///Chopin, Prélude à la goutte d’eau

Chopin, Prélude à la goutte d’eau

By | 2022-05-12T09:40:37+02:00 4 avril 2022|Art, Musique|0 Comments

Thème du tiers inclus: La perception musicale

Antagonismes en interaction :  Entre pure écoute et incidence de l’image ou de la pensée.

 

*

Nommer un objet

c’est supprimer les trois quarts

de la jouissance du poème

 faite du bonheur de deviner peu à peu. 

Le suggérer

voilà le rêve

                                                                    Stéphane Mallarmé

 

 

***

Chopin

Prélude à la goutte d’eau

 

 

 

Le Prélude n°6 de Chopin en si mineur est l’un des prétendants

au statut de « Prélude de la goutte d’eau ».

Mais il y a aussi le 8, le 15 et  plus rarement, le 17 et le 19

 

 

George Sand écrit à propos des Préludes de Chopin * :

« Ce sont des chefs-d’œuvre. Plusieurs présentent à la pensée des visions de moines trépassés et l’audition des chants funèbres qui l’assiégeaient ; ils lui venaient aux heures de soleil et de santé, au bruit du rire des enfants sous la fenêtre, au son lointain des guitares, au son des oiseaux sous la feuillée humide, à la vue des petites roses pales épanouies sur la neige. D’autres encore sont d’une tristesse morne, et, en vous charmant l’oreille, vous navrent le cœur. »

Les récits de George Sand donnent un éclairage sur la façon dont Chopin composait… et aussi sur la façon dont il doutait. Ils  troublent cependant l’auditeur. La citation précédente fut rédigée après la mort de Chopin,  figure dans « Histoire de ma vie » et est donc postérieure de quinze ans à l’événement qu’elle relate.

 

George Sand poursuit :

« C’est là, à Valldemossa qu’il a composé les plus belles de ces courtes pages qu’il intitulait modestement des préludes.

 

 

… Il y en a un qui lui vint par une soirée de pluie lugubre où il comptait nonchalamment les gouttes d’eau tombant lourdement sans interruption sur le toit sonore de la Chartreuse et qui jette dans l’âme un abattement effroyable. Nous l’avions laissé bien portant ce jour-la, Maurice et moi, pour aller a Palma acheter des objets nécessaires à notre campement. La pluie était venue, les torrents avaient débordé ; nous avions fait trois lieues en six heures pour revenir au milieu de l’inondation, et nous arrivions en pleine nuit, sans chaussures, abandonnés de notre voiturin à travers des dangers inouïs. Nous nous hâtions en vue de l’inquiétude de notre malade. Elle avait été vive, en effet, mais elle s’était comme figée en une sorte de désespérance tranquille, et il jouait son admirable prélude en pleurant.

En nous voyant entrer, il se leva en jetant un grand cri, puis il nous dit d’un air égaré et d’un ton étrange : « Ah! je le savais bien, que vous étiez morts ! »

Quand il eut repris ses esprits et qu’il vit l’état où nous étions, il fut malade du spectacle rétrospectif de nos dangers ; mais il m’avoua ensuite qu’en nous attendant il avait vu tout cela dans un rêve, et que, ne distinguant plus ce rêve de la réalité, il s’était calmé et comme assoupi en jouant du piano, persuadé qu’il était mort lui-même. Il se voyait noyé dans un lac ; des gouttes d’eau pesantes et glacées lui tombaient en mesure sur la poitrine, et quand je lui fis écouter le bruit de ces gouttes d’eau, qui tombaient en effet en mesure sur le toit, il nia les avoir entendues.

Il se fâcha même de ce que je traduisais par le mot d’harmonie imitative. Il protestait de toutes ses forces, et il avait raison, contre la puérilité de ces imitations pour l’oreille. Son génie était plein des mystérieuses harmonies de la nature, traduites par des équivalents sublimes dans sa pensée musicale et non par une répétition servile des sons extérieurs.

Sa composition de ce soir-là était bien pleine des gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. »

 

Dans ce texte, George Sand ne précise pas de quel prélude il s’agit.

 

De nombreux musicologues ont alors enquêté

 

Jean-Jacques Eigeldinger, expert de Chopin, mène les investigations. Il identifie le moment où le piano de Chopin arrive sur l’île, repère la datation des différents préludes et recense un véritable orage à Valldemossa lors de la composition du prélude n°15.

L’enquête aboutit à une conclusion : Le prélude N°15 réunit tous les critères. Son  » la bémol/sol dièse «  répété obsessionnellement,  mis dans des éclairages toujours différents, convainc les spécialistes.

 

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que

le prélude n°15

est le « Prélude de la goutte d’eau »

 

 

Mais si George Sand  n’avait rien dit ?

 

Le récit  de George Sand est-il véritablement utile à l’auditeur ?

Ne risque-t-il pas au contraire de le distraire d’un plaisir purement musical ?

 

Que se serait-il passé si le récit de George Sand avait été tout différent ?

Tous les musicologues, ensuite, se seraient-ils rués sur le recueil de Chopin et,

au lieu de pister une goutte d’eau,

                            seraient-ils partis en quête d’une autre image proposée orientant une écoute différente …                                                                                               

                                                                                                                                                   . . .

* Extraits de George Sand,  Histoire de ma vie, 1855

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