rouge et jaune font allusion aux couleurs du drapeau catalan.

Selon Dali, c’est dans le dessin représentant la Vénus de Milo sur une boite de crayons de la marque Vénus Esterbrook, qu’il découvrit l’image du torero, liée à celle de la Vénus de Milo. Ni Gala, ni aucune personne de son entourage ne parvenaient à visualiser la figure, pourtant évidente pour le peintre.

 

 

 

2.  Description des éléments

Une arène

Le sommet arrondi de l’arène délimite le haut du tableau. Douze gradins sont limités par un mur d’arcades, régulièrement disposées. On ne retrouve aucune signalisation caractéristique à l’intérieur du ruedo, (la piste), ni callejon, (voie de circulation autour de la piste), ni burladero. (abri de planches posé en avant des barrières qui entourent le ruedo). L’impression est celle d’un amphithéâtre antique. Une ombre arrondie divise la piste, correspondant aux traditionnelles zones « Sol y Ombre » des arènes a la cinco de la tarde, heure de la  corrida. L’ombre délimite le bord gauche de la montera du torero.

Personne n’occupe la place d’honneur du tableau dans la loge présidentielle. La présidence se situe ailleurs, là où se trouve le visage auréolé, lumineux, phosphorescent de Gala, (Kazan, Russie 1894 – Portlligat, Girona, 1982), sur les gradins. Gala est sa muse, mythe et icône vivante, Son aspect sévère, voire réprobateur a parfois été interprété par l’aversion que Gala portait à la tauromachie.

À cette apparition du visage de Gala, intemporel, répond la mort du torero, lui aussi lumineux, et celle du taureau dont la tête abattue forme les falaises du cap de Creus.

De l’autre côté des tribunes, à droite, en résonance du visage de Gala, se situe celui de la Vénus de droite au drapé rouge, porteuse en son sein du visage incrusté de Manolete, celui qui est le plus souvent perçu, comme nous le verrons plus loin, comme agonisant au moment du coup de corne, différent de celui de l’autre Vénus (au drapé blanc), situé à sa gauche,  à l’expression plus sereine et résignée.

 

Deux anges

Deux anges entourent l’arcade centrale de l’arène. Dali en a souvent peint, notamment dans l’ange de Port Lligat (1952) ou Paysage de Port Lligat (1959)

 

 

 

Le personnage aux deux bras levés

Le personnage jaune aux deux bras levés semble lancer en l’air une forme double arrondie. Ses jambes sont dans le prolongement des bustes des Vénus qui le précèdent. Le geste est celui du torero. Cette passe l’a rendu célèbre : la Manoletina. Le buste, la tête, les bras et les mains sont recouverts de mouches, illustrant la mort. Le geste semble dirigé vers le visage lumineux de Gala dans les tribunes.

 

La Vénus de Milo

La représentation de la Vénus, avec ses ombres très découpées, est à la base de l’idée du tableau, les deux grandes figures principales formant l’essentiel des visages cachés du torero.

Le corps de la seconde Vénus (au centre) révèle le visage et le torse du toréador. Son sein gauche représente son nez, son visage se transforme en l’un de ses yeux. La zone blanche dévoile une larme qui glisse de son œil, confondu avec celui de Manolete.

La Vénus de Milo, représentée vingt-huit fois est omniprésente. Son buste entier apparaît vingt et une fois dont quatre fois de dos. Un buste apparait une fois sans tête. Sept têtes sont isolées. Un drapé situé à droite évoque les rochers du Cap de Creus.

 

La Vénus de Milo était déjà apparue chez Dali en 1936 dans un détournement surréaliste réalisé avec son ami Marcel Duchamp : La Vénus de Milo aux tiroirs (1936).

Pour Dali, les tiroirs représentent les pensées cachées et l’inconscient. » « En contenant tous ces tiroirs, cela suppose que depuis la Grèce immortelle jusqu’à nos jours, des évènements très importants ont eu lieu dans l’histoire, notamment l’invention du christianisme qui suppose le monde intérieur, le remords de conscience jusqu’à l’éclosion de la psychanalyse de Sigmund Freud ».

« Avec les tiroirs, il est désormais possible de regarder l’âme de la Vénus de Milo, à travers un corps ».

 

L’image du taureau mort

Des formes multicolores, émerge la tête d’un taureau mourant dégoulinant de sang et bavant.

On reconnait l’ultime moment de la « faena » où le taureau s’écroule, la tête encore droite, dans une attitude caractéristique. Les banderilles pendent sur le côté droit de l’animal. Elles sont qualifiées de géologiques car elles évoquent des éboulements des rochers du Cap de Creus, paysage qu’il avait déjà reproduit dans Le concile oeucuménique. Une mouche verte auréolée d’or forme l’œil gauche du taureau.

 

Le taureau meurt, le taureau est mort, Manolete est en train de mourir, le taureau l’a tué et Manolete a tué le taureau. Le combat culmine dans une estocade mortelle ici réciproque.

 

Un carré de disques colorés rayonne sur le dos de l’animal.

Le centre semble indiquer l’endroit précis où l’épée du matador a provoqué la mort. La structure est globalement identique à l’image constituant Galathée aux sphères de 1952.

Mais le centre est aussi la pointe de la corne gauche du taureau, celle qui a causé la mort de Manolete. Deux vénus en filigrane, porteuses du visage de Manolete entourent le centre de ce tunnel qui devient ainsi le lieu d’hommage de l’instant de la mort du taureau et celle de Manolete.

 

 

Le petit garçon au cerceau

En bas à droite, un petit garçon au cerceau en habit marin contemple la scène. Il est la réplique du même petit garçon qui regarde sans émotion apparente l’horrible figure du Monstre du sex-appeal de 1934.

Il s’agit de Salvador Dali lui-même. L’enfant était déjà présent dès les tous premiers croquis préparatoires du tableau alors qu’il n’y avait alors, outre le visage du torero, que la Vénus de Milo et la figure aux deux mains en l’air sur la gauche. L’enfant est donc une figure essentielle dans la création de l’œuvre.

Dali eut un frère ainé nommé comme lui Salvador (et comme leur père) mais ils ne se sont jamais connus. Salvador Dali (l’aîné) est mort à l’âge de deux ans en 1903. Sa mère est tombée enceinte quelques jours plus tard, et Salvador Dali (le second, celui que l’on connait) est né en 1904. Après avoir découvert l’existence de ce grand frère, Dali a toujours vécu dans l’idée qu’il était une sorte de double de son aîné, qui serait « un premier essai de lui-même ». De fait, il était effrayé par la tombe de son frère. Image obsédante pour Salvador Dali, de son frère mort avant sa naissance, et dont il porte le prénom.

« Mon frère était mort à sept ans d’une méningite trois ans avant ma naissance ; cette mort plongea mon père et ma mère dans un immense désespoir qui ne trouve de consolation qu’à mon arrivée au monde. Je ressemblais à mon frère comme deux gouttes d’eau, c’est-à-dire nous avions des reflets différents : comme moi il avait cette morphologie faciale inconfondable des génies. Il donnait des preuves d’une précocité inquiétante mais son regard était voilé par ce genre de mélancolie des intelligences « insurmontables ». Moi au contraire, j’étais beaucoup moins intelligent mais par contre je reflétais tout, j’allais devenir par excellence le prototype du « pervers » polymorphe phénoménalement retardé, puisque je conservais intactes toutes les réminiscences des paradis endogènes du nourrisson ; je m’agrippais au plaisir avec un acharnement égoïste sans bornes et à la moindre contrariété, je devenais dangereux. Un soir j’ai griffé brutalement avec une épingle à nourrice la joue de ma nourrice que j’adorais, seulement parce que la boutique où elle m’amena acheter des oignons an sucre que je réclamais en hurlant était fermée. J’étais donc viable, mon frère fut probablement un premier essai de moi-même, conçu trop dans l’absolu. »

 

Qu’observe l’enfant du tableau : les mouches, le torero halluciné avec sa larme, sa toque, sa cravate et son épaulette ?  Il regarde un monde confus, bigarré, chaotique, hallucinogène.

Au premier plan deux statues, qui vers le centre du tableau, tournent et se changent en apollons ou jeunes gens, dont le dos est creusé, tel celui de Llucia dans le Sevrage du meuble aliment.

Llucia cette nourrice aimée représentée dans la position séculaire des vieilles femmes réparant les filets de pêche sur les plages de Port Lligat. Métaphore du sevrage, il associe la table de nuit et le biberon à sa nurse. Dans ce tableau, ils les sèvrent hors du corps de Llucia, les meubles se casent dans un trou rectangulaire creusé dans le dos de la femme. Le vide créé  rend nécessaire l’utilisation d’une béquille, symbolisant la mort ou l’impuissance.

L’enfant voit également les Vénus dont certaines, phosphènes, notamment celle qui est située le plus à  gauche, répondent à l’image de la mort sus-jacente.

Une myriade de mouches

Une myriade de mouches couvre plusieurs parties du tableau, en haut à droite, à gauche et en bas à droite et l’intérieur de la silhouette aux bras levés. Les mouches illustrent la chaleur et la mort. Certaines mouches (en bas à gauche) sont représentées avec un parfait réalisme. Il s’agit de Lucilia sericata ou mouche verte dont les larves pullulent dans les cadavres. D’autres mouches sont schématisées par un rond noir et deux ailes. Dali adorait les mouches de Portlligat, il les considérait comme « les fées de la Méditerranée ».

 

Les autres disques

Les autres disques ou boules sans ailes, parfaitement alignées et quadrillées sont-ils aussi des mouches ou des atomes ? D’autres nappes de boules géométriquement disposées se retrouvent chez Dali : dans Galatée aux sphères (1952), dans le Portrait de mon frère mort (1963) où les points forment la trame d’impressions d’un portrait de son éternel double. On retrouve plus tard les boules alignées dans l’Harmonie des sphères (1978) ou Jaso portant la toison d’or (1981)

 

Le Buste de Voltaire.

Dans le grand drapé rouge de la plus grande Vénus de Milo, ( à droite sur le tableau), apparait le visage de Voltaire, celui de la sculpture de Jean-Antoine Houdon (1795) représentant la philosophe assis. Le visage est formé par la silhouette d’un homme et d’une femme en habit du XVII ème hollandais et un troisième personnage de dos, à droite. Les deux personnages vêtues de noir et blanc sous l’arcade constituent le visage de Voltaire !

Cette représentation serait-elle en rapport avec le passé amoureux de Voltaire ? : En 1713, le futur Voltaire est envoyé  en Hollande  par son père afin de lui mettre « un peu de plomb dans la cervelle ». C’était sans compter son ardente jeunesse  et sa rencontre avec Olympe du Noyer. Les obstacles mis à la relation entre les deux jeunes gens furent l’occasion d’échanges épistolaires passionnés. Alors qu’il était sommé de ne plus la revoir, Voltaire organisa une rencontre en lui faisant remettre un paquet de vêtements lui permettant de se déguiser en homme. Dans sa lettre  du 4 décembre 1713, il lui écrit : « Je ne sais si je dois vous appeler Monsieur ou Mademoiselle… »

Leurs visages dessinent les yeux du philosophe, et leurs collerettes blanches, ses pommettes. Leur image est plus facilement  visible dans le tableau reproduit ci-dessous.

Pour certains analystes, Voltaire est l’incarnation parfaite de la pensée rationnelle, une pensée sans place pour la subjectivité, le rêve, l’inconscient …,  l’exact opposé du courant surréaliste dans lequel s’inscrit Dali. Pour lui, être soumis au rationnel est une forme d’esclavage. Il aurait glissé par ironie l’image du philosophe au sein d’une composition bizarre, où ce qu’il représente est loin d’être rationnel !

Dali: « L’illustre Monsieur Voltaire possédait un genre particulier de pensées qui fut le plus fin, le plus rationnel, le plus stérile et le plus erroné, non seulement en France, mais au monde. Voltaire ne croyait ni dans les anges, ni dans les archanges, ni à l’alchimie et n’aurait pas cru à la valeur des portes de métro 1900 de Paris… »

L’image apparait une première fois dans le Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire, puis dans la Disparition du buste de Voltaire (1941), Résurrection de la Chair (1945).

 

Une autre silhouette animale

Une autre image aussi traitée en grisaille au centre du bas du tableau reste énigmatique. On croit reconnaitre une silhouette animale.

 

La petite crique d’eau bleue

La mare de sang sortant des flancs du taureau agonisant se transforme en une baie abritée. Le taureau tué s’élève lentement pour devenir un paysage de Figueras, ville natale de Dali.

La petite crique d’eau bleue est aisément identifiable avec sa petite barque de pêcheur : c’est l’inévitable crique de Portlligat, centre de la vie du peintre, incessamment reproduite.

Une baigneuse en bikini, se laisse bercer. Vénus baigneuse ou réalité ?

 

 

 

Un galion en transparence.  La voile porte le G de Gala

 

Trois formes sombres allongées

Trois formes sombres allongées semblent représenter les ombres des trois Vénus alignées en bas. Il s’agit en réalité de la silhouette voutée du personnage féminin de L’Angélus de Jean-François Millet, autre référence majeure de Dali, femme récitant l’angélus, prière rappelant la salutation à  Marie lors de l’Annonciation, annonce de sa maternité divine.

 

Deux roses

Deux roses : l’une parfaite, d’un strict académisme flotte près de la tête de Voltaire sur le drapé de la plus grande Vénus, l’autre, à droite et plus en arrière, plus sophistiquée, apparait avec sa tige. Son ombre se projette sur les rochers du paysage. Elles rappellent la grande Rose méditative (1958) et la Madone à la rose mystique de 1963.

 

 

Plusieurs figures en bas à gauche

Le coin en bas à gauche combine plusieurs figures : Il s’agit d’une copie de la «Nature morte sur une chaise » de Juan Gris. Le pichet qui la compose a été respecté mais ses éléments cubistes sont intégrés à deux torses de Vénus ajoutés par Dali, dont le supérieur est décapité.

 

Croissant de lune

À gauche, une lune fine dans son dernier quartier dans un paysage vague et lointain. On retrouve cette image dans le tableau Portrait de la Grand-mère Ana cousant. La lune est associée aux Vénus de dos à la tête ambiguë, s’éloignant en perspective, diminuant d’intensité, de taille et de coloris dans une tonalité nostalgique, raison probable de la représentation de la lune dans son dernier quartier.

 

La figure principale du torero

La figure du torero révèle une expression sereine, résignée. Si la bouche, le nez, la ligne du menton sont visibles, les yeux nous échappent, que regardent-ils ? L’œil droit est formé d’une tâche blanche accolée à une pupille noire formée par la joue droite de la Vénus, d’où coule une larme irisée. L’œil gauche se distingue dans l’ombre, entre le bras et la poitrine de la plus grande Vénus. L’arrondi clair de l’arène forme  la montera,  les mouches de Saint Narciso disposées en lignes droites parallèles, forment le chapeau rond typique du toréador

L’ombre sous le nez est l’ombre du sein gauche de la Vénus centrale. La bouche se situe sur l’abdomen. Le flanc droit de la grande Vénus de droite forme le bord de la pommette de la joue gauche du torero. La chemise blanche est formée par les drapés des deux Vénus centrales, l’ombre verte représente la cravate. Un petit bouton peint avec une grande précision ferme la chemise sous le menton du torero. « Ce bouton, disait Dali, est inspiré de celui de la braguette de Matisse, illustre peintre d’algues. C’est le bouton des braguettes de la bourgeoisie française qui a toujours oublié de les boutonner »

Certains analystes (Luis Romero) voient dans le visage de droite celui du torero agonisant au moment du coup de corne. À l’expression sereine et résignée, succède la grimace provoquée par la douleur et l’imminence de la mort de Manolete dans un drapé rouge, couleur de sang.

 

 

Deux paires de sphères

Ces deux paires de sphères ou de cerises que Dali qualifie de stéréoscopiques flottent près de la cravate émanant du col du torero et de ce bouton. L’une bleu et rouge ( en haut), l’autre rouge et noir (en bas). Le corps du taureau mort mime les chatoiements de la veste de l’habit de lumière tu torero. (La chaquetilla)

 

Le visage grave, triste, émacié est celui de Manolete, célèbre matador espagnol des années 40, tué par le taureau Islero, le 29 août 1947, dans les arènes de Linares.

 

3. Autre perception, nouvelle interprétation

Classiquement, la mort est omniprésente dans ce tableau dont elle est le thème principal : mort et sang du taureau dans l’arène, mort et larme du toréro, hommage au frère mort, anges de la mort, mouches cadavériques, femme et l’angélus dont Dali était persuadé qu’elle priait pour son fils mort. Mais cette mort est aussi intimement liée à la naissance, voire à la résurrection, Dali semble faire allusion à la résurrection de son frère homonyme mort avant lui.

Dans la partie centrale du tableau, la Venus est présentée au total six fois : deux fois dans sa position originelle puis quatre fois de dos. Entre la quatrième et la cinquième, apparait en couleur jaune, le torero en position de manoletina, cette passe que Manolete a inventée et popularisée au point que son nom y est resté attaché. Il est ici représenté au milieu de la rotation de la Vénus elle-même, comme si le sublime de cette beauté antique se confondait avec celui du geste créé, et que l’absence de bras de Vénus « s’allégorisait » dans le sublime du geste créé par Manolete, geste solaire, rayonnant comme en témoigne la couleur jaune, couleur que l’on retrouve d’ailleurs autour du visage de Gala.

…  Comme un geste sublimé, fantôme de l’amputation des membres de la Vénus en harmonie avec son visage.

Ce geste fantôme est sublimé dans la mort (illustrée par la présence des mouches), qu’a rencontrée Manolete au cours de sa rencontre fatale avec le taureau Islero qui l’embrocha au niveau de l’artère fémorale le 28 août 1947 dans les arènes de Linéras.

Ces concomitances symboliques relationnelles

– Rotation de Vénus ~ Figure rotative d’esquive de la Manoletina

– Amputation de Vénus ~ geste des deux bras de Manolete lors de cette figure qu’il a inventée

– Beauté du geste devenu intemporel ~ Amputation des deux bras de Vénus  éternelle

– Mort de Manolete lors de l’estocade ~ Âme

– Présence de Gala à gauche dans les arènes ~ Présence de Vénus à droite dans les arènes ~ Présence de l’Enfant en bas à droite du tableau.

 

sont-elles voulues par l’artiste comme un trésor caché du tableau ? Elles ne sont nulle part mentionnées ou analysées comme telles. Seule la présence de Manolete figure dans les analyses de ce tableau.

La singularité de l’analyse proposée réside en la relation entre un geste tauromachique devenu immortel et la présence d’une sublime beauté intemporelle et légendaire rendue précisément incapable du moindre mouvement par l’amputation de ses bras. L’instant de cette conjonction étant associé à la mort, ici solaire, comme celle du torero entre les figures d’une Vénus initialement présentée avec des bras, puis sans lorsqu’apparaît en hallucination le passage de vie à trépas. Après la mort, la Venus réapparait amputée de ses bras.

Geste immortel, beauté immortelle, ici présentés à l’instant de la mort, celle du taureau mais aussi celle de Manolete, dont le visage en filigrane dans le corps de la Vénus illustre la présence de l’absence. Moment solaire du passage de vie à trépas prolongé jusqu’au visage de Gala également peint en jaune.

Le geste de Manolete est représenté en prolongement de l’amputation des bras de la Vénus tel le geste fantôme ultime et magnifié de membres fantômes amputés d’un geste méconnu, figuré et imaginé tout aussi sublime que cette beauté universelle, connue pour son visage et son buste.

La Manoletina, geste tauromachique ainsi porté à son apogée, relaye à cet instant toutes les hypothèses proposées pour celui (imaginé ou fantasmé) de la Vénus, il se situe à ce moment précis de la rotation où la Vénus perd ses bras, voit son buste creusé par le tiroir, et son corps se masculiniser.

Cet instant illustre concomitamment

  • La passe devenue célèbre et intemporelle de Manolete
  • L’amputation des bras de la Vénus éternelle
  • La mort de Manolete
  • La mort du taureau

Il est instant sublime du passage de la vie à trépas de Manolete « métaphorisé » par son geste légendaire en homologie de celui fantomatique, idéal et intemporel de la Vénus.

  • L’enfant au cerceau. Entre ombre et lumière, entre âme et corps.

L’enfant regarde vers la gauche. Il est difficile d’affirmer ce qu’il observe. Les mouches, le torero, les Vénus du centre du tableau ou plus probablement les plus petites Vénus qui lui font face ?  Celles-ci présentent une particularité jamais mentionnée dans les analyses. Alors que l’ombre de l’enfant le touche, les ombres des Vénus qui sont devant lui en sont séparées. L’ombre est la zone sombre que crée l’interposition d’un objet opaque entre une source de lumière et une surface qu’elle éclaire. Au sol, leur séparation est impossible dans la réalité, quelles que soient leurs positions respectives. La séparation de l’ombre et du corps, de l’âme et du corps illustre ici  la mort. L’enfant présenté très vivant par le lien qui unit son corps et son âme voit se profiler la perspective de la mort à travers les Vénus dont l’ultime à gauche, entourée d’un phosphène illustre le passage de vie à trépas. (celui de  son frère ainé ? )

Mais l’ombre séparée,  n’est pas celle des Vénus, elle est  celle de la paysanne représentée dans l’angelus de Millet. Dali était fasciné par cette oeuvre de Millet qui avait, dans un premier temps, peint à la place du panier, le cercueil d’un enfant décédé avant de le recouvrir afin de ne pas choquer. Ceci avait été confirmé par le musée du Louvre après avoir passé la toile aux rayons X à la demande de Dali.

La prière de l’Angélus décrit le moment de l’Annonciation, soit la naissance futur de l’enfant Jésus. Ainsi, l’ombre séparée du corps de Vénus représente synchroniquement la mort et l’annonce de la naissance immaculée. Cet enfant ne regarde-t-il pas ainsi sa propre histoire ? Celle du frère ainé mort deux ans avant sa propre naissance et dont il porte le même prénom ? Cette ombre d’une nativité immaculée, donc hors fécondation ne répond-elle pas précisément au clonage symbolique ( donc inconsciemment hors fécondation) du double de son frère disparu avant lui, dont il  a toujours porté la souffrance et dont il serait alors  le spectre.

Mais dans le prolongement de ces Vénus, adviennent la mort du taureau et celle de Manolete, concomitantes  du  geste sublime qui lui a valu cette célébrité, cette reconnaissance  intemporelle,

Parallèle subliminal de l’absence de bras pour Vénus et de la présence de ceux-ci  pour Manolète. Ce parallèle serait-il alors superposable à l’impossible relation de Salvador Dali et de son frère homonyme disparu. Le génie de sa peinture ne lui vaut-elle pas cette reconnaissance intemporelle ayant échappé à son propre frère par sa disparition prématurée. Gala assiste à cette scène, spectatrice privilégiée à gauche dans les tribunes, comme Vénus elle-même à droite. Deux femmes. Deux mères ?

Vénus porte en son sein ( gauche, maternel par excellence)  les deux visages de Manolete, l’un plutôt serein, (drapé blanc), l’autre agonisant ( Drapé rouge). Gala assiste à la mort. Elle est spectatrice de ce geste sublime perpétué au delà de la mort. N’est ce pas également celui de Salvador Dali  lui-même, peintre de génie, versus celui de son frère disparu, dont il serait le « clone », non seulement physiquement mais  donc « gestuellement ». N’est-ce pas alors la représentation transférée de l’intemporalité du talent, du génie du peintre à ce frère dont la conception est présentée immaculée à Dali petit garçon, par l’ombre de la Vénus représentée sous celle de la paysanne recevant l’annonciation?

4. Une histoire de relations

 

Analysons le tableau en trois temps :

  • L’observation des images en présence
  • Leur symbolique
  • Ce qui émane de leur relation sous l’angle du tiers inclus.

L’histoire est la suivante :

Dali voit sur le dessin d’une Vénus sur une boite de crayons qu’il achète à New York.  Il perçoit à travers ce dessin le visage du torero Manolete, mort lors d’une corrida, célèbre pour une passe tauromachique qu’il a créée et rendu célèbre.

Il décide de peindre un tableau sur ce thème. Les Vénus laissent apparaitre en filigrane le visage de Manolete. Le sein de la Vénus représente le nez de Manolete. (visage en son sein …) Gala est souvent représentée le sein gauche dénudé …

Le visage  de Manolete apparait en son corps. Vénus laisse échapper une larme…

Plusieurs Vénus sont ensuite représentées, en ligne de fuite de la droite vers la gauche. Leur corps se masculinise au cours d’une rotation progressive illustrant le geste du torero. Ce geste , la Manoletina, l’a rendu célèbre mais lui a aussi valu la mort.

Entre le corps inanimé d’une statue amputée dont on ignore la position des bras et ce geste légendaire du torero,

Entre un corps inanimé éternel célèbre pour l’absence de ses membres et un corps vivant célèbre pour le geste éternel qu’il effectue.

Entre  Absence de vie et vie : la naissance.

Entre  Gala et Venus

Entre Vénus et Manolete

Entre Vénus et L’enfant

Entre  Gala et L’enfant

Entre Manolete et Dali

Entre  Mort et Éternité

Le torero est embroché par le taureau lors d’une corrida. Il meurt alors qu’il tente de donner la mort. Le « meurtrier » est victime de ce geste qui l’a rendu célèbre, victime indirecte de la présence des bras, ces bras célèbres dont la Vénus qui lui a donné naissance était privée, Vénus qui le porte en son sein.

Entre présence et absence de bras : La mort

Les banderilles sont plantées dans le garrot lors de l’estocade. Apparaît alors ce tunnel irradiant de lumière décrit lors de l’expérience de mort imminente, celle du passage de la vie à trépas.

La mare de sang sortant des flancs du taureau agonisant se répand et diffuse dans la petite crique d’eau bleue, celle de Portlligat, centre de la vie du peintre.

Le taureau tué s’élève lentement pour devenir un paysage de Figueras, ville natale de Dali.

 

La lune dans son dernier quartier ( avant de disparaitre) est homo-chrome du geste funeste et légendaire du torero, du visage de gala et de la petite Vénus centrale située face à l’enfant.

 

Entre  Mort et Maternité

L’enfant observe : son regard nous échappe mais il voit devant lui les trois petites Vénus, – séparées de leurs ombres respectives – devenir lumineuses, au fur et à mesure qu’elles approchent de la mort. Images à l’échelle de l’enfant en parallèle des images de Vénus situées plus haut elles aussi en fuite vers la gauche, elles aussi s’approchant de la mort.

Mais ces trois formes sombres allongées semblant représenter les ombres des trois Vénus alignées en bas sont en réalité les silhouettes voutées du personnage féminin de L’Angélus de Jean-François Millet, autre référence majeure de Dali. Ces femmes récitent l’angélus, prière rappelant la salutation Marie lors de l’Annonciation, annonce de sa maternité divine. Ainsi ces ombres séparées du corps, évoquant la séparation de l’âme et du corps des Vénus , sont les ombres de l’annonce de la maternité.

 

Gala et l’enfant:

Seuls deux personnages observent la scène :

–  Gala (1894-1982) en haut à gauche, en réponse de la présence de l’enfant, est seule spectatrice dans les tribunes vides. Gala est encore en vie à l’époque où est peint ce tableau (1969-1970).

–  L’enfant en bas à droite, double homo-prénonymique survivant de son frère ainé décédé deux ans plus tôt, dont il porte possiblement à la fois le poids de la culpabilité et celui de la symbolique résurrection.

 

 

 

Entre l’enfant et Gala

                                                        Tous deux observent   …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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