///Emergence de Di scipio, musique Fang du Gabon

Emergence de Di scipio, musique Fang du Gabon

By | 2020-03-17T11:58:08+01:00 1 décembre 2017|Musique|4 Comments

Thème du tiers inclus: Cette musique se caractérise par les interactions des morphologies sonores non déterminées: on ne sait jamais où elles commencent, ni où elles finissent au point de se demander s’il existe un matériau  (non absolutisation des polarités, mais émanation de leurs relations)

 

***

 

La musique, elle aussi, peut faire appel à la dynamique du contradictoire de laquelle peut naitre l’harmonie. Cet aspect se retrouve aussi bien dans la musique traditionnelle que dans la musique contemporaine. Pierre Boulez s’en explique : dans Répons, par exemple, l’harmonie dit-il naît des contraires, des divergences entre les plans sonores, sinon entre les matériaux, conférant à l’écriture sa magistrale densité et une épaisseur gorgée de contrastes et de torsions, de mouvements qui tantôt fuient, tantôt se concentrent, tantôt s’élèvent tantôt chutent. L’image incarnant l’œuvre serait une spirale.

          Boulez évoque l’architecture du musée Guggenheim de New York, où le visiteur revoit ce qu’il a vu et entrevoit déjà ce qu’il verra ? Comme l’écrivait Michel Foucault : « Sa loi, c’était la double transformation simultanée du passé et du présent par le mouvement qui détache l’un de l’autre à travers l’élaboration de l’autre et de l’un ».

Certains musiciens, dont Di Scipio, fascinés par les théories du chaos et celles des systèmes dynamiques dans les années 80, développent la notion d’émergence.

L’émergence est un évènement qui semble en discontinuité avec les évènements antérieurs et qui n’est pas expliqué par ses constituants : un système auto-poïétique auto-organisé. La musique de Di Scipio introduit un équilibre délibérément instable entre silence et grains, les uns semblant émerger des autres et vice et versa. Cette musique se caractérise par la quasi impossibilité de délimiter des morphologies sonores: on ne sait jamais où elles commencent, ni où elles finissent au point de se demander s’il existe un matériau. (non absolutisation des polarités)

 

La théorie de l’émergence sonologique insiste sur le fait qu’elle est à même d’envisager l’émergence parce qu’elle élabore des types de systèmes proches des systèmes vivants, caractérisés par leur capacité d’auto-organisation. Il s’agit d’un système de causalité circulaire, dynamique, possédant un comportement adaptatif aux conditions extérieures environnantes et capable d’interagir avec celles-ci.

 

Cette musique n’est pas une création de sons voulus selon des moyens interactifs,

mais une création d’interactions voulues laissant des traces audibles. !!

 

La dynamique de « l’émergence » ne résulte pas, elle émane des interactions.

L’interaction n’est pas le moyen de la performance, elle constitue l’objet lui-même de la composition. (dynamique de l’interaction). Le bruit n’est plus perturbation ou nouveau matériau à transformer, il devient lui-même l’un des agents de l’interaction, émanation de l’espace concret. L’auditeur lui-même est pris en compte dans la composition d’interactions, puisqu’appartenant à l’écosystème environnemental interactif, au même titre que le système lui-même défini comme interactions d’éléments. La seule présence physique de l’auditeur agit comme élément d’absorption acoustique.

            La spécificité de cette approche réside en la remise en question du préjugé essentiel de notre tradition scientifique : l’indépendance de la perception du monde et de celui qui le perçoit.

La cognition individuelle permet donc le Faire-émerger de la pertinence, les questions qui surgissent alors ne sont plus prédéfinies mais énactées, comme le dit Varela, qui renvoie à la phénoménologie de Husserl ou de Merleau Ponty, qui avaient récusé la notion de représentation et ce en parallèle avec l’art abstrait, suggérant ainsi le dépassement de la dichotomie sujet ~ objet.

Si la musique dite contemporaine stigmatise autant la contemporanéité de la découverte quantique, de la fractalité, fondements même de la compréhension de cette dynamique du contradictoire, elle n’en détient pas pour autant la primeur. De nombreuses musiques traditionnelles, telle que l’on peut encore en rencontrer en Afrique ne l’ont-elles, jamais abandonnée.

            « Telle la musique Fang, traditionnelle du Gabon. L’écoute de la musique africaine exige de l’auditeur des aptitudes différentes de celles que demande la musique européenne dans laquelle l’attention est davantage dirigée sur le déroulement horizontal de la composition.

            Dans la musique instrumentale africaine, ce mode d’écoute n’est pas absent mais semble nettement moins marqué. L’écoute de la musique africaine, implique que l‘on dirige son attention plus particulièrement sur les dimensions inhérentes des compositions, qui sont si variées qu’elles ne peuvent être perçues toutes à la fois. L’auditeur doit graduellement modifier sa propre position, exactement comme lorsqu’on regarde un objet sous différents angles. Il reçoit l’émanation d’une pluralité dont la distinction identitaire est difficile.

            Si une personne qualifie la musique africaine de monotone, ou de répétitive, si elle trouve fastidieux d’en écouter ne serait ce que quelques minutes, c’est qu’à l’évidence, elle n’a pas encore découvert la façon de l’écouter. Les travaux réalisés sur les musiques de différentes ethnies africaines, qu’elles soient vocales ou instrumentales, ont montré que leur structure mélodique correspond à une capacité d’écoute plurielle. C’est-à-dire que comme dans toute polyphonie, plusieurs voix se superposent, mais ces différents voix ne constituent pas chacune une voix d’écoute exclusive, identifiée, la musique peut également s’écouter en passant de l’une à l’autre. Ainsi une polyphonie, avec quatre participants peut au final permettre de reconnaitre une multiplicité de parcours mélodiques. Le jeu des instruments de musique est fondé sur la réalisation simultanée et entrecroisée des différentes phrases chantées qui elles le sont le plus souvent alternativement au cours de l’interprétation du chant. » [1]

 

     La perception de l’auditeur sera donc davantage liée à la réception des interactions vocales et instrumentales qu’à la perception de leurs identités.

Thème de notre recherche trans-disciplinaire.

 

 

[1] Sylvie le Bonnin, Musique Bateke du Gabon, MPA Atege, éditions Sépia

4 Comments

  1. Koniarz 7 février 2018 at 17 h 00 min

    Dans ton article sur la music Fang du Gabon, 2 points ont attiré mon attention :
    1) le mot de Pierre Boulez que tu cites :
    « l’harmonie naît des contraires » prétend il, aussi bien dans la musique traditionnelle que contemporaine.
    Alors on pense bien-sûr à Heraclite :
    « l’harmonie suprême est coïncidence des contraires »

    2) la philosophie chinoise affirme que la dualité est la complémentarité si j’ai bien compris.
    Ma question est probablement une question d’ignorant :
    dans ces 2 exemples, comment l’harmonie peut-elle émaner d’une dualité ?
    Peux-tu Claude éclairer ma lanterne sur ce point (tiens, un proverbe chinois dit que « l’expérience est une lanterne que l’on porte sur son dos « ). Bref, aucun rapport.
    Cela voudrait-il dire alors que dans l’inter-relation du Yin et du Yang il existerait un peu de Yin dans le Yang et inversement ?
    Dans la figure géométrique, le « taiji » symbole taoïste, 2 éléments sont présents : le Yin et le Yang
    Comment considéres-tu Claude le cercle qui les entoure, ce cercle m’intrigue dois-je avouer.
    Est-ce un 3ème élément ?
    Pour être franc avec toi, Claude, le tiers inclus n’obtient pas encore mon adhésion, j’y vais sur « la pointe de l’esprit ».
    La logique binaire semble bien fossilisé dans mon cortex cérébral.
    Narcisse est aliéné par son image, écris-tu, mon esprit serait il aliéné à lui-même.

  2. Koniarz 7 février 2018 at 23 h 39 min

    PS : le proverbe chinois : «l’experience est une lanterne que l’on porte sur son dos » pour nous éclairer dans nos décisions bien-sûr.
    Et pourquoi pas aussi pour éclairer notre chemin qui n’existe pas, mais qui se fait en marchant….

  3. Claude Plouviet 10 février 2018 at 21 h 03 min

    Le tiers inclus n’est « ni actuel ni potentiel ».
    Les antagonistes « e » et « non-e » portent trois indices : A (actualisation) , P (potentialisation) , et T ( le tiers inclus) .
    L’actualisation de « e » est associée à la potentialisation de « non-e », l’actualisation de « non-e » est associée à la potentialisation de « e » et le tiers inclus de « e » est, en même temps, le tiers inclus de « non-e »
    Le tiers inclus a une situation particulière : lui non plus n’est jamais absolutisé. Il porte la dynamique du devenir.
    Tu ne peux pas t’imprégner de cette logique du tiers inclus en revenant constamment à la question de l’identité qui rend compte d’états mais non de dynamismes.
    Tu ne peux pas non plus soumettre la logique dynamique du contradictoire aux critères de la logique binaire classique non contradictoire.

    C’est difficile car nous avons été profondément formatés ou conditionnés par la logique classique dite binaire, mais en réduisant la rationalité au non contradictoire, et en rejetant le contradictoire comme irrationnel, tu t’interdis l’accès à un plus large possible.

    Dans un prochain article, j’évoquerai l’absolutisation du tiers inclus dans la création artistique. J’utiliserai « Le chef d’oeuvre inconnu » de Balzac comme support de cet article.: la recherche de la beauté absolue rendant abstraite sa représentation. Le peintre imaginaire Frenhofer n’en survivra pas.

  4. jc 17 mars 2020 at 11 h 40 min

    (C’est quand même une réclame pour l’oeuvre de Thom -cf. la fin-)

    Thom est un géomètre-topologue et avoue son manque d’intérêt -ce qui est différent d’un manque de connaissance!- pour l’arithmétique-algèbre. Plus précisément la mathématique est pour lui une conquête de la géométrie-topologie par l’arithmétique-algèbre (et, plus généralement, la pensée est pour lui, je crois, une conquête du continu « mystique » par le discret « linguistique »).

    Je verrais bien Grothendieck comme un non-Thom au sens de Lupasco, c’est-à-dire comme quelqu’un pour qui la mathématique serait, au contraire de Thom, la conquête de la géométrie par l’arithmétique. La musique renvoie à l’arithmétique: 1/1, 1/2, 2/3, 3/4, unisson, octave, quinte, tierce. Pythagore a été un pionnier dans la théorisation de la musique et dans ses rapports avec la géométrie. Et je verrais bien Grothendieck -à la suite de Galois- comme un Pythagore des temps modernes.

    Tout est-il nombre, comme le proclamait Pythagore? Dieu est-il géomètre, est-il arithméticien ou est-il un Dieu Janus (tiersinclus!) à la fois arithméticien et géomètre?

    Thom définit d’abord le temps et utilise cette définition pour définir l’espace¹. Il termine par une remarque qui pourrait être en rapport direct avec les principes lupasciens énoncés dans la partie « 1/3 inclus »:

    « Terminons ces considérations sur l’ontogenèse des mathématiques par une remarque de physique. Nous avons invoqué deux phénomènes pour justifier la construction de l’espace réel: la résonance qui synchronise des oscillateurs couplés d’une part, de nature temporelle; et la collision entre individus, qui, elle, permet la définition des chemins de létalité, et par suite la constitution des espaces. Fort spéculativement, on associera ces deux processus aux deux grands types de particules connus en physique: bosons et fermions. Les bosons, de nature essentiellement radiative, ont tendance à s’associer en champs où ils deviennent indistinguables et non localisables, effet dû à la résonance. Les fermions, de nature essentiellement spatiale, matérielle, devraient leur caractère répulsif et individualiste au phénomène de collision qui les sépare… »

    ¹: Apologie du logos, pp.314 à 325

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